On m’a offert un pot de sel. C’était déjà curieux. Mais le petit papier accroché l’était encore plus : « on ne doit pas dénaturer le sel biologique ! ». Si l’objectif était d’interpeller, l’affaire est rondement menée. Naturellement, j’ai été voir de plus près. Sans surprise, c’est encore une histoire de règlement européen libéral.
Celui-ci prévoit d’élargir la liste des produits pouvant obtenir un label bio. Le sel en fait partie. Mais au point de départ, seul le sel marin, produit par évaporation naturelle de l’eau de mer, devait être concerné. Cette possibilité d’obtenir une certification biologique aurait dû être la garantie d’une qualité et de méthodes de production écologiques. Le sel marin français est issu des salins de l’Atlantique et de Camargue essentiellement. Cette pratique artisanale remonte au moins à l’époque gallo-romaine. La récolte se fait toujours à la main et sans produits chimiques. Un millier d’emplois en dépendent en France.
Cela devait les distinguer de toute autre production de sel, considérée comme une production minière. En effet, sur 7 millions de tonnes produites chaque année dans le pays, une infime quantité de sel de mer récolté de manière artisanale se retrouve sur notre table. Le reste est soit un sel marin récolté de manière mécanique auquel sont ajoutés des additifs, soit un sel gemme, c’est-à-dire minier. L’essentiel est destiné à l’industrie chimique et du plastique, à l’agro-industrie et au déneigement. Depuis 2019, les paludiers artisanaux français sont considérés comme des agriculteurs.
Mais les lobbys du sel industriel ont réussi à mettre leur grain de sel dans le projet de texte européen. Désormais, la majorité des méthodes de production de sel dans l’Union européenne pourraient être éligibles au bio. Par exemple, le sel minier. Celui-ci est essentiellement produit en Allemagne, Pologne, ou encore Autriche. Certes, ce sel est très pur. Mais ses méthodes de production sont loin d’être durables. En effet, son extraction s’effectue par forage et utilise de grandes quantités d’eau sous pression.
En clair, ce sujet oppose les pays d’Europe du Sud producteurs de sel marin artisanal (France, Espagne, Portugal) et les pays plus à l’Est producteurs de sel minier. L’Association Francaise des producteurs de sel marin de l’Atlantique (AFPS) a tiré la sonnette d’alarme à juste titre. En effet, l’attribution d’un label bio à tous les producteurs de sel, y compris à bas coût social et environnemental, signerait l’arrêt de mort de la filière de sel marin artisanale française.
Au-delà, cette histoire interroge le sens de la certification « bio ». C’est une question qui dépasse le seul sujet du sel. En effet, il est évident que l’agro-industrie cherche par tous les moyens à se repeindre en vert. S’immiscer dans les labels censés les débusquer fait partie de la stratégie. Le niveau d’exigence de ce label doit donc être augmenté. Sinon, le risque est celui d’une perte de légitimité totale de l’étiquette « bio ».
La Commission européenne doit présenter une nouvelle mouture le 8 mars. En toute hypothèse, il faut espérer que le message lancé par les producteurs artisanaux à travers une résolution de l’Assemblée nationale adoptée le 23 février aura été entendu. En cas contraire, il faudra désobéir pour protéger les intérêts français. Le moment venu, nous appliquerons le principe de non-régression écologique et sociale : aucune norme européenne ne s’appliquera si elle est moins ambitieuse qu’une norme nationale. Nous mettrons en œuvre l’Avenir en commun quoiqu’il arrive.