melenchon islamo gauchisme

07.12.2020

De quoi la lutte contre l’« islamo-gauchisme » est le nom ?

J’ai expliqué dans une précédente note comment l’accusation « islamo-gauchiste » est devenue la ligne du camp macroniste pour construire une nouvelle organisation du champ politique. Qui refuse de discriminer, insulter, montrer du doigt les musulmans doit être désigné comme ennemi obscurantiste, anti-laïque, misogyne, antisémite, terroriste en puissance ou tout du moins ami ou complice du crime. Bref : un « islamo-gauchiste ». Ainsi se construit une nouvelle stratégie du « barrage » politique prenant la suite du « barrage contre le Pen ». Celle-ci est au contraire accueillie à bras ouvert dans la nouvelle alliance du bien contre le mal.

Disqualifier la France insoumise est alors seulement le point d’entrée de ce discours. Une fois que la lâcheté et le chacun-pour-soi a ouvert le passage, les coups pleuvent sur tout ce qui de près ou de loin résiste au pouvoir et à ses agents. Comment en être sûr ? Tout simplement en se demandant « qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ? ». Et la réponse vient vite : cela n’existe pas. Il n’existe en effet ni définition ni faits permettant d’illustrer ce concept. C’est juste un produit d’appel fantasmagorique pour installer les esprits fragiles sur un toboggan conceptuel qui finit dans les filets de l’extrême droite. Car, très vite, les accusateurs passent à un autre registre : ils opposent les « islamo-gauchistes » aux « républicains ». Alors il est possible de faire un inventaire. Mais pour nous, ce sera celui du prétendu camp des républicains. On y retrouve les policiers factieux et leurs organisations politico-syndicales, une poignée « d’essayistes », « politologues » et autres déclassés, plus tout l’arc politique depuis l’extrême droite qui a inventé ce concept jusqu’aux macronistes. Entre les deux, une poignée de journalistes à gage, les uns carrément perturbés, les autres servant cyniquement des intérêts matériels les plus divers.

L’accusation « islamo-gauchiste » en rappelle d’autres dans l’histoire de France. Avant nous, Jaurès fut accusé d’être « le parti de l’Allemagne » puis les communistes d’être des « judéo-bolchéviques ». Le cas le plus récent d’usage de cette méthode est le fameux « Maccarthysme américain ». Son histoire est comparable à ce que nous avons sous les yeux. Au début de la guerre, l’opinion dominante dans les médias nord-américains et dans la sphère politique était le refus absolu de se mêler de la guerre en Europe. C’est un groupe d’acteur à Hollywood qui déclencha l’alerte contre le nazisme et l’antisémitisme. Au lendemain de la guerre, ces lanceurs d’alerte furent les premiers dans le collimateur des anti-communistes. Diabolique « argument » : leur vigilance prémonitoire aurait été la preuve du fait qu’ils auraient été sous influence communiste avant-guerre. À partir de là et jusqu’aux années 60, une répression récurrente s’abattit sur tout ce qui contestait le système aux USA quel que soit le motif. Une commission contre les activités « anti-américaines » pourchassait de tous côtés. Journalistes à gage, patrons des firmes de télé ou de cinéma bras dessus bras dessous faisaient la chasse à toute résistance. Comme on le devine, une telle aberration ne pouvait être servie, comme aujourd’hui, que par les individus les plus vils ou les moins talentueux, prêts, contre avantage, à renoncer à toute dignité personnelle en s’abandonnant à une chasse aux sorcières de cette nature. Nous y sommes en France. Quand une Saint-Cricq glapit ses ordres au plateau de journalistes dans une régie ou elle se croit en présence d’esclaves sans cerveaux et sans oreilles : « Vous êtes trop gentils ! allez maintenant on tape : les Tchétchènes ! les Tchétchènes ! » pour provoquer une agression contre l’invité insoumise, on a une idée et une caricature du pire de ce dont ce genre de « journaliste » est capable. En fait, c’est la même insulte à chaque fois : la gauche conspirerait avec l’ennemi extérieur et intérieur contre la France. Ce qui change, c’est simplement le fantasme raciste du moment qui doit être accolé au mot politique. Hier les juifs et les communistes, aujourd’hui les musulmans et les Insoumis.

Que Marine Le Pen utilise l’expression n’a donc rien d’étonnant. Elle le fait d’ailleurs de longue date. Les unes de Valeurs Actuelles ne sont pas plus surprenantes. Tout cela est conforme à ce qu’ils ont toujours été dans l’histoire. Mais c’est aussi devenu le cri de ralliement contre nous de la petite bourgeoisie bon teint. Ce fut d’abord installé dans le paysage par les éléments les plus réactionnaires du quinquennat Hollande : Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Puis, par les ministres les plus droitiers du gouvernement : Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin. Plusieurs médias ont aussi participé avec entrain à cette manœuvre pour placer une cible dans le dos des anti-racistes. L’hebdomadaire Marianne évidemment. Mais pas seulement. Là encore, ce n’est pas sans précédent dans l’histoire médiatique de notre pays. Il suffit de consulter l’ampleur de la liste des médias confisqué à la Libération pour avoir une idée de la dégringolade morale qui l’avait précédé. Puis ce fut le tour des partis. Encerclé par la hargne de petits groupes s’instituant garde barrières morales comme le « printemps républicain » et d’autres, l’assaut sur la gauche traditionnelle a rapporté gros. Notamment au PS dirigé par un personnage très ambigu sur toutes les questions fondamentales du socialisme historique.

Cette aile du parti socialiste, la plus proche de Macron, en attente de passerelle de ralliement complet, a très bien perçu le signal venu du pouvoir. À l’approche de l’élection présidentielle, elle s’en fait le relai car c’est pour elle le meilleur moyen de raccrocher les wagons avec la macronie. On comprend qu’il leur faille d’abord se rendre fréquentable. C’est pourquoi le mot même de socialiste dans le nom du parti ou la référence à la période d’alliance avec les communistes doivent être passé par-dessus bord. C’est la stratégie d’Olivier Faure, dont il ne faut jamais oublier qu’en 2017, il disait « nous voulons la réussite de Macron. Nous souhaitons participer à cette majorité ». Dans Libération, le 3 décembre dernier, il parle de moi comme le ferait un député marcheur lisant ses éléments de langage : « Jean-Luc Mélenchon s’égare (…) Il est dans un registre glissant. Pour moi ça n’est pas possible. Donc je réaffirme notre attachement aux valeurs républicaines ». Puis, à propos de la marche du 10 novembre 2019 en réaction à l’attentat contre la mosquée de Bayonne : « la gauche ne pouvait pas défiler sous des mots d’ordre en contradiction avec nos valeurs ». Bien sûr, il ne précise pas lesquels. Ni pourquoi je serais sur un « terrain glissant ». Il en va de même un peu partout dans les chaînes audiovisuelles du gouvernement où les amis ouverts ou secrets du régime macroniste, en quête de stabilité pour leur poste ou parce qu’ils visent celui du voisin, font du zèle dans ce sens. En fait, ils dessinent les contours d’un bloc politique dont les condiments essentiels sont déjà fixés. Politique de l’offre, libre échange sans limite, Europe des traités, écologie de marché, union nationale sur la base de la discrimination religieuse.

Oui, il est décidément important pour cette partie du PS de fabriquer de toute pièce un clivage avec les insoumis. Dans un premier temps, cela leur permet de justifier de l’intérêt de leur propre candidature à l’élection présidentielle. C’est plus confortable d’inventer des ambiguïtés plutôt que d’expliquer leur désaccord sur le passage à la sixième République, la retraite à 60 ans ou la sortie des traités européens. Car sur tous ces sujets, ils ont perdu leur hégémonie d’autrefois parce que la société a changé d’angle de vision. La deuxième raison est la préparation d’un éventuel barrage anti-insoumis. Ils ne peuvent ignorer que tous les sondages nous placent en troisième position. Et en tête de la gauche. Nous sommes à cette heure les mieux placés pour briser le duo Macron – Le Pen. En cas de réussite, il faudra bien trouver une autre raison de voter Macron que le péril fasciste. Ce sera donc le « barrage aux islamo-gauchistes ». Par-dessus tout pour eux comme pour tant d’autres il s’agit d’écarter le retour au cauchemar de 2017 : le risque d’un second tour des présidentielles auquel participerait l’abominable homme des neiges, Jean-Luc Mélenchon.

Le PS de Faure va donc de plus en plus ne parler que de laïcité. Bien sûr, il s’agit de stigmatiser les musulmans. Mais dans cette opération, comme d’autres ils ont beaucoup à perdre. Contrairement à ce que certains journalistes racontent, ceux qui sont gênés, divisés ou « pas clairs » sur ce sujet, ce sont les dirigeants socialistes, pas les insoumis ! Car il leur faudra assumer les bilans et héritages. Et la masse des socialistes ne partagent pas l’ambiguïté de ses dirigeants. Le bilan de Hollande n’est pas bon. Les milieux militants laïques se souviennent de son recul face aux militants de l’enseignement religieux en Alsace-Moselle. Il avait promis de rendre cet enseignement, qui existe dans toutes les écoles primaires de ce département, réellement facultatif dans tous les établissements, avant de reculer. Pendant sa campagne de 2012, il avait même proposé d’inscrire le régime concordataire dans la Constitution !

Faure en est l’héritier direct puisqu’il était à l’époque président du groupe à l’Assemblée nationale. D’ailleurs, Olivier Faure s’est déjà pris une volée de bois vert de la part des élus socialistes pour avoir évoqué la suppression du concordat en bureau national. Plusieurs élus de Moselle lui ont écrit un courrier pour dénoncer cette prise de position. « Sur la forme, nous tenons à noter qu’aucun de nous, responsables fédéraux ou élus locaux, n’a été associé à cette démarche ou consulté sur sa pertinence », écrivent plusieurs élus PS de Moselle et d’Alsace, soucieux de se mettre à très grande distance de l’idée laïque. Parmi eux : Pernelle Richardot, présidente du groupe socialiste  de la région Grand-Est, Michael Weber, Maire de Wœlfling-lès-Sarreguemines, Antoine Home, Maire de Wittenheim dans le Haut-Rhin, Catherine Trautmann, ancienne ministre et maire de Strasbourg, Jean-Marc Todeschini, sénateur de Moselle ou encore Michel Liebgott, Maire de Fameck pour le compte des maires socialistes et républicains de Moselle. On voit où est le « terrain glissant » et pour qui.

Anne Hidalgo, candidate la mieux placée au PS, s’est très vite inscrite dans ce registre d’accusation ce qui est le meilleur révélateur de ses intentions. Il est notable que son attaque fut lancée le jour où elle apporta son soutien à la loi macroniste « sécurité globale ». J’ai montré dans une précédente note ce qu’il en était réellement de son bilan en matière de laïcité à la tête de la mairie de Paris. Il y aura donc bientôt une compétition au PS pour paraitre toujours plus antimusulmans. Manuel Valls souffle donc sur des braises déjà bien chaudes. Mais ils s’exposent à un haut le cœur de la tradition socialiste. Ainsi, écœuré, le socialiste marseillais Patrick Menucci s’est hâté de prendre ses distances avec l’interview de Faure dans Libération. Celle-ci est en effet d’un grossier déterminisme social très insultant pour les personnes en situation de détresse économique. « Je ne souhaite pas qu’en mon nom, on explique la radicalisation islamiste et le terrorisme par le chômage structurel et la pauvreté » a-t-il tweeté immédiatement. En mettant le doigt dans cet engrenage, Olivier Faure se condamne à la rupture avec la tradition socialiste historique et a un alignement sur les plus extrémistes de son camp. Et ceux-là ne veulent pas que l’on se paye de mots : le discours sur la laïcité est dirigé contre les musulmans et rien d’autre. Cette pente a déjà un précédent dans l’histoire du mouvement socialiste. C’est celle que prit Marcel Déat avant-guerre qui, sous prétexte d’attachement à l’ordre et de dénonciation des « métèques », finit dans l’extrême droite.

Pour nous, la partie est simple à jouer. Résistance sans faille. Nous sommes clairs. Nous n’avons aucun problème pour dénoncer le ciblage exclusif contre l’islam et des musulmans. En toutes circonstances, nous défendons la paix civile et l’unité du peuple en France. La laïcité n’est pas un sujet de débat chez nous, ni une découverte. Nous avons des propositions ancrées pour étendre ce principe émancipateur. Il suffit de les mettre sur la table pour différencier les véritables laïcs des tartuffes anti-musulmans. Nous le ferons sans faiblir jour après jour autant qu’il le faudra. Et nous rallieront à nous tous ceux qui progressivement vont savoir reconnaitre où est le camp de la paix civile.

J’en ai fait l’expérience récemment lors d’un débat à l’Assemblée nationale. Il s’agissait d’une niche du groupe Les Républicains. À l’ordre du jour, une proposition de loi constitutionnelle qui prétendait inscrire dans la Constitution des dispositions qu’elle consacre déjà comme le fait que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». L’intérêt juridique était nul puisque tout ceci est déjà dit dans des termes très clairs par la Constitution ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le but était encore une fois d’exciter la peur de l’islam. Après avoir dénoncé cette honteuse stigmatisation, j’ai défendu plusieurs amendements comme l’abolition du concordat d’Alsace-Moselle et le statut de Charles X ou l’interdiction pour le Président de la République de recevoir un titre clérical comme celui de « Chanoine de Latran ». Les ambitions laïques des députés LR furent tout de suite plus discrètes. Mais ni Olivier Faure, ni aucun autre député socialiste n’a souhaité défendre à mes côtés ces revendications élémentaires de la laïcité. Défendre la laïcité avec Mélenchon, pourquoi cela est-il impossible ? On voit dans cette situation une illustration de ce que produit la ligne qui nous assigne à résidence « contre la République » selon la rhétorique de Faure. On voit quel est le coût de l’insupportable campagne sur l’islamo-gauchisme. Une pure et simple division sans objet des forces pourtant disponibles comme elles l’étaient déjà dans cet hémicycle.

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