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«Le pays va être à reconstruire» – interview de Jean-Luc Mélenchon (La Dépêche, Midi Libre, L’Indépendant…)

Interview publiée le 9 janvier 2020 dans La Dépêche du MidiMidi Libre, L’Indépendant, La République des Pyrénées et Le Petit bleu.

Le président de la région Grand Est a eu des mots très forts à propos de la lenteur de la campagne de vaccination. Il parle de scandale d’État, partagez vous ce sentiment ?

On a tous le sentiment d’un déclassement de la France devenue incapable de produire des masques quand il faut et aujourd’hui des vaccins ! Pourtant nous avons avons été, un temps, capables de produire 80% des médicaments que nous utilisions. Aujourd’hui les moyens publics et les savoirs faire se sont effondrés. Le gouvernement fait appel à quatre entreprises américaines pour organiser la logistique de la vaccination ! J’ai connu une période où on vaccinait pour le BCG toute la jeunesse de France en 15 jours.

Vous expliquez, dans votre blog, qu’il ne faut pas donner la priorité aux vaccins ARN messagers pour quelle raison ?

Au cœur d’une pandémie, je trouve curieux d’abandonner les outils traditionnels d’action autrement dit les vaccins « traditionnels ». Lors de la grippe A nous avons été capables de produire les doses et d’installer 1200 points de diffusion et de vacciner 1,5 millions de personnes par semaine. Comment se fait-il que 10 ans après on ne soit plus capables de faire des vaccins ni d’organiser une campagne de vaccination ? Et là, avec l’ARN-messager on est en pleine expérimentation. J’ai davantage confiance dans le travail de l’Institut Pasteur et des pays qui auront mis au point des vaccins traditionnels.

La France devrait donc attendre fin 2021 que les vaccins français soient près pour vacciner ?

Non puisque d’autres sont déjà prêts. Alors j’irai me faire vacciner.

Vous avez aussi souhaité que la France ait recours aux vaccins chinois, russes ou Cubains…

Oui ! Je détesterais que, par à priori politique, on refuse de partager un moyen de santé publique. Les Français ne sont pas hostiles aux vaccins mais ils n’ont pas envie de participer à une expérimentation. Ils se méfient des intérêts financiers à l’œuvre. Des gains faramineux vont être faits par les coronaprofiteurs. Les entreprises de Big Pharma ont misé, depuis longtemps, sur un seul procédé et maintenant veulent le rentabiliser. L’intérêt défendu n’est plus seulement l’intérêt général. Pour moi, les vaccins devraient être sous licence libre et diffusés à prix coûtant. Sinon on voit les Nations se livrer à des batailles géopolitiques à travers les vaccins et les grandes entreprises en compétition. Tout ca pèse dans la prise de décision macroniste. Et une sorte de fascination idéologique pour « le marché » les empêche de réfléchir librement. Ajoutons-y un facteur jamais évoqué : l’épuisement de ceux qui décident.

Vous trouvez Emmanuel Macron épuisé ?

On le serait à moins non ? C’est une situation qui est difficile à porter et pas que pour lui, pour Monsieur Véran et les autres sommités aussi.

Vous leur suggérez de céder la place ?

Non. Mais à être moins seuls. Je conteste un système de prise de décision en très petit nombre devenu aussi opaque que le Conseil de Défense qui se substitue au Conseil des Ministres ! Et cette idée de tirer au sort 35 personnes plutôt que de consulter les commissions spécialisées des Assemblées parlementaires ?

Sentez-vous, dans votre électorat, une véritable défiance vis a vis des pouvoirs traditionnels : politique, judiciaire, syndical ou médiatique?

Je vois partout une méfiance à l’égard de tout et de tout le monde. La France est en prise, depuis un certain nombre d’années, à un sentiment de doute, de rejet et de dégagisme à l’égard des autorités. Elles sont suspectées d’être incapables ou d’avoir des préoccupations idéologiques et financières étrangères à l’intérêt général. Cette crise de confiance s’est répandue dans toute la société. Notre responsabilité est de ne pas ajouter à un état d’esprit purement négatif « anti tout » et dépressif qui ne nous mènera nul part. Ce qui est en cause, c’est le mécanisme de consentement à l’autorité. Il est la condition pour appliquer les décisions même si vous n’êtes pas d’accord. C’est la base du fonctionnement de la démocratie. Mais pour qu’il y ait ce consentement, il faut qu’il y ait de la confiance. Cette confiance est accordée si vous êtes persuadé que les consignes vous sont données par des gens de bonne foi exclusivement préoccupées par l’intérêt général de bonne foi. Si vous avez l’impression que ce sont des menteurs et qu’ils agissent en fonction d’intérêts particuliers : c’est fini, tout part en morceaux. Les incohérences du gouvernement ont créé les conditions d’une méfiance collective. Et une colère silencieuse. Car la catastrophe sociale s’avance. Nous n’en sommes qu’au début. Jusqu’à présent, notre pays a vécu des formes assez traditionnelles de contestation. Mais les Gilets Jaunes ont habitué à de nouvelles formes. Bientôt en plus de millions de salariés, vous allez voir agir des dizaines de milliers de petits entrepreneurs, petits commerçants et restaurateurs. Ils n’ont pas l’habitude des anciens cadres collectifs. Leur vie sociale est en cause. Que vont-ils faire ?

Craignez-vous une balkanisation de la société, une lutte des uns contre les autres parce que les intérêts sont divergents ?

Le pouvoir macroniste y pousse. Il est persuadé que la clé de l’organisation de la société c’est la compétition. La santé est une cause commune. Sur les réseaux sociaux, on voit des camps retranchés sur chaque sujet. Ça n’est pas bon. Il faut aussi écouter et proposer. Nous avons fait 11 propositions de lois et de plans d’action.

L’augmentation de la pauvreté due à la crise économique ne risque-t-elle pas d’accroître encore cela ? Les LR remettent le revenu universel au goût du jour, qu’en pensez vous ?

C’était l’idée de Benoît Hamon. En période de crise il faut évidement examiner toutes les propositions d’où qu’elles viennent. Mais de quoi parle-t-on ici : ce revenu remplace les allocations actuelles ou pas ? Déjà, il faudrait hisser tout le monde au-dessus du seuil de pauvreté. Ensuite, il faut redéployer l’activité. Dans l’aéronautique, par exemple, il va y avoir des milliers de licenciements. Ne peut-on pas proposer un plan de redéploiement dans les différents domaines voisins de l’aéronautique ou en son sein même ? Il ne faut pas rester les bras-ballants et attendre le retour de la situation antérieure ! Augmenter les revenus est d’autant plus important que 50% de l’activité économique du pays vient de la consommation populaire. Donc, au lieu de donner de l’argent aux coronaprofiteurs qui tirent parti de la situation pour licencier, il faut d’abord se demander si les gens arrivent à vivre. Et il faut faire vite car la situation est grave. Des gens ont faim. Au total, il est certain que le pays va être à reconstruire.

Que proposez-vous afin de refaire Nation ?

Sur le plan économique la France doit être souveraine dans tous les domaines : la santé, l’éducation, l’alimentation. Ca créera des millions d’emplois.

Dans votre programme vous souhaitez restaurer la conscription, pourquoi ?

La formation militaire ne serait pas centrale. Il s’agit plutôt de constituer un grand corps d’entraide publique pour faire face aux catastrophes naturelles. C’est aussi une manière de former une conscience collective. Nous voudrions ce soit obligatoire et payé. Bien sûr, il y aurait droit à l’objection de conscience et au refus personnel. Tout le monde irait sauf ceux qui ne veulent pas.

La loi sur le séparatisme vise aussi à éviter une forme de scission de la société, est-ce la bonne méthode ?

Le Président de la République invente un séparatisme religieux qui n’existe pas. Mais il y a d’autres séparatismes bien réels en France. Par exemple, celui des riches exilés fiscaux ou qui vivent dans des cités en camps retranchés. Il y a celui lié à l’arrogance intellectuelle des élites… Certes il y a aussi des comportements religieux inadmissibles. La loi les condamne déjà. Pour changer les mentalités, il faut convaincre. Le recours à la force radicalise les fanatiques.

Est-ce que la question environnementale forme aussi un clivage ?

Non, tout le monde a admis le problème. Mais oui, les solutions divergent. Quand on va au cœur des problèmes l’intérêt général met en cause des intérêts particuliers. Alors ils se défendent. Le principe européen d’obligation de concurrence libre empêche de corriger la situation. Pour tout changer il faut y désobéir et appliquer une planification écologique argumentée mais impérative.

Vous avez déclaré votre candidature très tôt. Ne fermez-vous pas la porte à toute possibilité d’union de la gauche et donc à toute chance de victoire en 2022 ?

Certes la dispersion pose problème. Mais croire que réunir des logos différents suffit pour créer une dynamique c’est se leurrer ! Des divergences décisives sur le futur du pays existent. Nous ne sommes pas d’accord sur la question européenne, sur le passage à une 6eme République et sur la planification écologique. Faudrait-il mentir pour s’unir ? Les gens n’accepteraient pas cette supercherie.

2022, vous y croyez quand-même ?

Oui. Comment se dire démocrate et n’avoir confiance ni dans l’intelligence des électeurs ni dans la valeur des programmes ? Et je compte aussi sur une mobilisation citoyenne permettant d’appliquer tout notre programme ! Passer à la 6eme république nous y aidera.

Gramsci disait : « Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres », voyez vous des montres apparaître ?

Je les vois. J’ai pris mes dispositions pour qu’ils n’aient pas le dernier mot. Ma vie en atteste. Pour l’heure le pronostic n’est pas fameux. Mais l’avenir ne sera rien d’autre que notre œuvre.

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