Loin en France, le même chaos, la même rage

Aller en Guyane retrouve un fort goût d’aventure. Davantage que pour un Paris Bruxelles ou un Paris Marseille qui n’arrive jamais à l’heure. Car tout commence désormais par une question pleine de suspense : l’avion d’Air France décollera-t-il ? Les deux premiers d’entre nous, partis deux jours avant en éclaireurs selon nos rites d’organisation, ont vu leur départ décalé trois fois. L’avion a cependant décollé. Certes avec 10 heures de retard. Mais il a décollé. Motif : le train d’atterrissage avait un problème. Ah ! Un sérieux problème apparemment. Et le sujet est assez grave pour qu’on s’en tienne à une seule angoisse : est-on sûr que le personnel de révision est assez nombreux et les pièces pas trop sollicitées ? Mais dans l’ambiance de débandade et de tiers-mondisation de la France, pourquoi les avions iraient-ils mieux que les métros, les RER, les trains, les hôpitaux, les écoles et ainsi de suite ? Quand est venu mon tour de partir, deux reports seulement. Total deux heures et demie de retard. Mais il a décollé. Cette fois-ci, on nous régala d’une poignante histoire de siège endommagé. Le danger semblait moins grand. Puis ce fut une sombre affaire de fuite d’eau quand on nous en reparla dans l’avion. Que ne suis-je parti à la nage ? Ou bien en radeau (à rame) ! Cela m’aurait aussi épargné les sarcasmes des réseaux sociaux macronistes et de la fachosphère qui tiennent des bilans carbone bien sélectifs. Pour eux, la Guyane déjà méprisée de toutes les façons possibles ne mériterait pas mieux qu’un isolement écologiquement surveillé en plus de celui que lui inflige déjà la macronie.

Mathilde Panot a eu plus de chance en allant en Nouvelle-Calédonie. Car nous sommes tous en chemin d’Outre-mer. Pourquoi ? Parce que ce qui se vit dans ces territoires est le destin promis de tous les départements français de l’hexagone. Un siècle de laborieux et poussifs progrès de toutes sortes sont rayés de la carte à gros coup de gomme néolibérale. Hier, on croyait l’empoisonnement du sol réservé aux bananeraies des Antilles inondées de chlordécone alors qu’il était interdit partout ailleurs. Mais tout l’hexagone est lui aussi empoisonné aux pesticides. 99 % des rivières et 90 % des urines humaines en attestent. Et on ne sait rien des contaminations aux cocktails des molécules issues de leur décomposition. Hier, on croyait réservé aux Outre-mer les pannes d’eaux courantes en ville, les urgences des hôpitaux à l’agonie, l’impossibilité des programmations d’interventions chirurgicales lourdes à moins de trois mois, les maternités inaccessibles, bref le désormais quotidien merveilleux de l’économie de marché macroniste qui détruit à présent l’hexagone. Au terme d’une infinie patience, toutes les populations des Outre-mer se sont révoltées à tour de rôle au cours des dix dernières années. Chacune a produit des programmes communs rédigés et validés par les représentants de toutes les catégories sociales, partisanes et syndicales.

Ces faits incroyables ont eu lieu sous nos yeux. Qu’en est-il resté une fois les belles promesses diffusées jusqu’à extinction des feux ? Rien sinon cet abject mépris observé dans cette terrible séance de nuit de l’Assemblée nationale où tous les élus d’Outre-mer, tous groupes confondus, regroupés et unis, tinrent tête à la macronie déchainée puis descendirent entourer d’un mur de protestation le banc des ministres ! Nuit de cendres et d’amertume. J’ai vu mes amis bouleversés et ceux qui étaient en larmes, car le message était terrible à entendre et à voir pour qui sait que l’unité des Français est politique et ne connait d’autres ciments que le respect mutuel et l’égalité en droit. Sur le terrain, c’est pire. Depuis dix ans, c’est l’escalade à chaque action revendicative de masse. Ce sont les coups de triques de tous côtés, les nuées de « force de l’ordre » et de lacrymos comme en Guadeloupe, les arrestations et charges jusqu’à l’intérieur de l’hôpital comme à la Martinique, les référendums forcés comme en Calédonie. À la moindre incartade : de la prison pour les récalcitrants comme à Cayenne contre ceux qu’on accuse de tentative d’incendie de la préfecture quand ils brûlent des palettes sur la place voisine. Les importants, ceux qui méprisent les « gens de rien » ne voient rien, ne comprennent rien. Ils ne voient pas la déchirure qui s’est faite dans les esprits et dans les cœurs ! Pour eux, l’unité de la France est une simple question administrative. La colère et les larmes des élus d’Outre-mer ne leur a rien appris de ce qu’est la passion républicaine qui unit le peuple et les peuples qui composent notre pays. 

Je parle en me considérant comme un des porte-paroles des populations des Outre-mer puisqu’elles m’ont placé en tête au premier tour de la présidentielle. Elles m’ont même donné une majorité absolue de suffrages dans les Antilles et en Guyane. Je sais que la dignité offensée ne restera pas muette. Je sais que l’exigence égalitaire n’en rabattra pas ! Les Insoumis leur sont acquis. J’avais promis un retour politique partout où je suis passé en Outre-mer pendant ces mois de campagne. Me voici, quand bien même le calendrier de la réforme des retraites a basculé en janvier. Je serai de retour avant la marche du 21 à Paris pour aider à la mobilisation des jeunes puis à celle des syndicats unis contre la réforme Macron. En Guyane, aussi, les retraites sont un sujet d’intérêt général. Comme partout en France. Sans doute, verra-t-on d’ailleurs à quel point.

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