Deux ou trois fois par an, j’écris sur l’international. Souvent l’été où l’actualité politique décroit en France. Je laisse de côté les divers amuse-gueules de la saison des universités d’été. Telles sont les polémiques sur le rappeur Médine et autres facéties à parfum suprématiste de la macronie pour pourrir l’été des autres, et de la classe médiatique pour avoir de quoi parler. De bonne guerre, mais vain : sous le maillot de bain souvent pas de bronzage. J’ai participé au feuilleton farcesque dans les espaces prévus à cet effet, avec la jubilation des vieux guerriers blanchis sous l’armure. EELV s’est cramé de tous les côtés, comme des amateurs qui mendient les bons points médiatiques. Car tout cela est tellement évanescent ! Que reste-t-il de la polémique contre moi il y a un an à propos de mes trajets en avion vers la Colombie ou de ma protestation contre la visite de Nancy Pelosi à Taïwan ? Qui sait encore qui est Nancy Pelosi ?
Donc mes notes sur l’international restent destinées à ceux qui veulent échanger à ce sujet, quelles que soient nos divergences éventuelles d’analyse. Il existe en effet des boucles Signal ou Telegram où ça discute entre gens de tous bords. Non pour monter des coups, comme entre journalistes préparant un lawfare, mais pour réfléchir et comparer des arguments. Ce sont des espaces libérés des moralisateurs et répondeurs automatiques de l’officialité. Des oasis pour la pensée. Pour ma part, j’utilise volontiers aussi ce blog. Il me met en contact avec de nombreux francophones du monde et les retours « en MP » sont autant d’aliments dont je ne peux plus me passer. Et cela étend notre réseau d’alerte. Notre site et association « le Monde en Commun » sert souvent de boîte aux lettres, où sont accueillies les notes de voyage, interviews et analyses informées. En ce moment, vous y trouverez une note d’Ersilia Soudais sur sa participation au Japon à l’évènement commémoratif d’Hiroshima et Nagasaki.
Le Niger a retenu l’attention et l’émotion de tous les Insoumis engagés dans l’action internationale. Au total c’est beaucoup de monde, entre les officiels des groupes parlementaires et ceux du Mouvement engagés dans les associations et sur le terrain. Je ne fais ici l’injure à personne de raconter l’impasse dans laquelle le gouvernement français s’est enfoncé, non pas à cause de renseignements défaillants (et quoi, s’il avait « su » avant ?). Est en cause une incompréhension totale du nouvel état d’esprit des générations montantes africaines. La grossièreté de Macron à l’égard du président du Burkina, puis à l’égard de celui de la République démocratique du Congo ne s’explique par ses mauvaises manières habituelles d’« occidental » dominateur. Ici, c’est juste l’arrogance d’un paternalisme qui se lâche.
De notre côté, ces jours-ci, sous la houlette d’Arnaud Le Gall, nous avons publié une tribune de presse prudente mais claire. Prudente, car l’évacuation de nos compatriotes n’est pas finie. Et personne ne sait comment cette opération va être conduite. Le souvenir lamentable du convoi militaire français évacuant le Mali et traversant pour ça trois pays et se faisant mal recevoir partout est encore vif. D’autant qu’au Niger précisément, il se mit à tirer pour se dégager, se croyant sans réplique. La réplique est là ! Cela nous fait toujours craindre le pire de la part des organisateurs de tant de désastres absurdes depuis l’ère Macron.
Aujourd’hui, ce serait une erreur de participer à une opération militaire pour renverser le pouvoir de fait mis en place par les militaires nigériens, au nez et à la barbe des soldats français présents sur place et désormais déclarés indésirables, comme au Mali, comme Burkina, comme en Centrafrique, et ainsi de suite, demain, avec la même politique. Cette équipe n’est pas légitime ? Mais Macron n’a-t-il pas été lui-même adouber sur place le fils d’Idriss Deby comme président du Tchad après l’assassinat de celui-ci ? Pourtant, la constitution de ce pays donne ce rôle, dans ce cas, au président de l’Assemblée nationale ? Et s’il s’agit de rétablir militairement un pouvoir précédent, compte-t-on en faire autant au Mali et au Burkina ?
Tout cela est absurde. L’entrée de troupes venant de quinze pays plus les Français promet une violence sans fin, comme le Libéria et la Sierra Leone l’ont connue en leur temps. La communauté nigérienne de France s’est clairement positionnée contre cette formule, en connaissance de cause. L’Union des États africains aussi. Elles doivent être soutenues en France. Nous devons être cette autre voix de la France. Car par là passe la possibilité de construire une autre relation avec les pays africains et avec les peuples qui les composent. Et il n’y a pas d’avenir sans les Africains. Il est temps de leur demander à quelle condition, au lieu de vouloir les imposer de force.
Les BRICS, coalition de cinq pays (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) représentant 42 % de la population mondiale, vont se réunir ce 22 août. Réunion importante, et peut-être historique. La France de Macron a réussi le tour de force de s’y disqualifier en demandant publiquement à y participer. Refus poli mais ferme. Il faut dire que les marioles atlantistes avaient prévu d’exiger l’arrestation de Poutine s’il allait à ce rendez-vous. En effet, l’Afrique du Sud a signé la convention pour le tribunal pénal international. Les bonnes âmes ont tapé sur leur tam-tam médiatique à fond la caisse. En oubliant de dire que la Russie n’est pas signataire de cette convention. Et si elle dit s’appliquer quand même, alors il faut le faire à l’égard des États-Unis, qui eux non plus n’ont pas signé, et ont les mains pleines du sang de leurs crimes de guerre en Irak et en Afghanistan, et de leur centre de torture officiel à Guantanamo. Bref.
Quinze pays demandent à y adhérer. Dont l’Arabie Saoudite, le Venezuela et d’autres grandes puissances pétrolières. La présidente de la banque créée par les BRICS est Dilma Rousseff, l’ancienne président du Brésil démise par un putsch d’inspiration US. Elle a déclaré que le PIB de ces pays dépassait, au total, celui du G7. Personne n’a l’air d’y voir un sujet de débat en France. Sauf les habituels « fact checkers » voués à semer la confusion sur les chiffres gênants. La classe médiatique tient son rang d’abrutisseuse, en passant son temps à se gausser de l’impossibilité pour Poutine d’aller à cette réunion du 22 août. Comme si cela n’était pas promis à se payer bientôt…
Que va-t-il se passer d’historique ? Si les chose se passent comme annoncées, les BRICS vont décider la création d’une monnaie commune (attention, « commune », pas « unique »). Après la création de l’euro, déjà monnaie de réserve partiellement pour nombre de trésors publics (adossée à 25 % du PIB mondial), il y aura donc une autre monnaie pour les échanges entre les nations qui adhèreront au système (adossée à 35 % du PIB mondial, chiffre évidemment contesté par la propagande atlantiste). Ce sera donc la fin de l’ère du dollar-roi du monde, du dollar monnaie sans contrepartie matérielle permettant aux USA de vivre à crédit sur le reste du monde. La fin du monde d’après la Deuxième Guerre mondiale. Naturellement, la dé-dollarisation va se faire lentement. Mais sûrement, car elle est déjà commencée.
Évidemment, la France de Macron, en tant que bagage accompagné de l’OTAN et des USA, voit passer un train décisif dont les pilotes ne l’apprécient guère. Mais je dis à mes lecteurs de retenir la date où la décision sera prise. Elle sera le pendant, dans le temps de l’Histoire, de celle du 15 août 1971. Date à laquelle Nixon abolit la parité dollar-or. Dormez bien, les lecteurs des médias de l’officialité. La vie est ailleurs.
Il faut prendre au sérieux les propos de Nicolas Sarkozy à propos de la Russie, et plus encore ceux à propos de la dédiabolisation de Marine Le Pen. Non pour les approuver, mais pour en tirer des leçons.
Sur la Russie, on doit admettre des espaces d’opinions contradictoires, qui soient en quelque sorte des pauses dans la propagande de guerre pour réfléchir de façon ouverte. Pas de risque. La propagande est très bien faite médiatiquement : pas une faille sur les plateaux. Même quand y vont des gens dont on connait les convictions bien plus nuancées que leur propos. Et la cohésion des Français est assez largement garantie par le fait que personne en France n’approuve une invasion armée entre voisins en Europe. C’est la position du mouvement Insoumis depuis la première heure de l’invasion. Depuis cette date, les bavards prennent la pose, et le mouvement Insoumis de son côté accueille des opposants russes socialistes anti-guerre. Seul à gauche à faire quelque chose de concret.
Politiquement, le bilan de cette invasion est absolument désastreux pour tous ceux qui voyait dans le rattachement de la Russie à l’Europe la clef d’un nouveau monde, non enfermé dans le choix entre USA et Chine. Depuis cette invasion, deux pays hier neutres ont rejoint l’OTAN, et toute l’Europe est plus atlantiste que jamais. La ligne Poutine est un échec total. Pourtant le message français est inaudible. Les errements de la France de Macron n’ont rien arrangé : un jour il prône une « équidistance » entre Chine et USA, l’autre il regrette l’exclusion humiliante de notre pays d’une absurde coalition anti-chinoise grotesque, comme celle qui nous a été infligée par les USA, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
La ligne que nous défendons, le « non-alignement », n’est pas la neutralité. Ni l’équidistance. La Russie a envahi l’Ukraine et elle doit sortir d’Ukraine sans conditions. Et, dans ce cadre chacun, des deux pays doit avoir ses garanties de sécurité pour la suite de la vie, car le voisinage géographique ne se change pas. Ces garanties, Macron les avait évoquées, avant de se rétracter peureusement devant le tollé médiatique atlantiste. L’intérêt des Européens (et de ceux qui croient à une indépendance possible sur le vieux continent) est que la guerre d’Ukraine prenne fin. Et, avec elle, la montée des périls de toutes sortes qui viennent dans son sillage, depuis le risque sur les centrales nucléaires jusqu’à celui d’escalades incontrôlées… et même délibérées, compte tenu de la crise politique russe et de l’imprévisibilité de certaines composantes ukrainiennes.
Sur Marine Le Pen, nous recevons un signal. Nicolas Sarkozy est le personnage le plus écouté à droite. Il ne s’exprime pas dans le flot du bruit. Il ne parle pas « pour ne rien dire » comme tant d’occupants de temps d’antenne. Là encore, il doit être pris au sérieux. L’intégration, sous une forme ou sous une autre, du RN a une coalition majoritaire est la condition pour la construction de « l’arc républicain » électoral. Qui, de la droite ou bien des macronistes, prendra la tête de cette coalition ? Une leçon de l’histoire récente en Europe montre comment, pour finir, l’extrême droite peut tirer les marrons d’un feu préparé par d’autres. La Melloni en Italie en atteste.
En toute hypothèse cela passe par la dédiabolisation de Le Pen. Que Sarkozy se réfère à ce mot ajoute à la force de ce qu’il entreprend en le faisant. Sans cet apport, ni la droite, ni la macronie (par ailleurs incapable de se céder le pas) ne peuvent espérer de majorité. Nous savons que la diabolisation des Insoumis est une composante de cette opération. Nous ne sommes pas réellement autre chose qu’un prétexte pour donner des bonnes raisons à tout cet « arc » de s’unir, de reporter leur voix les uns sur les autres. Aux législatives, ce type de report est le responsable des 51 000 voix qui nous manquèrent pour avoir la majorité relative, ou des 300 000 qui nous manquèrent pour avoir la majorité absolue au deuxième tour. Je ne parle donc pas d’une lubie complotiste, mais d’un fait sérieux, avéré.
Ajoutons que les stratèges se demandent qui seront réellement les protagonistes de 2027. Et donc le second tour, pour eux aussi, dépend du premier. Et le second, alors, n’est pas un boulevard. Au point que d’aucuns, depuis quelque temps, rêvent même d’étendre la surface de leur « arc républicain » vers la gauche traditionnelle. L’hebdomadaire JDD publie à ce sujet un appel signé par « l’essayiste-traducteur-éditeur » (sic) Éric Naulleau. Contre les « délinquant rebaptisés émeutiers », soutenus par le « parti de l’étranger », woke et islamo-gauchiste, il donne une consigne : « Face à ce danger d’aujourd’hui, il faut tendre la main aux communistes ». Les malheureux communistes ! Comment ont-ils pu mériter une aussi dégradante affection ? « Pas un mot sur la Nupes », ajoute Naulleau le traducteur, « la page est tournée, l’heure est à l’union nationale, à un accord sur les valeurs essentielles ». Alors il lance son appel : « Républicains de tous les pays, unissez-vous ! Et demain, Fabien Roussel rimera avec Joseph Kessel ». Bigre ! Hélas, gémit-il « le PCF s’émancipe lentement, trop lentement de la Nupes pour s’éloigner d’une extrême gauche devenu un parti de l’étranger ! ». Trop lentement ? Qui croire ? Car « Le Figaro » annonce une séparation déjà claire et nette ! Invoquant lui aussi Fabien Roussel, l’éditorialiste de la droite mondaine affirme : « les émeutes du début de l’été ont souligné cette fracture entre ceux qui assimilent la police à une force ennemie et ceux qui au contraire défendent l’ordre républicain ». Ce détour montre la détermination qui anime la droite sur le sujet.
Il faut faire la part des choses évidemment. Jamais les communistes ne participeront à une telle tambouille, quoiqu’en pense Roussel. Pas de doute sur le sujet. Ce qui compte c’est l’ambiance qui est construite de cette façon. C’est la ligne de construction du « cercle de la raison » que prônait naguère « Le Monde » quand il s’agissait de construire l’alliance des libéraux de tous bords, dont Macron est l’héritier final. Puis celle qu’il a pratiqué ensuite en organisant, le premier, la dédiabolisation de Marine Le Pen. Désormais il assume avec énergie son corollaire qu’est la diabolisation des Insoumis, ciment du prétendu « arc républicain ».
Quand ce projet est porté par Nicolas Sarkozy, la semaine où l’un des siens, député LR, fait l’éloge de l’antisémite Maurice Barrès, on peut légitimement penser que projet devient consistant, et même officiel, car seul Sarkozy conserve à droite une capacité de parole et d’écoute, dans le fouillis créé par la parole démonétisée de Macron. Et on doit d’autant plus facilement y prendre garde, car c’est la pente dans toute l’Europe. Dernière nouvelle en date sur le sujet, la droite des Pays-Bas se dit prête à gouverner avec l’extrême droite. C’est ce projet qui mûrit sous nos yeux. Et la sempiternelle et lassante accusation d’antisémitisme en est une composante. Et Médine un prétexte !