Le Pôle Sud se réchauffe trois fois plus vite que le reste du monde. Il est désormais clair qu’aucune région ne sera épargnée par les bouleversements climatiques. Et dans ce contexte, les enjeux géopolitiques et scientifiques des pôles sont cruciaux.
L’Antarctique fait partie des zones les plus précieuses et vulnérables sur Terre. C’est la région la plus froide et sèche du monde. Mais elle abrite une biodiversité essentielle. Celle-ci est menacée à la fois par les bouleversements climatiques et par la surexploitation directe. Par exemple, toute la chaîne alimentaire de l’Antarctique repose notamment sur un seul animal : le krill. Or, sa surpêche destinée à la pisciculture se fait au détriment d’autres espèces dont il est la source de nourriture principale.
Le pôle sud joue aussi un rôle central dans le système climatique mondial. Le pouvoir réfléchissant de la banquise – nommé albedo – maintien des températures basses. Plus la banquise fond, plus l’océan absorbe de rayons solaires et se réchauffe. La fonte des glaciers est un risque majeur pour l’existence humaine. Au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre, le niveau des mers pourrait augmenter d’un mètre d’ici la fin du siècle. Cela menace 10% de la population mondiale. En outre, l’Antarctique renferme 70% de l’eau douce de la planète. Or, la température et la salinité sont les moteurs des courants océaniques. Si ces courants sont modifiés, c’est l’ensemble du climat mondial qui s’en trouverait perturbé. Si toute la glace de l’Antarctique fondait, le niveau moyen de la mer augmenterait d’environ 70 mètres ! Cela donne un aperçu du chaos final potentiel.
Je le redis : nous entrons dans une décennie décisive sur le plan climatique et environnemental. Il faut donc saisir chacune des opportunités qui se présentent pour agir. Justement, 2021 est une année cruciale pour l’Antarctique. En effet, deux anniversaires d’envergure internationale seront célébrés cette année. Autant d’occasion de sensibiliser les consciences et d’engager la question dans les enjeux de 2022.
Tout d’abord, ce sera le 60e anniversaire de l’entrée en vigueur du Traité sur l’Antarctique. Le Système du Traité sur l’Antarctique est un instrument géopolitique unique. En effet, il permet à un collectif de nations de gérer conjointement près de 7% de la surface de la planète. La France y occupe une place particulière. Elle appartient au cercle restreint des 7 États dits « possessionnés » c’est-à-dire qui ont émis des revendications territoriales en Antarctique.
Ce sera également l’année du 30e anniversaire de la signature du Protocole de Madrid. Celui-ci ajoute un volet environnement au Traité sur l’Antarctique. En effet, adopté en 1991, il définit l’Antarctique comme « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». La France en est la co-initiatrice.
Notre pays a donc un rôle majeur à jouer et une grande responsabilité dans la protection de cet écosystème polaire. Cette année est l’occasion d’en faire la démonstration. En effet, du 14 au 24 juin, la France présidera à Paris deux conférences annuelles de négociations internationales. D’une part, elle présidera la 43ème réunion consultative annuelle des 54 États parties du Traité sur l’Antarctique (RCTA). D’autre part, elle présidera la 23ème réunion du Comité pour la Protection de l’Environnement (CPE) mis en place par le Protocole de Madrid. Depuis sa signature du Traité en 1959, la France a présidé la RCTA à seulement deux reprises : en 1968 et en 1989. Et après cette fois-ci, la prochaine présidence française se tiendra en 2050. Il ne faut donc pas rater la fenêtre d’action historique de cette année. Le Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques a raison d’alerter à ce sujet. La France est considérée comme une nation polaire majeure. Du moins pour l’heure. En effet, elle se classe au 2ème rang mondial pour les index de citations des articles scientifiques reposant sur des travaux de recherche conduits en Antarctique. Et se classe au 1er rang mondial pour les recherches conduites dans les milieux subantarctiques. Mais la réalité des moyens consacrés et des ambitions laisse craindre le pire.
Concrètement, il y a fort à faire. Tout d’abord, l’Institut polaire français Paul-Emile Victor dispose de moyens lamentablement insuffisants. En effet, d’autres nations investissent annuellement jusqu’à trois fois plus que la France pour remplir les mêmes missions logistiques et opérationnelles. Par ailleurs, la France dispose de deux stations de recherche en Antarctique : Dumont d’Urville et Concordia. Ces deux stations nécessitent urgemment un plan de rénovation et de modernisation. Des moyens supplémentaires sont également requis. Par exemple, la France est le seul pays du G7 à ne pas posséder de brise-glace en soutien à la recherche océanographique. Cet élément ne va pas dans le sens d’une volonté d’extension des aires marines protégées dans la zone.
Ces alertes du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques convergent avec les points soulevés dans mon rapport d’information nommé « Mers et océans : quelle stratégie pour la France ? ». Dans ce rapport publié en juin 2019, j’affirmais que « la France doit, en la matière, retrouver son rang de nation cheffe de file et porter au plus haut niveau sa volonté de voir ces régions dédiées à la science et à la paix. » Cette présidence française offre l’opportunité de réaffirmer la place de puissance polaire de notre pays. Il ne faut pas la laisser passer.