14 juillet mexicain

Pour ce quatorze juillet, si loin de mon pays, je voulais quoi qu’il en soit participer à la célébration de la grande Révolution de 1789.  Où que je sois, j’agis de même à cette date. Ce fut a l’ambassade de France parmi nos compatriotes. Oui, je pratique ardemment ce qu’il faut bien nommer la religion républicaine. Expliquons par les mots. Religion vient de « religere ». En latin : « rassembler, réunir ». La République, en latin encore : « res publica », en français : « la chose publique », ou pour mieux dire : « la chose commune ». Les deux racines se placent bout à bout dans ma manière de penser cet évènement.  

Je le replace toujours bien sûr dans le contexte des évènements d’alors. Voilà comment je peux décrire et faire bien comprendre ce que cette date veut dire pour moi. Mais aussi pour nombre de mes amis qui pensent et ressentent de même cet évènement, et qui peut-être le diraient mieux. J’ai lu un bref post Facebook du député insoumis toulousain Hadrien Clouet. Il dit « ce jour (le 14 juillet) est sacré ». Danielle Obono dit du 14 juillet, après avoir entendu Macron, « vive la révolution ». Telle est notre communauté de sentiment et notre ligne d’horizon. Je crois que la plupart d’entre nous sommes fait de ce bois.

À la rencontre avec les insoumis de Mexico, notre orateur déclara « on ne peut oublier les grands objectifs que la Révolution française s’est assigné ». Interjection de ma part ; je complétais « nous les accomplirons ». Rires et applaudissements. Tels sont, dans toutes leur diversité culturelle, les insoumis du monde.  Nous ne craignons plus de le dire désormais.

Pourtant, pendant les années du crépuscule de la pensée, sous la férule social libérale, une certaine « gauche » pensait avoir étouffé ce robuste matin du peuple souverain. La seule évocation de la Révolution provoquait quasiment de l’indignation. Pour ceux-là, à la suite de François Furet, rabâché et encensé par le Nouvel Obs, la grande révolution était considérée comme la matrice des totalitarismes. Staline serait dans Robespierre. Cette bêtise tint lieu de pensée pendant trente ans dans les milieux de la pensée autorisée.

On oubliait alors Jaurès écrivant « c’est le printemps 1792, je prends place sur les bancs de la Montagne aux côtés de Robespierre ». D’autres étaient au moins aussi frustres. Une référence très mécaniste à Marx faisait de la Révolution de 1789 une pauvre « révolution bourgeoise ». Seule comptait la Commune de Paris et ensuite l’octobre 1917 de Petrograd. Pendant ce temps travaillaient patiemment des historiens bien mieux marxistes comme Claude Mazauric. Ceux-là ont de longue date porté la résistance intellectuelle contre cette enterrement de l’histoire de France sous les pelletées de la propagande simpliste des contre révolutionnaire contemporains.

Nous décidâmes un jour de reprendre le flambeau et de venir en appui à leurs travaux. En ressourçant l’Histoire de la République dans son élan initial et son audace quotidienne, en réinstallant les sans culottes dans leur responsabilité fondatrice on renouerait plus facilement avec les devoirs du présent. Dans ce moment-là les livres de l’historien nord-américain Timothy Takett, et notamment son « Par la volonté du peuple », aidaient à rétablir une vision raisonnée et très documentée en appui sur le sujet. L’idée que les révisionnistes propageait était que l’esprit partisan de bourgeois enragés aux Etats généraux aurait paralysé ce processus pacifique en précipitant une révolution finalement nuisible au pays. Takett détricote, preuve en main, la thèse révisionniste selon laquelle la France de Louis XVI évoluait spontanément vers son émancipation et sa modernisation politique. Il montre des bourgeois des Etats généraux préoccupés à prendre au fur et à mesure des décisions amplement raisonnées et certes parfois extrêmes, comme les évènements qu’ils affrontaient.

Je laisse ici de côté les innombrables et ridicules tentatives pour faire le tri entre les épisodes de la révolution pour choisir les bons contre les mauvais. Tous finissant par attribuer au seul Robespierre tous les maux dont sont parfois seulement responsables ses accusateurs. Ici Clémenceau a le dernier mot et le mieux adapté à la pensée sur ce moment de l’histoire : « la Révolution est un bloc ». On ne peut trier. Tout s’y tient. Tous s’y tiennent.

Dernier lamento, celui de ceux qui refusent de voir dans cette révolution le débute de l’Histoire de France. Ceux-là mettent sans cesse en exergue ce qui, dans le processus révolutionnaire, prolonge des choix et des tendances qui lui sont antérieure. Ceux-là manquent un aspect central de la lecture du temps politique. Dans l’histoire politique, ce qui fait l’Histoire ce sont les ruptures et non les continuités. La rupture révolutionnaire de 1789 fonde la France Républicaine qui est un autre pays que celui de la monarchie millénaire, quand bien même elle en prolonge et systématise parfois des tendances profondes. Au point que le poète Goethe dira du jour de la bataille de Valmy, qu’ici commence « l’ère moderne ».   

Dans la culture des cadres insoumis qui ont suivi mes formations ou partagé mes sources et cheminements par leurs propres moyens, chaque révolution est un aspect d’un même phénomène plus ample que nous nommons « révolution citoyenne ». On la trouve avec Etienne Marcel sous Charles V et fait fil rouge jusqu’au rond points des gilets jaunes. Elle est dans la Commune de Paris autant que dans les trois campagnes présidentielles que j’ai animé en donnant au 18 mars, anniversaire de son déclenchement, la marche cruciale de la campagne. Elle va dans le vote des régicides comme dans ceux du 10 avril 2022.

La conservation et la diffusion de l’exemplarité révolutionnaire de 1789 est le cœur de notre « récit national ». Ce récit est nécessairement politique. Il est nourri bien sûr du travail de l’histoire scientifique qui explore, découvre, assemble et restitue les faits qu’ensuite nous interprétons chacun de notre façon dans les familles politique de notre pays. Ceux qui commencent par la béatification des traitres comme louis XVI et sa lamentable épouse Marie Antoinette finissent toujours le plus souvent avec Pétain, Maurras et le Pen. Ceux qui commencent avec « Jacques Bonhomme » aux états généraux s’accomplissent souvent avec Louise Michel et Jean Moulin puis sur les bancs Insoumis de la nouvelle Assemblée Nationale.

Ce 14 juillet l’idéal républicain fournissait une matière première dans la longue suite des sujets abordés avec le président du Mexique Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) qui me recevait. « Amlo » aime l’Histoire et les matières premières qu’elle propose à la pensée politique. Obrador se concentrait sur l’idée du rôle du peuple et sur sa capacité à accomplir des tâches immenses et complexes. Il croit que le grand nombre qui, souvent ne dit rien, n’en pense pas moins, et qu’il apprécie les êtres autant que les idées que ceux-ci expriment. Pour Amlo comme pour moi, la « conscience de classe » comme on disait, est un affect autant qu’un savoir particulier.

Nous évaluons de même le rôle des médias dans ce contexte, évidemment. Il faut savoir discerner à chaque époque la cléricature qui organise le maintien de l’ordre mental si décisif pour perpétuer les sociétés de privilèges et d’inégalité. Et il faut savoir comment la contourner et si possible neutraliser ses effets. Mes amis mexicains pensent qu’il a pris la maitrise de l’ordre du jour médiatique en organisant à sept heures du matin au palais présidentiel une conférence de presse quotidienne. Ainsi s’évite-t-il les journées consacrées aux inventions diffamantes et campagnes flétrissante dont une part significative des médias latinos font d’habitude leurs choux gras. Car ici les méthodes du type « le Point » contre Corbières et Garrido ou pour faire démissionner le président de la commission des finances Eric Coquerel accusé d’une danse « collé-serré » huit ans auparavant, sont une sorte de pain quotidien. À comprendre pour faire face à la contagion habituelle entre les deux rives de l’Atlantique dans ce domaine. Le scandale espagnol où l’on vient de découvrir comment des policiers, des journalistes et un ministre de l’intérieur de droite inventaient des « informations » en les sachant fausses pour organiser les campagnes médiatiques contre Podemos et Pablo Iglesias notamment.     

Amlo revenait des USA. Son appréciation de la personnalité du président Joseph Biden était bien positive et il ressentait une sorte de soulagement après la période des tensions de l’ère Trump vécue plus difficilement. Encore qu’il ait su s’en faire respecter.

Je ne retiens que la conclusion de ce moment de notre échange. « Sans un changement profond des règles de notre société on ne pourra sortir de la crise qui se répand dans le monde ». Puis « les méthodes du passé ne peuvent plus servir comme avant ». À savoir : Amlo est présenté comme un homme de « centre gauche ». Certes lui-même affirme que le centre n’existe pas et pense comme nous que cette appellation est une ruse du vocabulaire de la propagande. Mais il est certain que nul ne peut le classer comme un excessif. Son diagnostic n’en est que plus frappant pour moi. Au bord de 3500 kilomètres de frontière commune avec l’empire qui gouverne encore le monde, il devient évident que tout cela ne durera pas. Le monde commencerait-il son 14 juillet ?     

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