Au Mali, il y a 5 000 militaires français engagés. Nous y avons perdu déjà 50 soldats. Des centaines de civils Maliens y sont morts dans les combats ou comme victimes des actions de guerre en marge des opérations militaires. Aucun responsable politique français ne peut se désintéresser de ce qui se passe dans ce pays. Un seul et unique vote de l’Assemblée nationale depuis sept ans ! Depuis des mois nous, les députés Insoumis, nous réclamons que notre pays dise clairement à quelles conditions politiques les militaires français quitteront le Mali. Nous mettons en cause l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons si ce plan n’est pas connu. Sinon, le risque de guerre sans fin nous menace. Et depuis le début nous disons qu’il ne peut être question de partir sans que ce plan soit connu. Le départ dépend de cela. Hier, soudain, le gouvernement français a annoncé la suspension de la coopération militaire bilatérale de la France avec le Mali. Et cela « à titre conservatoire et temporaire ». Cette décision entraîne l’arrêt automatique des opérations de la force Barkhane avec l’armée malienne.
Elle est étrange, irresponsable face à l’ennemi, et inapplicable en réalité. Que se passe-t-il ? Cette décision est prise par Macron après une déclarations le 30 mai affirmant que les Français se retireraient du Mali si la « légitimité démocratique » du pays n’était pas rétablie. Il condamnait ainsi le nouveau coup d’État qui vient d’avoir lieu le 24 mai. En effet, une nouvelle fois des militaires mécontents ont démis de leurs fonctions un président et un Premier ministre eux-mêmes mis en place par des militaires putschistes. Désormais, le colonel Assimi Goïta a annoncé qu’il s’investirait lui-même président de transition le 7 juin. Et comme il a laissé planer le doute sur la tenue des élections initialement prévues en février 2022, tout le monde a compris qu’il n’y en aurait plus.
Une fois de plus la macronie est prise de court, incapable de prévoir un évènement pourtant préparé de longue main semble-t-il. Aucune alerte ne semble avoir été déclenchée après que Macron ait lui-même personnellement adoubé au Tchad (et en se rendant sur place pour le faire), un autre putschiste, un général fils du maréchal-président tué, Idriss Deby. Personne ne semble avoir prévenu le président français qu’il avait ainsi envoyé un signal singulièrement encourageant pour tous les aventuriers de la région. Personne ne semble s’être soucié de savoir qui était en train de se préparer.
Au Mali, ce nouveau putsch est la suite logique de la séquence ouverte le 18 août 2020, par un coup d’État déjà. Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, au pouvoir depuis 2013 avait été mis en place par le gouvernement français. L’oligarchie corrompue qui entourait IBK détournait aussi les moyens de la lutte contre les groupes armées qui semaient le chaos dans toute la moitié nord du pays. Unanimement rejeté, IBK ne tenait que par le soutien du gouvernement français totalement aveuglé jusqu’à la dernière minute. Des militaires maliens ont alors fait un putsch aux acclamations générales. En réalité les militaires n’avaient fait que détourner à leur profit l’immense insurrection citoyenne portée par une coalition des forces politiques et de la société civile, le M5-RFP. Grâce à des semaines de mobilisation de tout le peuple malien, le M5-RFP était venu à bout de la légitimité d’IBK.
Pris de vitesse, dépassé, le gouvernement français avait alors négocié avec les militaires la nomination des deux dirigeants civils qui viennent d’être à nouveau renversés. Divisé sur la marche à suivre vis-à-vis du nouveau régime de transition, et exclu sur injonction de la France du nouveau gouvernement, le M5-RFP a été affaibli. Mais la mobilisation historique qu’il a initiée en 2020 restera une référence. Et c’est alors un point d’appui majeur pour les mobilisations citoyennes qui rejailliront forcément à court ou moyen terme compte tenu de la situation du pays. Le peuple malien n’est pas une masse amorphe qui passe d’une main à l’autre sans réaction. Car la question du manque de « légitimité démocratique » des autorités maliennes n’est pas nouvelle. Elle a été posée en premier lieu par le seul acteur légitime de cette histoire : le peuple malien lui-même. Ce dernier ne semble pas rentrer dans les équations du gouvernement français. Le constat de la décomposition d’un État malien dont l’incapacité à remplir ses fonctions de base est une des causes majeures de l’insécurité dans le pays, est encore plus ancien.
La décision de Macron de suspendre la coopération militaire, une nouvelle fois prise sans aucune concertation avec la représentation nationale. Elle sent fort l’improvisation et la précipitation, après des années de déni et d’immobilisme des autorités françaises sur la situation réelle du Mali et l’enlisement politique au Sahel. Dès l’entrée en guerre de la France au Mali en janvier 2013 j’avais alerté sur l’absence de stratégie et sur l’irresponsabilité de placer notre armée face à une équation qui paraissait impossible à résoudre. Toutes les « guerres au terrorisme » menées depuis 20 ans, notamment par les États-Unis, ont été des échecs cinglants qui n’ont fait que décupler la menace qu’elles prétendaient éradiquer. La lutte contre les organisations terroristes est avant tout une affaire de renseignement, de police, de justice, de développement économique, de lutte contre la crise écologique, de justice sociale etc. La dimension militaire ne peut y représenter qu’une partie d’un tout cohérent sur le plan stratégique. Et elle doit être l’affaire des armées locales, avec l’aide de l’ONU.
C’est pourquoi ces dernières années j’ai avec mes collègues Insoumis rappelé à de nombreuses reprises la nécessité d’établir, en lien avec les autorités maliennes, un calendrier politique de retrait de l’armée française. En vain. Ainsi fonctionne notre monarchie républicaine, où l’engagement, le maintien, le retrait de notre armée de théâtres de guerre sont décidés par un homme seul.
L’engagement de notre pays au Mali ayant été décidé de manière irréfléchie, je plaide depuis des années pour son retrait. Mais celui-ci ne peut être improvisé. Un retrait immédiat, sans plan, sans calendrier, sans objectifs clairs, pourrait plonger des zones entières du Mali dans l’anarchie ou sous la coupe des djihadistes. Ce retrait doit être organisé sur une période permettant notamment la montée en puissance de la souveraineté populaire des Maliens et celle de l’ONU et des armées locales. Et il ne peut se faire sans tenir compte des aspirations démocratiques du peuple malien. La question de la « légitimité démocratique », au Mali ou ailleurs, n’est pas un gadget à géométrie variable que le président de la France peut brandir ou mettre sous le boisseau au gré des circonstances. Et l’organisation d’élections libres et contrôlées sont la seule issue acceptable aux impasses politiques.