Guadeloupe : la dernière alerte avant la contagion

« Gouverner c’est prévoir », dit l’adage. Reconnaissons que ce n’est pas toujours commode de prévoir. Mais pour ce qui concerne la Guadeloupe, rien n’était plus facile. À l’épaisse couche de problèmes laissés aussi à l’abandon que les populations s’est ajoutée, depuis, la crise sanitaire qui, avant tout incident, avait déjà valu à l’île d’être qualifiée de situation de maltraitance sanitaire.

Depuis lors, pendant quatre semaines chaque semaine, les Guadeloupéens sont descendus dans la rue pour exiger le dialogue avec l’autorité publique, celle du gouvernement et de l’État. En vain. Pire, le gouvernement a décidé d’appliquer sans faille la suspension des personnels soignants et pompiers qui refusent de se vacciner. Au passage, comme d’habitude, on aura eu droit à la grosse campagne de calomnie sur le personnel irresponsables bla-bla-bla en oubliant de dire que 85% est vacciné ! On est loin de la fameuse injonction de l’OMS : « convaincre plutôt que contraindre ». La campagne de conviction est un échec total. 65 % de la population n’est pas vaccinée et rejette le vaccin. Solution ? Pour le gouvernement c’est simple : le passage en force. Et par la force. À croire que les incidents étaient souhaités. Ils n’ont pas tardé à se voir. Ils servent à présent de prétexte pour un déploiement totalement disproportionné et spécialement arrogant de la force. Avec 50 hommes du GIGN et du RAID envoyés sur place par-dessus le marché pour laisser croire à un risque terroriste qui n’a jamais existé.

Aussitôt, l’habituel marteau-piqueur médiatique s’est mis en place « vous condamnez la violence ? », « vous dénoncez les pillages ? » mettant toute personne à contribution pour isoler et flétrir la Guadeloupe et réduire le mouvement social qui s’y déroule à une émeute irresponsable. On ne saura rien alors de l’état d’abandon et de violences sociales dont sont victimes depuis des années les gens sur place avec une patience inouïe, quoique les mouvements contre la profitation aient pourtant largement sonné l’alerte.  2009 : 44 jours de grève et barrages routiers contre la vie chère. Juin 2019 : barrages au Gosier contre les coupures d’eau + pétition lancée par le « Comité de défense de l’eau et des usagers en Guadeloupe ». Juillet 2019 : grève des soignants du CHU pour dénoncer le manque de moyens humains et matériels, soutenue par 80% de la population. 2021 : 4 mois de mobilisation contre le passe sanitaire et la gestion sanitaire sans réponse. Autant de signaux d’alerte de premiere grandeur. En vain.

Alors le fond remonte à la surface et l’exaspération emporte tout. Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. On relève 60% de chômage chez les jeunes. On les a confinés, contrôlés, frustrés, assommés d’ordres et d’injonctions depuis deux ans. Vie nulle, vie entravée, vie perpétuellement infantilisée. Le tout dans un environnement qui chaque jour témoigne, avec les coupures d’eau, de l’incurie de tous les pouvoirs qui donnent sur ce ton moralisateur leurs consignes. La crise de l’eau n’en finit pas. 60% de l’eau courante est perdue en fuites dans le réseau. Dans la vie de chacun, ce sont les coupures à répétition et les « tours d’eau » par zone. À la rentrée 2020, 44 écoles ont dû fermer faute d’approvisionnement en eau. Comment appliquer les gestes barrières ? Paris s’en fout. La Guadeloupe est pourtant la région où la facture d’eau est la plus élevée. 800 euros de facture moyenne par an, contre 550 euros au niveau national. Il faudrait un milliard d’euros pour réparer les canalisations et le système d’épuration. Un milliard pour assurer le minimum vital en dignité. Mais le « quoiqu’il en coûte » n’intègre pas la dignité des Guadeloupéens.

À preuve le sous-investissement permanent dans les territoires ultramarins. L’investissement moyen de l’État par habitant est de 116,29 euros en Outre-mer, contre 176,40 en moyenne à l’échelle nationale. Ça ne va pas s’arranger. En 2019, deux tiers des 32 communes de Guadeloupe approchaient de la banqueroute. Tout cela et combien d’autres choses ont rendu odieux le quotidien. Comme le prix de la vie, les excès de sucre dans l’alimentation vendue dans les grandes surfaces, les monopoles privés insupportables, l’impunité du scandale du chlordécone qui a tué et tue encore.

Peut-être est-ce le chlordécone qui a tué toute confiance dans la parole officielle sur l’île. Le scandale du Chlordécone reste à vif. Ce pesticide utilisé à gros bouillon dans les bananeraies. Il a été interdit en 1990 en métropole et en 1976 aux USA. Mais seulement en 1993 aux Antilles, le temps de vendre tout le stock.  Sa toxicité était pourtant connue depuis les années 70. Désormais, 90% de la population est contaminée. Il y en a partout. Dans l’eau, sur la terre, dans l’air. tout au long du cycle de l’eau. La durée de vie du chlordécone ? 700 ans. Sur place à la tête d’une commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, la présidente du groupe LFI Mathilde Panot a fait du bon boulot d’alerte et de préconisation.

Là dessus arrive la pandémie. L’abandon sanitaire éclate alors aux yeux de tous. Toutes les infrastructures sont vétustes. Le CHU a subi un incendie en 2017 et il a subi comme tout le monde les coupures d’eau pendant la pandémie. Un nouveau CHU doit voir le jour. Il paraît que ce sera en 2022. En Guadeloupe, il y a 354 médecins pour 100 000 habitants, contre 437 à l’échelle nationale. Il y a 48 lits d’hôpital pour 10 000 habitants contre 60 pour l’Hexagone. Oui : 20 % de moins. Pourquoi ? Ce qui se joue à présent c’est la contagion. D’abord aux autres DOM et TOM. Sur ce point, c’est déjà bien amorcé. Ensuite à l’hexagone. Ça vient. La même bêtise aveuglée produira partout le même effet.

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