La crise polonaise tape à notre porte

La décision de la Cour constitutionnelle polonaise contre la primauté du droit européen fait parler. À juste titre. Il y a dans les commentaires un méli-mélo de refrains bien connus. Je pense qu’il ne sont pas toujours vraiment adaptés au cas dont il est question. Zemmour, Le Pen et Montebourg se sont précipités pour dire leur approbation de la décision polonaise. Je le comprend des deux premiers et bien moins du troisième.

En effet pour moi, toute les mises à distance des impératifs de l’Union européenne ne se valent pas. J’ai protesté quand le Royaume Uni a demandé l’opt-out des clauses sur le temps de travail maximum à quarante-huit heures par semaine. Pourtant, je trouvais que 48 heures c’était trop. Pourtant aussi je n’approuvais pas la nouvelle charte sociale européenne. L’essentiel à mes yeux est de juger des affaires dans leur contexte et dans leur portée réelle. Permettre à un État de faire travailler ses salariés plus de 48 heures par semaine, c’est manquer de solidarité avec ces travailleurs. Et c’est aussi permettre une forme de dumping social. Pourquoi aurais-je dis «chacun fait ce qu’il veut» alors que je dis le contraire à toute occasion en matière de droits de l’homme et de droits sociaux ? Bref, lutter pour la liberté n’exempte pas d’apprécier à quel sujet s’applique la liberté réclamée !

Quel genre de liberté réclame le gouvernement de Pologne face à la Commission européenne ? Il s’agit d’une réforme de la justice qui, selon la Cour de justice européenne, entrave l’indépendance des juges polonais. Comme le régime polonais est très réactionnaire et de plus en plus méprisant des principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés comme Insoumis, il ne peut être question d’encourager un tel régime dans son action. Notamment à propos de justice, d’immigration et d’environnement comme c’est le cas à cette occasion. C’est là un enjeu aussi important que le droit de ce pays à s’administrer comme le veut sa majorité politique. Ce n’est pas tout. Notre critique du néolibéralisme institutionnel de l’Union européenne n’est pas confinée à la seule sphère économique. Elle inclut tous les aspects de violation des droits sociaux et politiques que cette orientation contient. Il ne peut donc être question d’accepter la tolérance d’État autoritaires qui seraient dans l’Union et participeraient aux décisions qui s’imposent à tous les autres comme à nous.

À mes yeux, la meilleure manière de plaider la sortie des traités actuels n’est pas de soutenir la Pologne mais de combattre sa politique sans se laisser entrainer dans sa diversion. Car la Pologne ne réclame pas la sortie des traités qui régissent Union mais leur application stricte sans ce qu’elle considère comme des débordements hors du champ de compétence de l’Union ! Si nous acceptions ce raisonnement, que ferions-nous dans une Union qui accepterait des pratiques contraires aux principes démocratiques fondamentaux à nos yeux imprescriptibles, traités ou pas  ? N’avons-nous pas attendu la chute de Franco pour proposer l’entrée de l’Espagne dans l’Europe des 12 ? La Commission européenne a beau jeu de dire qu’elle «ne permettra pas que les citoyens polonais soient privés des droits que l’union garanti». Cela quand elle les prive des acquis sociaux dont ils jouissaient auparavant comme nous le voyons a toute occasion sur les retraites par exemple !

Cependant, ce raisonnement ne suffit pas pour analyser la situation qui résulte de la décision polonaise. En effet c’est la deuxième fois qu’une cour Constitutionnelle nationale remet en cause l’autorité supra-nationale du droit européen. La fois précédente, ce fut celle de l’Allemagne à propos de la politique de la banque centrale européenne. La décision polonaise monte le ton d’un cran. Dans ces conditions, nous nous rapprochons du moment où ces oppositions remettront en cause l’Union elle-même. Et sinon, au minimum, sa logique interne depuis plus de trente ans. Le processus d’intégration toujours plus étroite dans le cadre des traités essentiellement était voué à construire et protéger un marché unique. Et seulement cela. Cette réalité est mise à nu par ces mises en cause allemande et polonaise. Rien d’autre n’est en cause pour ces deux pays. Les désobéissants actuels ne veulent pas d’une autre Europe que celle du marché unique. L’Europe des droits ne les intéresse pas. Ils n’en veulent pas. C’est de l’ordo-libéralisme pur. Et c’est eux qui ont la position forte. En effet ils réclament l’application des traités et des traités seulement. Mais «les-traités-seulement» c’est une construction globale où l’exclusion des droits sociaux et démocratiques du champ d’application fait partie de leur raison d’être. Ce que les chantres du droit européen font mine de découvrir.

Mon point de vue est qu’il faut acter la situation de blocage. Le cas polonais est le résultat de la nature de l’Union et non sa contradiction. Pour autant, nous ne devons pas approuver les motivations polonaises car elles nous interdiraient demain de nous prononcer contre d’autres évolutions autoritaires chez nos « partenaires » dans l’Union, que nous soyons au pouvoir ou dans l’opposition. Ce n’est pas tout. Un traité se distingue d’un autre document signé à échelle internationale dans la mesure ou par définition il s’impose à la loi nationale. Il y a une expression latine en usage courant sur ce point : «Pacta sunt servanda». Cela signifie qu’une fois signé, un contrat doit être respecté de bonne foi par les parties qui l’ont signé. Ce principe a valeur constitutionnelle en France depuis 1992 et une décision qui avait fait couler beaucoup d’encre… Il remonte à la lettre même de la Convention de Vienne de 1969 où il est dit sans détour  qu’aucun obstacle juridique du droit interne ne peut être opposé à l’application d’un traité. Et c’est bien ce que nous faisons tous les jours par exemple avec la Charte des nations Unies.

Si nous gouvernons le pays, nous devrons donc respecter la parole donnée dans de très nombreux domaines, sauf à rompre les accords qui nous engagent à leur sujet. Et c’est bien notre intérêt que les parties liées à nous en fassent autant. C’est pourquoi nous devons annoncer sans détour avant l’élection quels traités nous comptons rompre et sur quels points. Par exemple celui de l’organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Pour ce qui est de l’Union européenne, dire que la loi nationale s’impose face aux décisions européenne n’a pas de sens. Ou plus exactement il faut dire soit ce que l’on ne veut plus appliquer et observer ce qui reste alors des traités conclus, soit ce que l’on fera et qui n’est pas conforme aux traités. C’est ce dernier choix le nôtre. Nous disons que nous désobéirons sur tous les sujets qui auront été adoptés avec notre programme. Nous le feront en appliquant la clause « opt-out ». Cela ne fait pas de nous des sortistes de l’Union européenne. En effet nous sommes conscients que l’Union sans la France c’est le règne de l’Allemagne sur le continent. On a déjà connu il y a longtemps, au temps du Saint-Empire romain-germanique, au temps des Habsbourg comme Charles Quint enserrant la France de François 1er. J’en passe…

Dans ces conditions la logique de notre position (désobéissance, plan A plan B) est fondée sur la construction de rapport de force dans le but de rendre absolu des principes communs favorables aux peuples. Par exemple (je dis bien «par exemple») la règle suivante qui pourrait être adoptée par tous : aucune décision ne s’applique quand elle est de moindre avantage que l’ordre juridique national. Comme cela se comprend, cette clause de non régression sociale ou démocratique n’a rien à voir avec un chèque en blanc ni, à plus forte raison, avec une autorisation de déroger aux principes fondateurs de la démocratie.

J’invite donc à se méfier des solidarités sans conditions avec les régimes autoritaires de l’Europe de l’Est comme la Pologne et la Hongrie. Dans la réplique à leur faire,  je crois que les Français ne doivent rien faire qui ne puisse valoir aussi (s’ils le souhaitent) pour toutes les autres parties prenantes de nos accords actuels. Notre choix n’est ni le chaos, ni le Frexit de principe, ni la soumission aux traités actuels, ni la fumeuse attente résignée d’une renégociation générale. C’est l’application des décisions du vote populaire et donc l’opt-out pour tout ce qui lui fait obstacle.             

Rappeler notre intention de désobéir si l’Union nous imposait de renoncer à l’application de notre programme. Comme on le sait, pour chaque cas concernés nous demanderions  la clause « opt-out ». Notre revendication de la sortie des traités peut alors prendre la forme d’une discussion générale sur leur contenu et la force de leur application

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