Le 6 mai dernier, Michel Guerrin, rédacteur en chef au Monde, a publié dans ce journal une chronique sidérante. Loin du journalisme, l’auteur écrit un pamphlet sur le ton, le rythme et les à peu près insultants de la presse d’extrême droite.
Ce papier est intitulé : « Le profil culturel de Jean-Luc Mélenchon indigne certains au PS et inquiète nombre de responsables du secteur artistique ». C’est une véritable pièce de propagande reprenant tous les ragots des milieux identitaires, du zemmourisme au Printemps républicain. Ceux-là ne supportent pas, avec la Nouvelle Union populaire, la possibilité de la victoire du bloc populaire aux élections législatives. Ils ne supportent ni la puissante résistance antiraciste que nous opposons à leurs délires ni les revendications sociales que nous mettons sur le devant de la scène. C’est pourquoi ce papier hargneux du « Monde » est significatif de la campagne de boules plus ou moins puantes qui a lieu désormais à chaque campagne électorale. Sa méthode ? Enfiler les outrances et les inventions comme des perles sur un collier. Et cela en se disant qu’il en restera bien quelque chose dans l’esprit du lecteur. Tout en encourageant d’autres à en faire autant ou davantage, autorisé par la vieille gloire passée du « Monde » .
Répliquer, ce serait bien sûr nous entraîner dans des débats identitaires absurdes. Le rêve de l’éditorialiste faute de talent de plume : provoquer un buzz. Mettre mon nom dans un titre garantit déjà une bonne audience, tout le monde le sait. Parfois, c’est le seul moyen pour faire parler de soi. Ici c’est particulièrement vrai. En effet le titre du tract est une publicité mensongère. Il annonce une critique argumentée et appuyée d’avis d’experts de mon programme sur la culture. Or, il n’est en réalité pas question de mon programme culturel, sauf pour trois lignes au début où il est dit que l’objectif de porter le budget de la culture à 1% du PIB représente une « hausse astronomique ». C’est pourtant la revendication historique et consensuelle des milieux engagés de la culture. Mais surtout, il n’y a aucun « responsable du secteur artistique » cité au fil de l’article. Aucun. Une telle « info » est donc un ragot, une rumeur peut-être.
Ainsi, même le lecteur de droite désireux de trouver des arguments contre nous se trouve arnaqué par un tel article. Quant aux trente-cinq pour cent de lecteurs du « Monde » qui ont voté Mélenchon à l’élection présidentielle, les voilà bien prévenus de l’intérêt de changer de journal pour s’informer.
Michel Guerrin enchaîne donc les clichés et les mensonges sans aucun rapport avec le thème annoncé. Ainsi, le problème avec mon « profil culturel » serait « la question identitaire chez les insoumis ». Sans transition, il cite en une phrase l’organisation d’une conférence, il y a 5 ans, lors des AMFiS 2017 intitulée « Faut-il dégager les médias ? ». On comprend que c’est un reproche même s’il n’est pas ici expliqué. Il s’agissait pourtant d’une conférence pro-pluralisme qui discutait les possibilités de faire émerger de nouveaux médias alternatifs aux dominants actuels du système médiatique. Un sujet, qui, au contraire de ce qu’il semble insinuer, est également très répandu et populaire dans le monde de la culture qui subit lourdement l’étouffoir des monopoles médiatiques.
Passant à tout autre chose, il m’accuse de ne pas m’être exprimé à propos d’une polémique sur la représentation d’une pièce de théâtre dans une université en 2019. Là serait bien la preuve de ma complaisance avec de dangereux personnages ! Bien sûr, mon absence de parole ne prouve qu’une chose : je ne m’exprime pas sur tout. Lorsque cette pièce a fait polémique, j’étais occupé à essayer de faire parler d’Europe, des traités, du travail détaché, du libre-échange, dans le cadre de la campagne des élections européennes ! Qu’importe tous ces sujets, puisque selon l’éditorialiste du « Monde » je refuse de rompre avec le « wokisme » et la « cancel culture ». Il est vrai que j’ai découvert et appris le sens de ces mots que très récemment. Et je dois dire que je n’ai toujours pas compris ce qu’on reprochait à ceux qui se veulent « éveillés » aux injustices et aux discriminations. Je connais d’ailleurs « nombre de responsables du secteur artistique » qui le sont aussi ! Quant à ma plaisanterie sur « la “cancel culture” qui en France a commencé en 1789 : on a foutu par terre la Bastille ! », que Michel Guerrin pointe de doigt comme une preuve certaine de ma vocation de censeur révolutionnaire, je la trouve toujours aussi bonne.
Bien sûr, dans la même émission, j’ai précisé que j’étais avant tout pour le débat contradictoire autour de notre histoire, et nullement pour son effacement. M. Guerrin ne le précise pas. Comme il ne précise pas que j’ai pris position contre l’interdiction de conférences de personnalités jugées trop à droite dans les universités, notamment à l’occasion de l’annulation de la venue de Sylviane Agacinski à l’université de Bordeaux en septembre 2019. Monsieur Guerin, de son côté, n’avait rien dit sur le sujet. Je crois que monsieur Guérin s’est contenté de recopier une feuille d’éléments de langage qui lui aura été fournie.
Il me reproche ensuite d’avoir « soutenu avec virulence les réunions non mixtes racisées » de l’UNEF. Là encore, il s’agit bien sûr d’un sujet essentiel et déterminant. Et d’un mensonge de plus. En fait, à l’époque, il faut se souvenir qu’un piège médiatique tendu par une radio du groupe Bolloré avait mené à des demandes de dissolution de l’UNEF. J’avais donc en effet défendu le syndicat étudiant lorsqu’il était sous le feu de l’extrême droite. Une attitude classique et même banale pour un leader de gauche. J’avais, c’est vrai, précisé que les groupes de parole non mixtes n’étaient pas nouveaux puisque déjà dans les années 1970 le mouvement féministe les utilisait. Voilà toute ma « virulence ». Mais je connais ce genre de petit bourgeois pontifiant. Ils ne supportent pas qu’on ne leur obéissent pas. Ils se pensent comme les références obligées de la bonne pensée. Il vous vendent leur journal non pour vous informer, mais pour vous donner des consignes.
M. Guerrin reprend après cela la rengaine sur mon soi-disant changement de position sur la laïcité. C’est le refrain du Printemps républicain. Mais il commence par me qualifier de « laïcard », ce qui est une expression insultante inventée par l’extrême-droite pour disqualifier le camp laïc auquel je m’enorgueillis d’appartenir depuis toujours. Il me jette ensuite à la figure, comme c’est original, ma participation à la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie. Il montre sa totale ignorance en voyant dans cette manifestation un « revirement complet ». Au contraire. J’ai toujours manifesté mon soutien lorsque des actes violents et racistes étaient commis à raison de la religion. Mais à l’opposé de monsieur Guérin je ne choisis pas entre les religions des Français. Je manifeste quelle que soit la religion concernée. J’ai manifesté en hommage à Mireille Knoll, victime d’un horrible assassinat antisémite. J’y ai été insulté ainsi que les femmes de notre groupe. Monsieur Guérin n’a alors rien dit ni écrit ce qui en dit long sur sa sous-estimation des penchants sexistes et misogynes des membres de la Ligue de Défense Juive qui nous menaçait ce jour-là en pleine rue et sous la protection de la police et du commissaire Mizerski, l’adjoint de monsieur Benalla. J’ai manifesté ma solidarité aux catholiques après l’attentat de la cathédrale de Nice. Et j’ai donc participé à cette manifestation qui avait lieu en réaction à une tentative d’attentat contre la mosquée de Bayonne. J’y étais aux côtés du PCF, de EELV, de la CGT, de l’UNEF, d’ATTAC ou de la Ligue des Droits de l’Homme. J’y ai surtout vu des drapeaux bleu blanc rouge, des pancartes avec la devise républicaine et entonné à l’unisson avec la foule une Marseillaise émouvante. Monsieur Guérin lui ne chantait pas la Marseillaise avec tout le monde apparemment.
L’auteur n’oublie pas de me prêter, derrière ces gestes politiques, des intentions sales. Tout cela, je ne l’aurais fait que pour plaire à une clientèle puisque cela m’aurait « permis de dépasser les 50 % de voix (…) dans des villes comme Trappes, Gennevilliers, Aubervilliers ou Bobigny ». Il reprend, sans le dire, la rengaine du « vote communautaire » qui réduit certains citoyens à leur religion parce que celle-ci est l’islam. En réalité, les quartiers populaires ont voté pour l’Avenir en commun car ce sont là que se trouvent les plus pauvres et les plus précaires. C’est avant tout un bloc social qui se retrouve dans le programme de ses intérêts. Mais cela, Michel Guerrin ne peut pas le voir. Ce n’est pas son sujet. Sinon il aurait pointé comment son propre journal avait à l’époque noté avec satisfaction que monsieur Hollande avait recueilli 82% des voix des quartiers en 2012.
Enfin, vient la dernière accusation, qui complète le chapelet des calomnies contre nous : l’antisémitisme. Ici, l’auteur prétend, sans démonstration que je « minore l’antisémitisme ». Il se permet de le faire sans préciser dans son propos la moindre preuve, de citer le moindre cas où j’aurais effectivement « minoré l’antisémitisme ». Au contraire, toute ma vie politique montre que je le combat rudement. Tout juste M. Guerrin m’accuse-t-il d’avoir dit que Jeremy Corbyn n’était pas antisémite. Je le confirme : M. Corbyn n’est pas un antisémite. Des militants acharnés contre la gauche de rupture, les équivalents de M. Guerrin outre-manche, lui ont collé cette étiquette, sans plus de raison objective qu’à moi ici. C’est une méthode expérimentée contre notre camp dans le monde entier. Oui, dans le monde entier. Au Chili, le candidat communiste fut accusé d’être « parmi les dix pires antisémites du monde ». On ne sait ni qui ni où se fait un tel classement. Mais il est certain qu’il ne sert pas la cause de la lutte contre l’antisémitisme que, pour notre part, nous n’abandonnons pas au bac à sable politicien ou l’éditorialiste du « Monde » le situe.