J’ai dit que nous avions perdu à 16 000 voix les élections législatives. « Le Monde » ne pouvait laisser passer une telle imprécision. Un titre accrocheur nous a mis en alerte. « 16 000 voix : le chiffre de Mélenchon est exagéré ». « Sacré Melenchon toujours dans l’exagération », se dira le lecteur distrait. Je ne m’embarrasse pas de savoir pourquoi un tel article est écrit. Cela n’a plus d’intérêt à mes yeux. Ma conviction est faite sur les raisons de tels articles et de telles titrailles. Mais si on ouvre le texte pour le lire, le propos de l’auteur est bien plus mesuré que ne l’a écrit le titreur.
Il reconnait en effet que de très nombreux sièges sont perdus de très peu. Et ce n’est pas tout. Il y a plus énorme. Cela aurait pu donner un titre accrocheur aussi. Comme quoi tout est choix politique dans une rédaction. Le titre, la photo et la légende sont trois niveaux de lecture et le texte n’est pas toujours celui qui fixera l’attention du lecteur. Ici, c’est bien le cas. Car l’auteur de l’article reconnait qu’en additionnant ces sièges-là, la NUPES aurait eu la majorité relative. Rien de moins. En tous cas après toutes sortes de ratiocinations l’auteur conclut : « Mais, quelle que soit la méthode choisie, sur les 20,7 millions de suffrages exprimés au second tour des législatives, le nombre théorique de voix qui « manquent » à la Nupes reste très faible, entre 0,13 et 0,25 % du total. ». C’est-à-dire exactement ce que je voulais démontrer dans mon post, le chiffre de 16 500 n’étant qu’un calcul pour illustrer cette idée. Parce qu’il ne correspond pas aux calculs des gargouilles du « Monde » celui-ci le récuse. Ceux qui me l’ont transmis le maintiennent. Moi, ça m’est égal. Ce que je mets sur la table, c’est une analyse politique. La victoire était largement possible. Nous l’avons manqué de très peu. Et c’est l’analyse de ce « très peu » qui doit nous aider à trouver des remèdes.
Avant cela, j’ai donc voulu aller au bout de cette récapitulation journalistique du deuxième tour des élections législatives. En effet, il est d’une facture assez unique en son genre. D’innombrables papiers des éditorialistes avaient essayé d’accréditer, à la suite de madame Le Pen, que je « savais bien » que notre victoire était impossible. Ici, au contraire, « Le Monde » qui n’avait pas été en reste pour enfoncer ce clou nous rend même service en faisant un calcul que je n’avais pas à cette heure. « Pour aller plus loin, nous avons aussi calculé que 393 344 voix auraient été nécessaires pour que la Nupes obtienne la majorité absolue de 289 sièges à l’Assemblée nationale. Dans cette configuration, le groupe Ensemble ! n’aurait eu que 133 sièges et 63 pour le RN. »
On se souvient que le passage au deuxième tour de la présidentielle a dépendu de 420 000 voix qui nous ont manqué alors que notre ancien allié communiste en absorbait 800 000. Ici, c’est la victoire elle-même qui est passée au bout de nos doigts à 393 344 voix.
Ce n’est pas rien que ce calcul dont nous allons étudier la méthodologie pour savoir vraiment à quoi s’en tenir. Un échec électoral est toujours suivi d’une vague de désolations sincères ou affectées et plus encore d’explications simplistes. Le plus important est de bien comprendre ce qui est en cause, rationnellement. En ce sens l’analyse d’un résultat électoral est un enjeu idéologique. En tous cas, à première vue, ces chiffres prouvent une nouvelle fois combien paye l’effort militant tenu dans la durée. Ils montrent aussi combien l’inaction se paye aussi.
Pour ce qui concerne le mouvement insoumis, ces chiffres prouvent aussi que l’action dans les milieux populaires urbains a certes été spectaculairement profitable. Les pourcentages de voix sont hors normes. Mais la participation ne suit pas toujours. Bien du travail reste à faire encore. Nous avons de grands trous dans la raquette en dépit de nos caravanes populaires et de tout notre travail pour constituer un réseau de « référents d’immeubles » (plus de deux milles à cette heure).
Par contre, dans les zones rurales où l’action collective de terrain existe en profondeur et se nourrit de présence de gauche ininterrompue, la reconquête est spectaculaire. Comme dans la Haute-Vienne où les trois sièges reviennent dans les files de la NUPES à l’Assemblée. Le fond de l’affaire est là. La lutte politique a pour objet le contenu de la conscience des gens. Qui n’y fait rien n’en obtient rien. Qui y travaille a forcément un résultat.
Pour autant, tout ne dépend pas de nous ni de notre action. Allons plus loin encore dans la lecture. Le décompte du « Monde » comporte un calcul validant le rôle destructeur des soi-disant « républicains » auto proclamés de toutes les variétés. Eux tous une fois dépassé leur bla-bla soi-disant laïque se résument à un même ultime réflexe : « plutôt Hitler que le Front populaire ». Le Monde campe ce tableau électoral : « Après avoir réussi à faire élire quatre députés dès le premier tour des législatives, la Nupes était présente dans près de 400 circonscriptions au second tour, ce qui a nourri de grands espoirs… qui ont été douchés par le résultat des urnes : la coalition de gauche a perdu dans 249 d’entre elles (dont 34 contre le RN et 182 contre Ensemble !) ». Certes, un calcul simple permet de savoir que 34+182 parviennent à faire 216, mais jamais 249. Mais nous n’alerterons pas les décrypteurs de « Libération » pour rectifier ce chiffre exagéré. Le lecteur sera bien assez grand pour aller chercher où sont passés les 33 sièges manquant à cette addition.
Ce n’est pourtant pas ce qui retient mon attention à ce moment de l’article. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas un mot ici sur les raisons pour lesquelles nos candidats ont été battus par le RN ? Amandine suspension du jugement dans la bourgeoisie faites journal ! La vérité est pourtant dorénavant connue de tous. Les électeurs de LREM, et les lecteurs qui croient ce que leur dit la bonne presse, préfèrent voter RN ou s’abstenir plutôt que d’aider un candidat NUPES.
Ici dans le sud de l’Essonne, à Etampes l’insoumis perd de 2 000 voix face au RN dans une circonscription où l’on compte 4 000 bulletins blancs ou nuls. Pour la première fois en Essonne un député frontiste est élu dans une circonscription de droite juste parce que le candidat du deuxième tour est un Insoumis.
Même chose pour cette circonscription des Bouches-du-Rhône avec 5 000 bulletins blancs ou nuls qui laissent élire un député RN plutôt que d’élire une syndicaliste insoumise Des exemples de cette sorte sont très nombreux et même très constant.
La masse de milliers de bulletins blancs et nuls montre l’existence d’une consigne ou d’un réflexe bien installé et donc bien construit. Les électeurs LREM ont choisi le vote RN ou le vote blanc et nul au lieu de « faire barrage » comme ils l’exigent des autres candidats quand ça les arrange. Tel est le bilan de tous ceux qui ont construit notre diabolisation, des mois durant, par un harcèlement en continu dont c’était l’unique but. Cette opération a consisté à construire un paysage où, à toutes les élections, seul le Rassemblement National est autorisé à faire face aux diverses variétés de droite. Car alors on compte sur les voix et la conscience des nôtres pour aider les bien-pensants qui nous insultent à longueur d’année.
Résumons fort et clair. Les candidatures NUPES ont empêché 200 deuxièmes tours avec le RN. Le chiffre peut naturellement être à son tour mis en cause. Mais il faudra là encore arriver à la même conclusion que nous. C’est un fait : la NUPES a diminué le risque d’extrême droite dans le pays. Pour autant, notre échec n’est pas décrit par un chiffre entre 16 000 et 27 000 voix manquantes selon les auteurs. Il a une racine politique. La voici toute crue. Au second tour, un certain nombre d’acteurs de la vie publique, organisations et médias ont répandu consciemment et à foison une vague de haine anti-insoumise d’une remarquable coordination. Ils ont ainsi mis en selle 89 députés RN. C’est leur entière responsabilité. Ils n’ont aucun regret et cela correspond bien à leur intention puisque dès cette opération terminée ils sont passé à la suivante : affirmer que 89 RN c’est davantage que 150 Nupes à l’Assemblée.
Pour ma part, je n’ai ni rancœur ni amertume à ce sujet. Je crois que la séquence est éducative pour nos amis, nos militants, nos sympathisants et nos électeurs qui suivent les lendemains de vote. Ils comprennent mieux ce que nous leur avons répété tant de fois sur la façon dont le système fonctionne et pour quoi il doit être totalement remis en cause dans tous ses aspects. Notamment à propos de l’énorme machine médiatique qui agit non pour aider à penser et à choisir mais pour empêcher de le faire.
L’expérience acquise par la lecture et l’expérience ici et là dans le monde dans lequel j’ai vécu m’ont instruit depuis longtemps. La leçon universelle est simple. L’histoire des périodes turbulentes comme la nôtre montre que chacun va au bout de sa pente dans de telles circonstances. Du coup, nous devons en tirer des conclusions pour nous-mêmes, notre travail d’éducation populaire, et sans doute aussi à propos de nos formes d’organisation.
Oui, il s’agit de se préparer à faire face à un front uni bientôt du RN jusqu’à l’extrême centre LREM en passant par diverses nuances de réactionnaires. Et l’extrême droite aura le dernier mot dans ce front, car le reste est un ramassis de pusillanimes qui, de toute façon, sont moralement acquis aux thèses sécuritaires ethnicistes et hostiles aux libertés fondamentales de l’individu. Car si nous ne gagnons pas, c’est ce qui est inscrit dans ces votes du deuxième tour et dans les déclarations des actuels gouvernants pour flatter l’extrême droite. Quoiqu’on dise du point Godwin d’une conversation, l’étude sérieuse et approfondie des années trente reste un besoin incontournable pour comprendre ce qui se passe en ce moment et y trouver sa place utile.
Comprendre comment le « Zentrum », extrême centre de l’époque avant-guerre, organisa la catastrophe en Allemagne est un besoin urgent pour comprendre comment évoluent des gens comme ceux que nous avons au pouvoir et autour d’eux. L’histoire de la presse française est là aussi instructive. Dans ce moment plein de tensions prêtes à tout, le courage de l’action, la détermination sans faille à agir sans relâche sont la clef du succès. Le quatrième tour est commencé.