assemblee nationale

03.07.2022

L’antiparlementarisme ordinaire

J’ai lu des commentaires très brutaux et hostiles sur plusieurs réseaux sociaux contre le fait même de ces attributions de « postes ». Ils ne portaient pas seulement sur les coalitions qui se sont formées au fil des heures. Après tout, ce sont là des indignations légitimes puisqu’elles portent sur le sens politique des alliances qui se sont formées. Mais maints commentaires s’en prenaient aussi au simple fait qu’il y ait compétition pour les postes à pourvoir.

Je prends un exemple tiré d’une rapide balade sur Facebook. Ainsi quand Phong Guillen poste en gros caractère : « À l’Assemblée nationale la coalition présidentielle et LR font la courte échelle à l’extrême droite pour, soi-disant, contrer les bolcheviks. L’Histoire se répète. ». C’est une appréciation politique argumentée. Mais aussitôt Cyrille Ricelly commente dans un registre qui n’est pas de même nature. « Si plutôt ils commençaient leur travail parlementaire, ah la lutte des places, on n’est pas rendu ! ». Je cite ici ce que j’ai trouvé de plus aimable dans ce registre. D’autres sont bien plus rugueux voir carrément injurieux.

Ce n’est pourtant qu’un exemple parmi tant d’autres d’une attitude qui s’exprime à toute occasion. Deux sortes de rejets aveuglés sont à l’œuvre. D’abord celui de tous les titulaires d’un mandat électoral. Ensuite, un mépris irrépressible pour toute procédure institutionnelle. L’absurdité de la « critique » de Cyrille Ricelly que je viens de citer est pourtant évidente : pour que le travail parlementaire commence, il faut que soient pourvues les fonctions qui le rendent possible : présidences de l’Assemblée, questeurs chargés de la gestion matérielle notamment du personnel et ainsi de suite. Mépriser cette étape, c’est déjà mépriser le travail qu’elle rend possible.

Au total, cette attitude manifeste un antiparlementarisme bien répandu dans notre société ! On objectera sans mal que toute élection, à n’importe quel niveau, se présente nécessairement comme une compétition. C’est là l’essence même du combat dans la démocratie. Mais tel est bien, au bout du compte, le sens politique de l’ironie sur « la lutte des places ». Il constitue désormais le réflexe de référence.

Ailleurs, à l’étranger, s’impose un ferme respect. Il dominait aussi autrefois dans notre pays. Cette forme de « populisme », bénéficie d’une complaisance constante de la part de la classe médiatique. Il est vrai que celle-ci y puise une grande part de sa propre inspiration (aussi longtemps que ses intérêts matériels ne sont pas concernés). L’antiparlementarisme est, de nos jours, la porte d’entrée des amis des pouvoirs « forts », c’est-à-dire pour finir des pouvoirs autoritaires. L’antiparlementarisme est un proto fascisme.

Cet état d’esprit, on en connait les refrains. Pour lui toute discussion est un vain bavardage. Par déduction, les intellectuels sont d’absurdes coupeurs de cheveux en quatre. À la fin, on trouve cette scène si significative de la guerre d’Espagne ou entrant dans l’université de Madrid, le chef militaire fasciste crie : « à bas l’intelligence, vive la mort ! ». Je ne plaisante pas.

Certes, je regarde ceux qui méprisent la parole, les tâtonnements de la pensée, et donc les débats de la scène politique, comme des gens dangereux pour une société démocratique. Mais je les vois aussi davantage encore comme des agents de mort. Car paroles et pensées, avec leurs contradictions expriment des réponses à la marche sans but de la vie elle-même. L’esprit s’efforce de mettre en mots la confusion de la réalité pour la penser et pouvoir la maîtriser. La politique est l’espace où se forment, se confrontent et se tranchent les options à propos de cette maîtrise. Ce que l’on nomme la mort est ce moment où l’esprit interrompt sa fonction la plus spontanée : la mise en ordre du réel. Et sa version politique est le moment où le débat et ses contradictions ne parviennent plus à la société. En général le pouvoir d’un(e) seul(e) est le moment de cette coupure.

L’autre entrée ordinaire dans l’antiparlementarisme est de rendre dérisoires les enjeux de la répartition des « postes ». La forme qui se veut habile de ce dénigrement antiparlementaire est de l’opposer aux grandes questions du moment : le changement climatique, la pandémie, l’état du service public, que sais-je encore puisque toute l’actualité peut être proposée ici en alternative. « Comment osez-vous passer un après-midi à élire des questeurs de l’Assemblée alors que la sixième extinction des espèces est commencée ! ». Ou bien : « Pour ma part je me soucie plutôt du chômage que de cette compétition pour des postes ». Bien sûr, n’en soyons pas dupes : il arrive aussi que ce soit une façon, pour l’exclu de la lutte des places ou le perdant, de se donner une posture de hauteur de vue. Peu importe : cela reste la même mort et le même néant pour la pensée politique.

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