Discours prononcé devant le Parlement andin à La Paz (Bolivie) le vendredi 23 avril 2021 :
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le président Adolfo Mendoza,
À vous tous,
Je vous remercie de votre invitation, pour l’honneur que vous me faites avec cette prise de parole, et je commence à parler de mon sujet.
Nous vivons tous un moment particulier dans la vie de l’humanité. La pandémie soulève des questions entièrement nouvelles. Mais pas si nouvelles que cela. Au commencement, nous savons tous qu’il s’agit d’un fait biologique. Il s’agit d’un virus. Mais cela n’est pas nouveau. Nous savons que le virus ne provient pas seulement d’un fait biologique. C’est un fait social. C’est un modèle d’agriculture qui détruit la nature et provoque le passage du virus de la forêt aux animaux, et des animaux aux êtres humains. Il s’agit donc d’un fait social. Qui a décidé de détruire la nature sinon les êtres humains et une forme particulière d’organisation de l’agriculture ? Et avec la globalisation commence le fait nouveau : c’est qu’une épidémie localisée devient une épidémie mondiale. Et pour cela, le fait biologique, le fait social se transforme en un fait politique. Comment allons-nous agir ? Nous connaissons le moyen de lutte le plus efficace pour tous : le vaccin. Donc, tout se concentre sur une unique question : qui va être vacciné ? Et pourquoi certains oui et d’autres non ? C’est un fait social et politique.
Notre appel commun
Le 20 février dernier, avec Monsieur le Président Adolfo Mendoza, nous avons été signataires d’un appel international pour lever les brevets sur les vaccins contre la Covid. Nous étions mobilisés avec une soixantaine de responsables internationaux comme les ex-présidents Lula da Silva et Rafael Correa, entre autres, aux côtés de syndicalistes indiens, népalais ou européens.
Une revendication pour l’intérêt général humain
En lançant cet appel, en le renouvelant ici depuis votre parlement, nous participons à une mobilisation mondiale en faveur de l’intérêt général humain. Cette notion n’a rien d’abstrait. L’actualité le prouve. Il n’y a pas un peuple, un pays particulier qui puisse espérer sortir seul de la pandémie, sans prendre en compte la situation du reste du monde.
Nous sommes en train de le constater une fois de plus en ce moment avec les mutations du virus. Tous les virus mutent. Nous savons cela depuis longtemps. Ainsi, plus la Covid 19 pourra circuler, plus il produira de mutations. Et plus il sera capable de résister aux premiers vaccins. Dès lors les premiers vaccinés seront pris à revers par ces nouvelles formes du virus.
La vaccination générale reste donc la seule issue collective possible.
La proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud
Voilà pourquoi il faut vacciner le plus vite possible et tout le monde. Les riches comme les pauvres. Les peuples du nord comme les peuples du sud. Mais pour cela, le capitalisme, la propriété privée, la priorité aux profits financiers sont des obstacles. Les brevets en sont la forme juridique de cet obstacle.
Nous sommes donc de plus en plus nombreux à demander une décision mondiale sur les brevets et le droit pour tous à des licences libres. Ce n’est pas utopique. Dans mon pays, jusqu’en 1959 il était interdit de déposer des brevets sur des vaccins. En octobre dernier, l’Inde et l’Afrique du Sud ont déposé la demande de liberté d’accès auprès de l’Organisation mondiale du commerce. Ils sont soutenus par une cinquantaine d’États à travers le monde et par plusieurs gouvernements, ici, en Amérique latine. Le président de la Bolivie l’a fait hier avec des mots particulièrement convaincants.
Brevets et prix trop chers
Mais les États-Unis s’y opposent. L’Union européenne suit cette position égoïste. Leur attitude est uniquement destinée à protéger les profits des grands laboratoires privés américains. La firme Pfizer gagne une marge de 30% avec son vaccin. Ses dirigeants prévoient 15 milliards de dollars de profits rien qu’avec ce vaccin en 2021. La conséquence est terrible.
La majorité des pays ne peuvent pas payer ces prix comme le font les États-Unis ou l’Europe. De ce fait, de nombreux pays, en Afrique et en Asie centrale, n’ont toujours pas commencé la moindre campagne de vaccination. Et les 50 pays les plus pauvres de la planète n’ont reçu que 0,1% des doses. Enfin le Président bolivien, Luis Arce, a montré que les pays déjà écrasés par leur dette n’ont pas les moyens de financer ces achats de vaccins. Et nul ne propose de les y aider. On voit alors que le niveau de la dette publique de ces pays est un obstacle à la sortie de la crise sanitaire pour tout le reste du monde.
Brevets et sous-production
La conséquence des brevets est la rareté des vaccins distribués. Mais la rareté des vaccins disponibles résulte aussi du manque de production. Les brevets empêchent de faire produire toutes les usines qui pourraient pourtant le faire. Des millions de doses ne sont donc pas produites. Ainsi la cupidité du Big Pharma va aggraver le bilan de cette épidémie.
Big Pharma s’approprie le travail de l’Humanité
Les multinationales revendiquent la propriété privée d’une connaissance scientifique. Elles n’ont aucune justification pour le faire. Le vaccin est avant tout le produit de la recherche médicale mondiale. En janvier 2020, des scientifiques chinois ont réalisé le séquençage ADN du virus. Immédiatement, ils ont mis leurs résultats en accès libre et gratuit. Depuis, des centaines d’équipes des universités et des laboratoires du monde entier ont fait la même chose. L’exploit d’avoir développé aussi rapidement des vaccins est le fait de la coopération scientifique à l’échelle mondiale, pas de la concurrence, du marché ou du capitalisme. Certains États ont par ailleurs financé directement les essais cliniques des laboratoires privés. Ainsi dans les faits, Big Pharma s’approprie le travail de tous les peuples. Ses entreprises imposent un tribut odieux aux peuples et aux gouvernements du monde : soit vous payez pour nos actionnaires, soit vous laissez mourir les gens chez vous.
Nous sommes le peuple humain
Nous devons, sans pause, accentuer la pression pour obtenir la levée des brevets. Mais nous ne devons pas oublier de traiter les causes de cette pandémie. Elle est la conséquence du modèle agricole productiviste. Au point de départ, on trouve des destructions de la nature qui poussent les animaux sauvages vers les zones urbanisées et les élevages industriels de l’agro-business. Ainsi, les virus passent des uns aux autres et ensuite aux êtres humains. Après cela, ces zoonoses transitent par la globalisation du commerce mondial. On voit une fois de plus combien l’écosystème forme un tout dans lequel les paramètres environnementaux, sociaux et sanitaires se superposent en permanence.
La bataille pour l’abolition des licences sur les vaccins est une des premières mobilisations politiques mondiales regroupant des gouvernements et des organisations citoyennes. Elle oppose clairement l’intérêt général humain aux intérêts particuliers qui prétendent décider du sort de l’humanité en totale irresponsabilité. Elle permet la formation d’une conscience commune, sans frontières ethniques ou religieuses.
Dans ce sens, notre mobilisation contribue à construire ce que l’on peut appeler le « peuple humain ». Ce peuple est alors le résultat de la prise de conscience d’être uni par une communauté de destin sanitaire et environnemental. Dans ce cas notre patrie est la Terre. Et c’est notre devoir d’organiser par des lois internationales la primauté des droits de ce peuple, de son intérêt général sur tout autre intérêt particulier. La capacité de déclarer un état d’urgence sanitaire mondial doit être confiée à un organisme des Nations unies. L’OMS par exemple. Mais il s’agit bien de permettre une prise de décision politique. Pas simplement d’un pouvoir d’alerte. Au demeurant il existe déjà. Il s’agit bien de rendre possibles des mesures telles que la levée des licences et d’autres choses encore qui procèdent de cette même logique de loi mondiale d’intérêt général humain.
Une fois de plus de la situation en cours peut venir encore le pire. Mais le meilleur aussi est à portée de main si la volonté politique existe. Et cela commence par des décisions comme celle que vous avez prise au nom des peuples andins en faveur des licences libres.