Je suis sorti tristounet de Mexico. J’aime le Mexique. J’aime y être et y vivre avec les gens qui s’y trouvent. Les décors, les visages, les ambiances me conviennent comme nulle part ailleurs même à Marseille, Paris, Toulouse, Besançon ou Lons le Saunier. En route donc vers Tegucigalpa au Honduras où l’on m’attend. Rêvassant dans l’avion je passe en revue les souvenirs récents des jours derniers. Ma dernière rencontre officielle me ramène aux thèmes de mon pays. J’ai été reçu par la ministre et l’état-major du ministère de la sécurité nationale c’est à dire l’équivalent d’un ministre de l’intérieur français qui serait équipé d’une conscience sociale et d’une éthique républicaine exigeante. Au Mexique, le président fait le point tous les jours avec cette équipe vers 5 heures du matin. À sept heures, il donne sa conférence de presse quotidienne et y fait le point sur les questions de sécurité dont la ministre a collecté et analysé les données à partir de 3 heure et demi. C’est dire si c’est un sujet qui préoccupe. J’y suis très intéressé. Avant de dire pourquoi, je fais un point de situation.
Les meurtres au Mexique ici sont pour l’essentiel liée au narco trafic. Celui-ci ne prospère certainement pas en raison du gout qu’en auraient les mexicains. Ne perdons jamais de vue que leur pays compte 3500 kilomètres de frontière commune avec les USA. C’est-à-dire avec le plus grand marché de consommation de drogue du monde. Le marché de la drogue est un secteur actif de l’accumulation capitaliste de notre temps. Bien sûr il alimente des flux financiers de toutes sortes à l’intérieur de la sphère globale financière, mais il offre aussi l’accès à des liquidités sans lesquelles ne fonctionneraient pas d’autres secteurs eux aussi très puissants du crime organisé.
Ainsi par exemple le trafic des armes. Il est étroitement lié à celui de la drogue. Car, bien sûr, les armes servent directement les activités des narcos et de leurs armées privées. La commande d’arme touche de son côté aux secteurs industriels qui sont, aux USA, au centre de nombre de trafic d’influence souvent très directement politiques. Combattre le fléau des armes en vente libre aux USA et leur contrebande vers le Mexique, est une tache épuisante puisqu’elle ne rencontre aucune coopération du pays fournisseur. Aux Usa comme on le sait la vente libre des armes est un droit constitutionnel jalousement protégé en dépit des ignobles tueries de masse qu’elle rend possible. Sans armes, le narco trafic ne pourrait pas fonctionner comme il fonctionne avec ses territoires dédiés et surveillés, ses rapports de forces entre bandes rivales et ses exécutions sommaires quasi permanentes qui ont pour fonction de maintenir l’ordre criminel des choses. L’argent sale ne peut circuler et se laver que sous le contrôle d’une violence absolue dont l’armement est la clef de voute. J’en reste là mais je crois qu’on comprend avec cela la façon dont les questions s’imbriquent.
Ce capitalisme criminel articule aussi la traite des êtres humains dans la prostitution et la séquestration des personnes enlevées contre rançon. Mais aussi il s’enracine avec un quasi système bancaire que sont les réseaux d’extorsion de fond. Comme le système « goutte à goutte ». Il consiste à siphonner les biens des gens dans un cycle de prêts à remboursement usuraire gagé sur tout ce qu’ils possèdent et doivent mettre en gage auprès du préteur.
Dernier aspect et non le moindre, c’est la contagion de la corruption. Le trafic fonctionne bien mieux avec l’accord de diverses autorités, de pouvoir locaux comme nationaux. Il diffuse donc une véritable toile de connivences et de complicités qui minent la respectabilité et la confiance dans tout ce qui touche à l’Etat. Ce point n’est pas le moindre aspect du problème à traiter. Le précèdent président du Honduras est en prison aux USA pour sa participation au narco trafic ! Cela signifie que la tête de ces pays non seulement ne faisait rien pour endiguer la contagion des activités criminelles, mais qu’ils participaient à leur organisation.
Le tableau que je viens de faire en résumant les points forts de ce qui s’est dit au fil de la rencontre avec la ministre de la sureté nationale, appelle des conclusions. Ce que je viens de décrire n’est pas dissociable dans la pratique et la réalité concrète. La corruption des dirigeants politiques, le commerce clandestin des armes et la répartition des territoires du marché de la drogue sont indissociables.
En France on observe l’extension du marché de la drogue et la diversification des produits mis en vente. On observe un rajeunissement du recrutement des agents de terrain : « chouffeurs », mules et ainsi de suite peuvent assez souvent n’avoir pas plus de 12 ou 13 ans. Et même moins. En France la lutte contre le crime organisé n’est pas une grande cause nationale. On préfère agiter sans cesse les thèmes de l’insécurité à connotation raciste. Sans oublier le contrôle aux faciès, la maitrise armée des refus d’obtempérer et le gazage bien facial en général. Ce n’est pas une raison pour lâcher prise. Il ne doit pas nous suffire de répéter notre credo en matière de police à ramener aux principes et méthodes républicaines. Quoique ce soit bien nécessaire d’en rappeler sans cesse les traits forts. Il doit être maintenant question des cibles que nous voulons viser en matière de répression du crime organisé.