Macron n’y arrivera pas si nous menons avec sang-froid notre barque. La séquence liant la marche dans la rue le 6 juin, à l’appel de l’intersyndicale, et le vote à l’Assemblée de la proposition de loi LIOT, soutenue par toutes les oppositions, remet en scène la lutte, ses méthodes et ses objectifs. Une manœuvre macroniste est en cours pour empêcher le vote de l’Assemblée. Le président de la commission des finances, le député insoumis de Seine-Saint-Denis Éric Coquerel, y oppose une ferme opposition argumentée. Son registre n’est pas celui d’une opinion partisane mais celui des principes constants de fonctionnement de cette commission sur ce type de sujets depuis toujours. C’est sa force. En le pressionnant et en prenant le risque de passer outre, Aurore Bergé et les autres chefs des trois groupes parlementaires macronistes prennent le risque d’une attitude de violence visible. Elle ranimera la détestation de l’opinion contre tous ces abus de pouvoir qui, désormais, caractérisent le régime. Mais il faudra aussi mettre en minorité la présidente de l’Assemblée nationale, qui semble lassée de servir les basses œuvres de gens incapables de gagner quoique ce soit par leur propre force.
La faiblesse de tout ce système ramène sur le devant de la scène un omniprésident en présence continue, comme les chaînes de télé convoquées pour encenser chaque parole, et montrent à présent, parfois, leur lassitude elles aussi. Mais toute l’omniprésence de Macron se résume pour finir à un grand exercice de dévaluation de son autorité et de sa parole. Il parle dès 20 heures sur TF1 et, quoiqu’il soit le chef de l’État et que la crise frappe de tous côtés, il ne réunit pas plus de cinq cent mille téléspectateurs (6 millions) de plus que moi, qui ne suis rien qu’un homme en retrait passant pourtant en fin de journal (5,5 millions). Il est si seul que ça se voit. Coupé de tout et de tous, sans relais de terrain, sans état-major intermédiaire. J’ai longtemps pensé que le talon d’Achille du pouvoir que nous combattons serait l’isolement de l’état-major et la faiblesse des lignes de terrain. On y est. Dorénavant, toute la situation est dans les mains d’un personnage totalement isolé, le Président, entouré d’un premier cercle efficace mais lui aussi complètement coupé de tout, en dehors du cercle de la finance. Si la classe médiatique n’était pas là pour diffuser du soir au matin les éléments de langage du pouvoir, nous l’aurions déjà amené au bout de ses forces. Car même les supposées « forces de l’ordre » n’hésitent plus à se dire au bout du rouleau. Les démissions et les séances de pétage de plomb pullulent au vu et au su de presque tout le monde. Les nouvelles remontent de nouveau avec plus de fluidité depuis les rangs, où la cote des insoumis s’est bien améliorée. Soyons d’ailleurs équilibrés pour ce qui est des médias. On sent partout une pointe d’usure dans le concert de louanges circonstanciées habituelles. Plus d’une voix, ici ou là, marque des distances qu’on n’avait pas connues dans un passé récent. Si le journal « Le Monde » modifie ses titres sans prévenir, pour en adoucir le sens aux oreilles du pouvoir, s’il chante les louanges de la politique de réindustrialisation du pouvoir contre toute réalité connue, son collègue « Mediapart » sous la plume de Romaric Godin, pour ne citer que lui, fait par contre une analyse argumentée exactement inverse, chiffres à l’appui à propos de cette réindustrialisation. Entre les affirmations incantatoires et l’argumentation chiffrée, l’honnête lecteur sait quoi choisir. Les notes de l’Institut La Boétie trouvent des commentateurs, aussi bien chez les ministres que dans les médias, signe que la critique argumentée est redevenue une respiration, et surtout que les gens intelligents commencent à répugner aux monologues.
Quand les 4000 structures de base de LFI distribuent 14 millions de tracts, diffusent plusieurs centaines de millions de visuels et de vidéos et mènent six campagnes d’affichage consécutives, la cour macroniste n’arrive plus à rien, nulle part. Il se cache en s’adonnant au sport préféré de ce type de milieu : dire du mal des proches de l’un ou de l’autre. Pour atténuer les coups, les diversions vont donc se multiplier. En ce moment c’est la séquence indignation sur commande contre des « violences de casseroleurs ».
De loin, où je suis, on se passionne moins pour l’info en continu. Mais, hier, perdu dans mes lectures, on m’alerte du drame national à la chocolaterie Trogneux d’Amiens. On me demanda si je comptais réagir. Je n’ai pas eu le temps de tout comprendre mais déjà la déesse aux cent bouches clamait et les trompettes de la renommée étaient embouchées : on s’étonne publiquement de mon silence d’environ une heure, et je deviens peu ou prou l’organisateur de l’incident. Je me suis bien puni en m’obligeant à regarder couler l’égout. J’ai dû suivre l’info en continu dominée par le vacarme de la compétition CNEWS-BFM. Déjà bien déçu de BFM (mais je sais que beaucoup d’entre vous n’ont jamais cru qu’un compromis soit possible en face de la chaine d’extrême droite CNEWS), j’en suis ressorti bien alarmé.
L’ambiance médiatique ainsi créée sur ces deux canaux est assez lourde pour le paraître davantage qu’à l’accoutumée, quand bien même celle-ci est déjà si pesante. La bagarre devant chez Trogneux, inacceptable de toutes les façons que ce soit, et particulièrement contreperformante pour notre cause, en est un exemple pur et parfait. Un doute existerait sur ce qui s’est passé d’après RMC. S’il est fondé, c’est trop tard pour effacer le mal fait par 48 heures de propagande. Les journalistes de cour se sont précipités et ont glosé en se tordant les mains de chagrin. Et puis il y a eu les macronistes de conviction (une dose de Macron une dose de Pétain-Maurras). Évidemment, il s’agit pour eux de désigner des coupables insoumis.
Les mêmes grandes âmes n’ont pas eu un mot pour Ersilia Soudais, agressée dans la rue par des membres dirigeants d’une association se réclamant du judaïsme, pas un mot pour le maire attaqué et menacé jusqu’à ce que sa maison brûle et à qui pour finir on fera seulement la faveur d’une audience auprès de Madame Borne, pas un mot pour l’assistant d’une figure de notre mouvement, la députée insoumise Aurélie Trouvé. Il a pourtant été agressé et battu par un commando d’extrême droite et son histoire a été sérieusement documentée par le journal « Libération ». Rien pour la camarade rouée de coups sur le piquet de grève de son usine Vertbaudet dans le Nord, aujourd’hui encore à l’hôpital, rien pour le délégué syndical de cette même usine, enlevé hier devant chez lui par des gens armés, puis battu, insulté, rançonné et jeté sur la route après des menaces sur ses enfants. Et ainsi de suite. Macron a téléphoné à Zemmour autre fois pour moins que ça. S’étonner de cette sélection de l’indignation se serait « être ambigu ». Pas l’inverse.
Entre le riche et le pauvre, la douleur et la peur ne sont pas les mêmes, vu depuis le Palais. Deux humanités en quelque sorte. Le silence qui a accompagné les informations données enfin sur la menace dont Médine et moi faisions l’objet par un groupe décidé à nous tuer est un signal. L’indignation à géométrie variable des tous ces hurleurs fonctionne comme une amnistie pour l’extrême droite. Elle est terriblement connotée. Cette sorte de racisme social est l’antichambre du pire. À exciter, comme le font certains, la vindicte en désignant des cibles, on nous condamne à faire l’objet d’un mauvais coup. Les animateurs de cette campagne ont assez de culture historique pour savoir ce qu’ils font. Quand la soi-disant femme de gauche Élisabeth Borne dit : « LFI est pire que le RN », tout le monde comprend que tout est permis désormais.
La meute a entendu le signal. On aurait tort de croire que cela flétrirait les auteurs d’une telle campagne, s’il nous arrive malheur. Au contraire : ils redoubleront d’efforts pour dire « ils l’ont bien cherché ». En témoigne Kahn quand il rend la gauche responsable des coups d’état fascistes en Amérique latine. Cracher sur les 30 000 morts assassinés en Argentine et au Chili, pour ne citer qu’eux, est le signal d’un apartheid dans sa tête pour distinguer deux humanités, les bonnes victimes des mauvaises, les assassins amnistiables et leur victimes culpabilisées, comme s’il y avait deux espèces humaines. Les naïfs du combat politique pensent que le fascisme est un sujet de tribunes et de leçons à donner aux autres. Pour ne rien dire des encombrants bien-pensants qui renvoient dos-à-dos tout le monde avant leur pause thé biscuits au salon à quatre heures. Non seulement ils n’opposent aucune résistance concrète mais ils facilitent le ciblage des victimes en s’en tenant à distance par peur pour eux mêmes. Les insoumis, eux, agissent, organisent, travaillent chaque jour. Ça se voit, en dépit du discours ridicule et mensonger sur l’irrésistible succès du FN.
Maintenant, on voit qu’un ciblage est en place sur quelques noms que la meute de la classe médiatique macroniste a décidé de harceler sans trêve. Thomas Portes, Ersilia Soudais, Aurélien Saintoul et moi, bien sûr, soir et matin, à toute occasion. La liste s’étendra autant que de besoin. Tout cela se fait sur conseils avec distribution d’éléments de langage. C’est une course à l’infamie.
Encore une fois, j’appelle au sang-froid. On se protège tous seuls, mais on ne contre-attaque pas. Le cœur de la bataille reste le bras de fer contre la loi sur les retraites. Nous entrons dans une nouvelle séquence où se coordonne l’action parlementaire et la mobilisation de rue. Dans cet étau, en dépit de toutes les difficultés, dont celle d’une absence totale de coordination entre syndicats et forces politiques parlementaires, la victoire est à portée de main. La proposition de loi LIOT soutenue par toute la NUPES, d’une part, la marche du 6 juin, de l’autre, ouvrent un chemin. Je trouverai bien l’occasion de m’exprimer plus en détails sur le sujet.
La bourgeoisie aime ses chiens de garde. Mais elle déteste les voir monter sur la table. Mais les voyous d’extrême droite dont elle permet les exactions monteront sur la table et mangeront dans son assiette.