02.04.2021

Les questions sociales ? Voyons plutôt autre chose !

L’INA a réalisé une étude sur les sujets les plus discutés en 2020 à la télévision. Ils ont compilé l’ensemble des journaux des chaînes d’informations en continu ainsi que les journaux du soir des grandes chaînes. Un résultat nous intéresse tout particulièrement. Il s’agit de la baisse de la présence des sujets sociaux sur le petit écran. En 2020, ils n’ont représenté que 10% des sujets traités par les journaux télévisés. C’est une division par deux par rapport à 2019 où ils ne représentaient déjà que 20%.

La télévision n’est pas un miroir de la réalité. Dire cela est devenu une banalité. On sait par exemple que les cadres sont 15 fois plus présents à la télévision que les ouvriers. Les seconds sont pourtant plus nombreux dans la population. Mais au-delà de cette tendance déjà alarmante, on a l’impression que le point de vue télévisuel majoritaire décroche de plus en plus du monde réel. Ainsi, la chute des sujets sociaux se produit alors que déferle une crise sociale sans précédent dans notre histoire moderne. En 2020, un million de personnes sont tombées sous le seuil de pauvreté, un record. C’est aussi l’année où les 40 milliards d’euros d’aides publiques directes pour les entreprises ont eu pour résultat 2 000 licenciements par semaine. 3 millions de femmes, d’hommes et d’enfants supplémentaires ont eu recours à l’aide alimentaire pour survivre. Il a fallu les réseaux sociaux pour diffuser des images de files d’attente d’étudiants pour attendre une distribution alimentaire. Personne ne peut dire que les conditions sociales d’existence du grand nombre, l’emploi, le partage des richesses seraient des questions de moins en moins importantes dans nos vies. Au contraire, même la discussion sur la catastrophe écologique doit partir de la question sociale pour être sérieuse.

Mais pour quels autres thèmes les sujets sociaux ont-ils été écartés des écrans ? D’abord, évidemment, il y a le covid. A priori, cela paraît normal. L’épidémie est entrée brutalement en collision avec nos sociétés libérales. Elle a provoqué rapidement la saturation de nos hôpitaux. Et une réduction inédite de nos libertés. Il est bien normal d’en parler. Mais les journaux télévisés ne l’ont pas fait de n’importe quelle manière. Ils ont adopté un angle de discussion bien particulier. Il n’autorise que deux paroles : le gouvernement et les experts. Ainsi, l’étude nous fournit la liste des dix personnages les plus cités dans des journaux télévisés au cours du second semestre 2020. Six d’entre eux sont médecins. Les autres sont Emmanuel Macron, son Premier ministre, son ministre de la Santé et Donald Trump. Pas un responsable d’opposition. Pas un responsable syndical non plus.

L’autre option médiatique actuelle est de substituer des polémiques identitaires, généralement contre les musulmans, à la question sociale. Il en est ainsi depuis plusieurs années déjà. Quand une mobilisation sociale prend le devant de la scène, les polémiques absurdes sur les musulmans ou l’immigration servent à détourner l’attention. Ainsi, en 2016, en pleines manifestations contre la loi El Khomri, Manuel Valls avait lancé un débat sur le voile à l’université. En 2018, une polémique avait émergée sur le voile d’une militante de l’UNEF alors que les cheminots étaient en grève contre la privatisation de la SNCF. Début 2019, Macron avait choisi de répondre aux gilets jaunes en intégrant artificiellement dans son « grand débat » les questions de l’immigration et de « la laïcité ». Et ainsi de suite.

Depuis l’été 2020, les principales télévisions sont passées dans une autre dimension. Elles sautent à pieds joints dans toutes les polémiques déclenchées par l’extrême droite militante. Nous en avons eu un exemple certes pathétique, mais inquiétant avec la chasse aux sorcières islamo-gauchistes lancée dans la gauche politique, associative et syndicale puis à l’université. Combien d’heures d’antennes consacrées à ce sujet imaginaire ? De même, la rocambolesque et manifestement délirante histoire du professeur de Trappes dénonçant l’islamisation des coiffeurs de sa ville. Combien de sujets ont été réalisés et diffusés sur la base des propos fumeux de cette personne ?

Et surtout, que de questions découlent de ces choix : combien de plans sociaux ont été passés sous silence pour faire de la place à des délires identitaires ? Combien de sujets sur les coupures de chauffage ou d’eau, sur le délabrement des écoles, sur les inégalités n’ont jamais été produits ? Dans les mois de campagne qui viennent, nous devrons compter sur nous-mêmes pour remettre la question sociale au centre des débats du pays.

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