Le 21 mars est la journée mondiale des forêts. Le gouvernement proclame à tout va ses grandes ambitions écologiques en la matière. De leur côté, les agents de l’Office national des forêts réclament… l’application de la loi et les moyens de travailler ! Encore une fois, c’est en interrogeant les travailleurs qu’on mesure le fossé entre les grands discours gouvernementaux et la sombre réalité.
Depuis 2014, un dispositif de cessation anticipée d’activité est garanti par loi. Il permet aux ouvriers forestiers de l’Office national des forêts de cesser totalement leur activité à 55 ans à la condition de justifier d’un minimum de vingt années d’ancienneté. Entre janvier 2017 et fin janvier 2021, il a bénéficié à 438 ouvriers forestiers. Ce dispositif répond à la très grande pénibilité de leur métier. En effet, l’espérance de vie moyenne des salariés exerçant des travaux en forêt est très inférieure à celle du reste de la population. Du fait de nombreux accidents du travail souvent mortels, celle d’un bûcheron est actuellement de 57 ans. Mais l’âge moyen de leur inaptitude est de 52,5 ans. Cela signifie que nombre d’entre eux n’atteignent même pas l’âge requis pour bénéficier d’une cessation anticipée d’activité. On mesure donc à quel point ce dispositif, même s’il peut être amélioré, est un enjeu vital.
Or, le conseil d’administration de l’Office national des forêts a décidé de s’en passer. Il a acté dans son budget le non-renouvellement du dispositif au-delà du 31 janvier 2021. Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la cure d’austérité imposée à ce service public. Le bilan est désastreux : 40% des effectifs ont déjà été supprimés en 30 ans. Le malaise est grave et profond : entre 2005 et 2020, 51 personnes ont mis fin à leurs jours. Ce taux est deux fois plus élevé que dans le reste de la population.
L’intersyndicale tire la sonnette d’alarme : elle a décidé de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Cette décision est un nouveau coup de boutoir austéritaire. Elle aurait des conséquences catastrophiques. En effet, l’Office national des forêts compte aujourd’hui 260 ouvriers forestiers dont l’âge est compris entre 50 et 54 ans. Sans ce dispositif, deux possibilités s’offrent à eux : travailler au-delà de 55 ans, sinon être licenciés pour inaptitude physique. C’est un mépris absolu de la santé des travailleurs forestiers. Clou du spectacle : cette décision a été prise sans que les négociations prévues par l’article 36 de la loi de 2014 n’aient eu lieu. Elle est donc contraire à la loi !
Cet évènement est l’arbre qui cache la forêt. En effet, le gouvernement envisagerait la suppression de 500 postes supplémentaires d’ici 2025. Or, la destruction du service public forestier est absurde et anti-écologique. Ceux-ci gèrent 25% de la surface forestière française. Leur rôle est donc essentiel. Nous devons planifier l’avenir. Cela ne peut pas se faire sans eux. En effet, les forestiers d’aujourd’hui font les forêts de demain.
D’abord, nous avons besoin de lutter contre le dépérissement des forêts lié aux bouleversements climatiques. C’est un enjeu majeur : la forêt est un allié précieux face à l’urgence écologique et climatique. En effet, elle fixe 20% de nos émissions annuelles de carbone. Elle est également indissociable du cycle de l’eau et de la protection de la biodiversité. Il faut donc investir du temps et du savoir-faire pour assurer son suivi sanitaire et renouveler les peuplements forestiers.
Ensuite, le bois est un atout écologique. Il peut être utilisé dans le bâtiment pour remplacer le béton. Il peut aussi remplacer le plastique dans les produits de consommation courante. Chance : nous avons la troisième forêt d’Europe à disposition. Une filière forêt-bois française soutenable et créatrice d’emplois de qualité est la condition pour préserver un de nos biens communs le plus précieux. Mais le gouvernement fait tout l’inverse. En effet, dans ce modèle agro-industriel d’exploitation, souffrance des forestiers et de la forêt vont de pair.
Au rythme actuel d’exploitation, la forêt française ne sera bientôt plus en mesure d’atténuer le changement climatique. Le nombre d’agents publics prompts à faire un travail de qualité et de précision en lien avec des scieries locales se réduit à peau de chagrin. Ceux qui restent sont maltraités. De fait, la gestion forestière durable disparaît au profit d’une exploitation industrielle. L’économie du bois est au plus mal : il y a dix fois moins de scieries qu’en 1960. Une poignée d’entre elles produisent de la matière brute exportée puis réimportée sous forme de produit fini bien plus coûteux. Pourtant, la filière bois française compte 370 000 emplois directs, souvent locaux et non délocalisables. C’est-à-dire presque deux fois plus d’emplois que ceux du secteur automobile.
Tout le monde l’aura compris : détruire la forêt et les travailleurs pour planter des arbres est un non-sens. Notre députée Mathilde Panot est en première ligne de cette bataille au nom de tous les insoumis. Quant à nous, gardons en tête l’essentiel : aucune gestion écologique de la forêt n’est possible sans protection de ceux qui y travaillent.