mais pop corn

Du maïs au pop-corn social

Une information pourtant cruciale est passée inaperçue. Il y a dix jours, un petit article du Monde signalait l’envolée des cours mondiaux des céréales. Le prix de la tonne de blé a flambé de 20% en six mois. Le maïs de 18% sur la même période. Celle-ci découle d’un certain nombre de mouvements financiers spéculatifs. Ils sont liés aux incertitudes de la période et aux besoins de reconstituer les stocks après un an de confinements en série. Le marché chinois commande ainsi quatre fois plus de maïs que prévu. Dans le même temps, la Russie a décidé de taxer les exportations de blé à partir de février. De son côté l’Argentine suspend celles du maïs pour tenter de juguler l’inflation.

Tout se passe comme je l’avais craint en mai 2020 dans mon essai « l’Engrenage ». J’y ai alors exploré le rôle du Covid-19 sur les réseaux et les flux dont dépend toute l’économie capitaliste de notre époque. Pour suivre la théorie de « L’ère du peuple », il faut étudier le type de dépendance les plus élémentaires de nos sociétés humaines. Leur mise en réseau collectif institue une dépendance nouvelle des humains à l’égard des réseaux collectifs qui en assurent la production et la distribution. C’est le cas de la question agricole et alimentaire. Même son insertion en réseau qui la rend tout simplement possible, n’est pas absolument évidente. Alimentation et agriculture sont au point de départ de toutes nos activités. En effet, l’occupation première de tout individu est de se procurer à manger. Il faut donc observer avec attention ce réseau dont dépend cet approvisionnement. Le système alimentaire mondial actuel est tout entier basé sur des chaînes d’interdépendances longues et de circulation permanente de produits à flux tendus. Cette internationalisation et l’allongement des chaînes de production alimentaires ont rendu les pays du monde entier interdépendants. De fait, cela créé une situation d’équilibre instable : un seul caillou et toute la machine globalisée s’enraye.

Le Covid-19 a bien illustré cette extrême fragilité. En effet, la pandémie a eu des conséquences multiples en divers endroits de cette chaîne logistique complexe. D’abord, on a noté la consommation accrue et soudaine de certains produits de première nécessité. Face à cela, certains pays ont commencé à reconstituer des stocks en urgence et fermé les vannes de leurs exportations. Dans le même temps, les phases de confinement ont bloqué par épisodes successifs la production et l’acheminement des marchandises, à commencer dans l’agriculture, par les êtres humains qui récoltent et transportent. Ces soubresauts ont provoqué des épisodes de montagnes russes des prix et des quantités disponibles. Pour finir, la spéculation s’est installée et, globalement, elle a renforcé l’envolée des prix alimentaires. En bout de chaîne, la conséquence est sociale : c’est une aggravation considérable de la précarité alimentaire.

La financiarisation du secteur est un autre point d’entrée possible pour le chaos capitaliste de notre temps. En effet, l’agriculture est devenue un produit financier comme un autre. Dans « l’Engrenage », j’en ai expliqué le fonctionnement déconnecté du réel. « Depuis le début des années 2000, les échanges sur les produits dérivés agricoles ont été multipliés par 16. Et seulement 2% des transactions sur les bourses agricoles correspondent à une livraison physique de denrées. La plupart des récoltes sont achetées et vendues plusieurs fois avant même d’avoir été semées. »

Ce système totalement dérégulé peut provoquer une flambée des prix. Cela a déjà eu lieu par le passé. En 2006-2008, une bulle spéculative sur les marchés agricoles avait fait s’envoler le cours du blé de 164%, celui du soja de 124% et du maïs de 178%. Cela avait engendré des émeutes de la faim dans de nombreux pays et constitué le point de départ de ce qu’on a par la suite appelé le « printemps arabe ».

Cette démonstration doit éclairer notre compréhension de la situation actuelle. Elle appelle toute notre vigilance. Le Covid-19 continue de perturber l’intégralité de la chaîne agricole et alimentaire. Et ce n’est pas tout. Les conséquences des bouleversements climatiques se superposent aux difficultés déjà existantes. En effet, la multiplication et l’intensification des épisodes de sécheresse et d’inondations ont altéré les cultures du monde entier. En conséquence, l’indice FAO des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a atteint son plus haut niveau depuis trois ans. Le Covid-19 a donc fait exploser la précarité alimentaire de millions d’êtres humains. La déflagration économique atteint les conditions matérielles des individus. Privés de revenus et confrontés à une hausse des prix, l’insécurité alimentaire ne peut que croître.

Ainsi, en mai, je tirais déjà le signal d’alarme : « La crise alimentaire en marche va devenir la première préoccupation des gens. Elle va mettre le système au pied du mur : soit il trouve le moyen de sortir sans mal des chaines d’interdépendances de la globalisation et il encadre, par les prix ou la réquisition, le réseau alimentaire, soit il devra affronter les émeutes de la faim déjà observées dans un passé récent. » En 2019, 135 millions de personnes dans 55 pays étaient déjà au bord de la famine. Les analystes prévoient que les prix continueront à augmenter en 2021.  Si ces derniers n’ont pas encore atteint les niveaux de 2008, tous les ingrédients du cocktail explosif sont désormais réunis. Et le maïs risque de se transformer en pop-corn social.

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