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15.11.2023

#RDLS167 : Viser l’unité du peuple dans la lutte pour la paix et contre les racismes

(Ce texte est un abrégé de mon intervention dans cette vidéo.)

Les mots et les choses

Cette vidéo est un peu plus longue qu’habituellement. Mais il est nécessaire, à intervalles réguliers, de produire une analyse un peu plus en profondeur des faits dans lesquels nous vivons. Je crois que mieux comprendre aide à mieux vivre.

Aujourd’hui, toute l’actualité est submergée par les événements du Proche-Orient. Pour autant, dans les profondeurs et dans la vie de tous les jours, ce qui compte, c’est d’abord ce que l’on vit concrètement. Notre pays s’enfonce progressivement dans une forme de « quart mondialisation », de pauvreté généralisée. Et il s’enfonce aussi dans les conséquences de la crise climatique, qui aboutit par exemple à la noyade généralisée dans le Pas-de-Calais. Ces deux sujets ont presque l’air relégués, alors qu’ils sont des sujets décisifs dans la vie de toutes les très nombreuses personnes concernées. Pour autant, cette actualité-là, celle qui passe sous les radars, continue à faire son chemin et à provoquer de la réflexion, de la pensée et surtout un sentiment d’abandon extraordinaire. Mais nous vivons aussi avec l’actualité qui se présente à nous. On nous demande continuellement de prendre position sur le conflit au Proche-Orient. Pour cela essayons de nous mettre un peu à distance. 

Cela vaut la peine de réfléchir en profondeur aux événements de politique internationale. Car à un moment donné, ils peuvent submerger tous les autres dans la réalité. Si des conflits locaux dégénèrent en guerre généralisée, nous nous y trouverons tous impliqués. Dès lors, on ne peut pas dire que la géopolitique, les questions de politique internationale, soient des sujets abstraits ou qu’ils ne nous concernent pas directement. Ils nous concernent aussi. Pour essayer d’y voir clair, il faut prendre un peu de hauteur. 

Depuis la fin de l’URSS, l’ancienne organisation du monde a explosé. Autrefois, on avait l’Ouest et l’Est, les communistes et les capitalistes. Et à chaque fois qu’apparaissait une situation de conflit quelque part, tout le monde était mis au pied du mur. Il fallait choisir son camp, d’un côté ou de l’autre.  C’était déjà une première indication ou des situations extrêmement différentes dans le monde sont ramenées à une seule latéralisation : avec l’un ou avec l’autre. Depuis la fin de cette organisation politique du monde, le monde n’est pas plus pacifique qu’avant. Il y a toujours des conflits partout et presque davantage certaines années. Oui, le monde n’est pas en paix. L’Europe n’est plus en paix depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il y a des conflits partout. Vous serez surpris d’apprendre le chiffre suivant. Il y a 195 nations dans le monde ou reconnues comme telles par l’Organisation des Nations unies. Parmi eux, 126 connaissent un différend frontalier : 75 % des nations du monde ont un sujet de querelle avec leurs voisins immédiats. Les questions de frontière déclenchent toujours les guerres. On intervient pour pousser plus loin sa frontière ou pour empêcher que la sienne recule. Les conflits armés ont tous des enjeux de frontières, sans exception. La question des frontières est donc évidemment la question clé des relations internationales. 

C’est pourquoi nous devons lutter pour l’intangibilité des frontières. Vous me direz qu’il y a des endroits où il faut quand même changer quelque chose. C’est la question kurde. Ils sont répartis dans quatre pays. Donc on admet l’idée qu’il puisse y avoir des problèmes de frontières. Ils s’imposent à nous et il faut un cadre pour discuter. Mieux vaut discuter que faire la guerre. 

C’est déjà un choix : est-ce mieux de discuter ou de faire la guerre ? Certains pensent qu’il faut discuter, donner de la place à la diplomatie, aux organisations internationales. D’autres pensent qu’utiliser la force est plus rapide. Et ceux qui passent en force pensent parfois avoir le dernier mot. Mais c’est toujours provisoire. L’histoire longue nous montre ça : c’est toujours provisoire. À un moment ou à un autre, le problème qu’on a pensé régler par la force, revient et déclenche à nouveau des différends et des conflits. 

Donc 75 % des pays dans le monde ont un différend de frontière. Et parmi eux, une certaine proportion a un conflit armé. Alors ça peut être un conflit armé avec le voisin. Ça peut être un conflit armé à l’intérieur de ses propres frontières par un acte de sécession. Mais en attendant, 28 % des nations du monde connaissent un conflit armé. Je vous donne tous ces chiffres pour qu’on puisse se mettre un peu en hauteur et ne pas penser qu’un seul conflit existe. Comme il y a quelques mois de ça, il n’y aurait eu qu’un conflit dans le monde : à la frontière entre l’Ukraine et la Russie. Et maintenant il n’y aurait qu’un conflit dans le monde, ce serait celui du Proche-Orient. Non, il y a une situation générale. Et cela explique pourquoi la multiplicité des situations ont une caractéristique commune, malgré leurs explications locales. C’est la question des frontières. 

Et les plus puissants sont toujours intéressés par les conflits de ceux qui le sont moins. Pour eux, c’est une occasion d’affirmer leur puissance. Si vous dominez et que ceux que vous dominez se battent entre eux, la situation du dominant est meilleure. Ou bien tout d’un coup, une guerre locale permet à un dominant d’avoir accès à un secteur, c’est toujours bon à prendre. Par conséquent, les dominants ont toujours cherché des explications globales pour mettre le monde en ordre à leur main. C’est comme ça qu’au lendemain de la chute de l’URSS, les États-Unis d’Amérique, alors la première et seule puissance du monde, prétendaient imposer un « nouvel ordre du monde ». Prévenant les conflits éventuels, ils produisirent une théorie pour les expliquer tous et donc permettre de trier les gens. Trier les gentils, les méchants. Les gentils étant évidemment avec les États-Unis d’Amérique et les méchants voués au diable.

Il faut accorder beaucoup d’importance au cadre intellectuel dans lequel la vie est pensée par ceux qui dominent, parce que c’est au nom de ce cadre qu’ils agissent et qu’ils justifient ce qu’ils font. Ils produisent un vocabulaire, des effets de propagande, de la diabolisation des uns et de la sanctification des autres.

La théorie du « choc des civilisations » a un auteur, il s’appelle Samuel Huntington. Elle a été formulée en 1996. Donc cinq ans après la fin de l’U.R.S.S. Et elle a été aussitôt désignée par tous les secteurs de la propagande impériale comme étant la bonne théorie, la bonne explication du monde. Ceux qui l’ont lu ont évidemment immédiatement découvert tous les aspects boiteux de cette théorie, puisqu’elle est censée englober une compréhension générale du monde.

Que dit-elle ? Que l’Occident est en recul de population et qu’il va être bientôt dominé par d’autres. Cela veut juste dire qu’il y a plus de monde d’un côté que de l’autre. Mais c’est bien habillé parce que tout de suite, ça commence avec un classement. Le monde serait partagé entre de grandes aires civilisationnelles et celles-ci reposent toujours sur la religion. Et Samuel Huntington prend l’exemple de la Grèce antique, où les cités se battaient entre elles. Quand arrivèrent les Perses, on leur demanda de quel côté elles allaient être. Et des cités qui étaient contre Athènes s’alignèrent sur elle car ils avaient les mêmes Dieux. La conclusion est alors que la définition ultime d’une civilisation est donnée par la religion. Donc, choc des civilisations. Et quel est le choc principal ? D’après Samuel Huntington, c’est d’un côté l’islam et de l’autre côté tous les autres. Alors évidemment, il y avait un problème de classement. De quel côté mettre la Chine par exemple ? On ne savait pas trop. Pourtant, la Chine, doit a priori être classée dans le camp des méchants pour les Américains. Où mettre les Russes ? Dès le départ, il y avait des aspects boiteux à cette théorie. Mais elle a servi de cadre intellectuel. Et cette conception sort du droit. Car on ne parle plus d’Etat, de Nation, d’accords internationaux. On parle de « civilisation ». Ce concept est bien flou. Et dès lors qu’on y mêle la religion, on se trouve dans une autre logique. Et c’est comme ça que tout conflit va progressivement être présenté. D’un côté, les barbares, de l’autre côté les civilisés. Le Bien d’un côté, le Mal de l’autre. Dès lors, on voit le vocabulaire qui découle du choc de civilisations et on l’a entendu dans le conflit au Proche-Orient. Mais pour autant, je voudrais d’abord illustrer ce que je vous dis en vous rappelant les conflits auxquels nous venons d’être confrontés, dont parfois personne ne parle. Concernant l’Ukraine, cela a duré pendant des jours car, cela tombait bien, les Russes étaient censés être les ennemis de toujours. Mais il y avait d’autres conflits oubliés : le Yémen avec ses voisins. Un conflit présenté par l’ONU comme la plus grande catastrophe humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il y a un autre conflit dont on ne parle jamais, celui entre la République démocratique du Congo et son voisin rwandais. Il articule des bandes armées sur le territoire congolais qui sèment le désordre, la mort et la désolation depuis 25 ans. Cela a provoqué le plus grand déplacement de population depuis la dernière guerre mondiale : six millions neuf cent mille personnes. Ce n’est pas le chiffre donné par les Congolais. C’est le chiffre donnés par l’ONU. Tant et si bien qu’au aussi bien l’ONU, aussi bien le Parlement européen, aussi bien même les Etats-Unis d’Amérique ont dit au Rwanda d’arrêter de provoquer cette déstabilisation de son voisin. 

L’Arménie, c’est très récent aussi. La situation résultait du désordre de la fin de l’URSS où on ne s’est mis d’accord sur rien. Un bout de l’Arménie se trouvait sur le territoire de l’Azerbaïdjan, on l’appelle le Karabakh. C’est une zone de conflit. Car des Arméniens sont là, au milieu de l’Azerbaïdjan. Dans une vie normale, il y a droit à l’autonomie… C’est ce qu’on a fait et l’ONU a garanti que ça se passerait comme ça, que les droits des minorités seraient reconnus. Et puis un jour, l’Azerbaïdjan a décidé d’envahir le Karabakh et toute la population a dû partir. Il ne resterait sur place que quelques centaines ou quelques milliers de personnes. Toute la population est partie. 

Cela m’amène à une des caractéristiques des guerres contemporaines : les « guerres totales ». Le concept a été inventé par Clausewitz. C’était au début du XIXᵉ siècle. Donc c’est une vieille histoire. Mais on n’en avait pas eu la définition concrète. La première fois qu’on a vu une guerre totale, c’est la Première Guerre mondiale. Et à l’époque, on disait « guerre totale » pour dire : on mobilise tous les moyens de l’industrie, du commerce, de tout, au service de la guerre. Et avec une telle conception de la guerre, on commence à utiliser tous les moyens disponibles, y compris les plus abominables. Il y a eu à l’époque le gaz moutarde, utilisé pour la première fois dans les combats. Ou le lance flammes, des armes particulières de destruction, d’une barbarie signalée et particulière. Puis, quand on est arrivé à la Deuxième Guerre mondiale, le concept de « guerre totale » a eu une conséquence totale. C’est-à-dire : on tue tout le monde. Le modèle, l’exemple, la répétition générale de ce modèle de guerre a été tentée en Espagne. Les franquistes, c’est à dire l’extrême droite, a fait une subversion contre le régime républicain. Aidé par les nazis allemands, les fascistes italiens, ils ont provoqué le bombardement de Guernica. C’était la première fois qu’on voyait ça : on bombarde une ville jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien debout. Ça ne s’était jamais vu ! C’est comme ça qu’a été traduit le concept de guerre totale, c’est-à-dire : extermination totale de tout le monde.

Le croisement de la « guerre totale » et du « choc des civilisations », à la fin du XXᵉ siècle et au début du XXIᵉ, a donné lieu à des méthodes d’un type nouveau. On l’a nommé le « nettoyage ethnique ». C’est-à-dire, soit on tue tout le monde et le problème est réglé, soit on déporte massivement les populations pour et on s’approprie le territoire. Mais à la fin, on revient toujours aux mêmes thèmes : frontières, propriétés des territoires, souveraineté sur un territoire ou sur un autre, par le consentement ou par la force. 

Voilà dans quel contexte se présente le conflit au Proche-Orient. Et il faut le placer dans ce contexte pour bien comprendre les mots utilisés, les méthodes utilisées. On ne peut pas comprendre ce que le gouvernement de Monsieur Netanyahu est en train de faire à Gaza, si on ne comprend pas que cela procède du concept de guerre totale. Au départ, il dit vouloir pourchasser les terroristes du Hamas et à la fin on se retrouve à tuer tout le monde et au nom de la légitime défense. Naturellement, n’importe qui se rend parfaitement compte que ce n’est plus de la légitime défense de bombarder des écoles, des hôpitaux, des quartiers entiers. De tout raser, tout détruire, de faire sauter les réserves d’eau, de faire un blocus, de couper l’électricité. On ne peut le comprendre sans se référer à cette méthode. 

Mais on l’a vu s’appliquer ailleurs : les Russes ont quasiment rasé Grozny pour lutter contre « l’islamisme tchétchène ». De la même manière, la bataille contre Daesh s’est terminée par la quasi-destruction d’Alep et de plusieurs villes en Syrie, bombardées d’une manière intensive dans les mêmes conditions. Je pourrais prendre d’autres exemples dans le monde. C’est pour dire qu’il ne s’agit pas de penser que nous avons affaire à une situation qui, par elle-même, serait extraordinaire.

Ce qui est extraordinaire, c’est que cette fois ci, on se trouve dans un cas où tous les pays, notamment européens, tous les pays qui dominent le système des Nations unies, sont en état de faire cesser le combat et ne le font pas. Cela montre la limite et l’horreur de la théorie du choc des civilisations. C’est qu’il y a continuellement deux poids, deux mesures. Selon que vous êtes classés dans le camp du Bien ou dans le camp du Mal. Et ce dernier est toujours celui du « terrorisme ». 

Dès lors, on comprend ce qui se passe autrement. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas voulu, nous les insoumis, parler, au départ, de « terrorisme ». Parce que le mot « terrorisme » en excluait un autre. Et il était là pour ça. Cet autre mot, c’était “crime de guerre.” Maintenant, je vais vous parler de l’importance des mots et de la manière de les manier, des problèmes que ça pose, du contexte dans lequel on est. 

Parfois, il y a des problèmes avec les mots. Par exemple, en Afghanistan. L’ennemi du camp du Bien, il avait des noms qui changeaient suivant les périodes, les moments. Tantôt c’étaient des « rebelles », tantôt c’étaient des « dissidents », tantôt c’étaient des « djihadistes ». Et vous voyez bien que ça n’avait pas toujours la même conséquence : un dissident est quelqu’un qui appartient à un ensemble et veut s’en séparer. Un rebelle, c’est quelqu’un qui ne se soumet pas à une autorité. Et djihadiste, on comprend. Donc à chaque fois, ça vous installe une latéralité. Autorités versus dissidence, loi versus rebelles. Et vous voyez donc que les mots ont une importance, alors il faut faire attention dans leur usage. 

Dans une situation personnelle si vous vous trompez de mot, il vaut mieux le reconnaître. Mieux vaut admettre votre erreur, notamment pour limiter le mal qu’un mot a pu éventuellement faire. Mais aussi pour vous, pour vous aider à mieux identifier la réalité de la situation. Mais quand on parle de relations internationales, c’est une autre paire de manches. Les mots ont un sens immédiatement juridique et il faut qu’ils aient un sens juridique. Parce que les batailles d’abstraction, conduisent à des désastres.

Tout le monde l’a dit, tous les spécialistes de la guerre de la diplomatie vous disent que la guerre au terrorisme, est un mot qui n’a pas de sens. Pourtant, spontanément, on dit qu’on ne peut pas être d’accord avec le terrorisme et qu’il faut faire la guerre à ceux qui utilisent les méthodes terroristes. Vous voyez déjà qu’on a un peu glissé et qu’on parle de « méthodes ». Puis on parle des « actes ». Ensuite, le problème avec le mot « terroriste » est que son application change suivant qui les désigne. Alors vous connaissez tous l’histoire. Les résistants ont été traités de terroristes. Les Irlandais républicains du Sinn-Fein ont été traités de terroriste. Maintenant, ils dirigent l’Irlande…

Le plus important dans les situations compliquées, confuses, c’est d’introduire du discernement, de la raison. D’empêcher les passions de tout dominer, parce qu’on ne peut rien régler à partir du moment où on se laisse embarquer par des mots que plus personne ne contrôle. Dans le cas d’un conflit, l’expérience de l’humanité, les accords internationaux, nous ont conduit à désigner par un autre nom les méthodes considérées comme inacceptables. Quand bien même la guerre elle-même est inacceptable. C’est pourquoi on parle de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité ». Mais on pourrait très bien dire au sens commun que toute guerre est un crime. On peut même dire que toute guerre est une addition de crimes. On pourrait dire que toute guerre qui comporte des bombardements constitue aussi un crime contre l’humanité. Mais les pays qui constituent l’ONU, dont le nôtre, l’ont défini aussi précisément qu’il était possible. Ce n’est pas un problème de grammaire ou de syntaxe, c’est un problème de Droit. Pour pouvoir désigner ce que l’on combat et ce que l’on va punir.

Et dans le Proche-Orient, ce n’est pas la première fois que la question se pose. En 2009, le conflit existait déjà et l’opération conduite par le gouvernement de l’époque d’Israël contre la population de Gaza s’appelait « Plomb durci ». Cela avait donné lieu à des massacres qui déjà avaient été identifiés par le rapporteur des Nations unies comme des « crimes de guerre ». Et cela concernait les deux parties. Dès lors qu’on revient à une situation comparable, on utilise l’expérience acquise. Car quelle a été la conséquence ? Aucune. Il ne s’est strictement rien passé. Personne n’a été puni. Et dès lors que personne n’est puni, vous banalisez des méthodes. Cela prouve que si l’un est assez fort, il impose ses vues par la force. Et c’est ce contre quoi il faut tout le temps lutter.

Donc voilà pourquoi il faut toujours se référer à tout ce qu’on a comme acquis de droit, sinon il y a un risque de guerre généralisée, chacun ne se référant plus à rien d’autre qu’à son propre intérêt. Ou celui des alliances. Tout, sauf le droit. Et nous avons intérêt à nous référer tout le temps au droit.

Nous condamnons les crimes de guerre et ils sont définis clairement. Il y a une liste. Attaquer des civils sur des fronts, détruire des hôpitaux, tuer des enfants… Le crime de guerre ne se définit pas au hasard et le crime contre l’humanité de même. Instruits par les premiers épisodes au Proche-Orient, il y avait intérêt à se cramponner tout de suite à la définition de crime de guerre. Évidemment, sans oublier de dénoncer la violence et d’exprimer de la compassion. 

L’intervention armée du Hamas sur le territoire d’Israël a commencé à 6 h du matin le 7 octobre. Il a fallu que les informations arrivent, qu’on sache de quoi il s’agissait, l’ampleur de ce qui avait été observé. À peu près tout le monde s’est exprimé. Notamment les dirigeants d’Israël. Entre 6 h du matin et l’heure à laquelle, avec le décalage horaire, je me suis exprimé, ça doit être 11 h du matin. La déclaration du Premier ministre d’Israël est à 10 h du matin.

D’entrée de jeu, j’ai posé chaque mot et je n’en ai pas un à retirer de ce que j’ai dit à ce moment-là. Pourtant, on a dit après qu’on avait manqué de compassion, qu’on était complice du Hamas parce qu’on ne voulait pas dire que c’était du terrorisme. C’est à dire que d’entrée de jeu et quoi que j’aie dit, il fallait embrouiller pour me ranger dans le camp du Mal. Parce que les guerres ont toujours des prolongements en politique intérieure dans des pays qui eux, ne sont pas en guerre. C’est notre cas à nous les Français.

Mais encore une fois, je veux vous relire et je veux que vous puissiez lire ce que j’ai dit à ce moment-là. Il y a donc à peu près 5 h que les événements ont eu lieu ce 7 octobre. 

J’ai tweeté : “ Toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza, – car les répliques avaient commencé – ne prouve qu’une chose, la violence ne produit et ne reproduit qu’elle-même. – Voyez-vous quelque chose d’excessif ? Aussitôt, je précise – Horrifiés – (nous, horrifiés) – nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées, victimes de tout cela. – Toutes les populations désemparées, victimes. Le mot compassion est là aussi. Tout ce qui m’a été reproché n’a donc pas de signification concrète par rapport à ce message. Et aussitôt voici ce que je dis, et à ce moment-là, je suis tout seul à le faire : « Le cessez le feu doit s’imposer. La France doit y travailler de toutes ses forces, politique et diplomatique.”

Oui, à ce moment-là, quand un conflit armé commence pour régler quoi que ce soit, y compris la punition des criminels, il faut le cessez-le-feu. On ne rend pas la justice dans les bombardements. Voilà pourquoi je parle de cessez- le-feu. Il aura fallu 35 jours pour que le président de la République française parle pour la première fois de cessez-le-feu. Et encore à cette heure, toute une série de gens refusent de dire « cessez le feu ». Donc le problème, ce n’est pas pourquoi je n’ai pas utilisé le mot « terrorisme » au profit du mot « crimes de guerre ». C’est pourquoi ils ne veulent pas du cessez-le-feu !

Car qui ne veut pas du cessez le feu est directement complice de la guerre totale et générale qui a lieu à Gaza. C’est aussi simple que ça. 

Je termine en me lisant : “La France doit y travailler de toutes ses forces politiques et diplomatiques. – Et j’ajoute – les peuples palestinien et israélien doivent pouvoir vivre côte à côte en paix et en sécurité. La solution existe, celle de deux Etats, conformément aux résolutions de l’ONU.”

Nous sommes 4h ou 5 h après le début des événements. Que changeriez-vous ? Dans l’état de l’information, tout y est et je pense que je peux assumer tout à fait fièrement ce texte. Mais j’ai bien compris aussitôt après la querelle qu’on me faisait sert à quelque chose. C’est à obliger tout le monde à parler de « terrorisme » plutôt que de « crimes de guerre ». Parce que quand vous parlez de « terrorisme », le mot ne s’applique jamais à un état qui intervient, il s’applique à des individus, il s’applique à des groupes, il s’applique à des organisations. Et donc le mot terrorisme est là pour empêcher de parler des « crimes de guerre ».

Et j’interroge tous ceux qui me reprochent de ne pas avoir utilisé le mot « terrorisme » alors que je suis prêt à qualifier « d’acte terroriste » telle ou telle abomination. Je ne rencontre aucune difficulté à le faire parce que je comprends que ces abominations sont commises pour faire peur, pour terroriser. Mais je ne veux pas parler de « terrorisme » pour ne pas entrer dans le cadre du « choc des civilisations ». Et pour rester sur le terrain du crime de guerre, de ce qui relève de l’ordre international. 

Je n’ai pas eu si tort que ça ! Maintenant, toute une série de pays portent plainte devant le Tribunal pénal international contre les crimes de guerre qui ont lieu au Proche-Orient. Alors, quelle est ma faute ? D’avoir eu raison 5 h après le début du problème ? Dans cette situation, seule la précision du vocabulaire du droit international permet de conduire les affaires d’une grande nation. La France est un grand pays, elle a du pouvoir. Enfin, elle en avait. Forcément si elle use sa parole dans des gesticulations, elle en a moins. Mais nous avons un poids.

Il ne peut pas être question pour nous de céder sur le droit international, sur les résolutions de l’ONU. Pourquoi ? Parce que maintenant, Monsieur Netanyahou menace le Liban. Et avec quels mots ? Il dit : “Nous sommes capables de faire à Beyrouth ce que nous faisons à Gaza.” Autrement dit, raser des routes, raser la capitale du Liban, menacer toute la population libanaise. C’est ça ? Telle est la sortie de crise au Proche-Orient ? Comment peut-on croire qu’une abomination pareille améliorerait quoi que ce soit ? D’autant que nous, la France, nous sommes directement concernés par le Liban ! Parce que c’est un pays avec qui on entretient des relations profondes et justifiées d’amitié. Et pourtant, la situation au Liban n’est pas simple. Et je vais vous rappeler une chose : il y a 700 casques bleus au Liban, ce sont des casques bleus français. Nous sommes présents militairement sur place. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? La France doit peser pour dire à M. Netanyahu de ne pas parler pas comme ça à ses voisins. Là, ce n’est plus de la légitime défense, c’est de l’agression pure et simple. 

Et ensuite il s’est adressé aux pays qu’on nomme pays arabes : “Je dis à leurs chefs qu’il vaut mieux que vous gardiez le silence si vous avez bien compris vos intérêts.” Il menace tout le monde ! Cela veut dire que nous sommes devant une possibilité de guerre généralisée dans toute la région. Il y a un embrasement dont plus personne ne contrôlera ensuite les limites. Parce qu’à cet endroit du monde, tout le monde y a mis les doigts. Toutes les grandes puissances ont les doigts engagés. Sauf peut-être la Chine qui, prudemment et comme c’est sa tradition, se tient à distance des conflits dans lesquels elle ne veut pas être mêlée. Mais sinon, les Russes sont aussi concernés à cause de la Syrie. La Syrie est un voisin d’Israël et le plateau du Golan occupé appartient toujours à la Syrie. Je prends cet exemple pour montrer comment le feu peut prendre sur toute la plaine. Tout le monde pourrait s’en mêler et on ne saurait plus quoi faire devant une situation pareille. Donc voilà l’importance des mots. 

Cela étant, il y a ensuite l’importance des mots ici dans la bataille politique. Alors il peut arriver de ne pas utiliser le bon mot. Personne n’est à l’abri de ça. Je le dis pour moi comme pour tout le monde. Mais quand vous êtes dans une bataille de cette nature, il faut bien réfléchir à ce que vous faites. Parce que la guerre des mots, pour ceux qui ne sont pas sur les fronts de combat, c’est souvent aussi une guerre totale.

Donc il faut bien se souvenir d’être très vigilant. Dans ces situations, il faut penser à son pays et à la suite des événements pour son pays. Donc il faut faire très attention à ce qu’on fait et ce qu’on dit. Voilà, c’est la position politique que j’ai pris 5 h après le début du conflit. Je ne change pas un mot à tout ça. Sinon pour en ajouter un : ce qui se passe à Gaza est une addition de crimes de guerre et peut-être même de crimes contre l’humanité.

Et certaines personnes au niveau international ont aussi commencé à parler de génocide. Certains pays ont rompu leurs relations diplomatiques avec le gouvernement de Monsieur Netanyahu. Ce n’est pas rien. Il n’y a qu’en France où le monde est en noir et blanc. Les uns ont tort, les autres ont absolument raison. Quoi qu’ils fassent. Non ! Et on n’a pas intérêt à inscrire la France dans un alignement de cette nature. Vous n’êtes pas surpris de me l’entendre dire. Je suis pour le non-alignement. Voilà ce que je voulais dire à propos des mots.

Un rapport est souvent créé entre une situation internationale et une situation nationale. Il n’est pourtant pas direct entre un conflit à l’étranger et une situation politique nationale. Dans le cadre de la théorie du « choc des civilisations », au Proche-Orient, c’est la lutte entre le Bien et le Mal, c’est à dire entre la « civilisation » et la « barbarie », comme le dit M. Netanyahu. C’est-à-dire, contre l’islam. Alors le même registre peut servir ici en France pour construire des coalitions politiques. Cela tombe bien, c’est précisément le besoin de toute une partie du champ politique français. Il doit pouvoir se rassembler pour être majoritaire. En particulier ceux que l’on a appelé parce que c’était plus facile à comprendre, le « bloc bourgeois ». Car au sortir des dernières élections, on a trois blocs. La gauche, la droite macroniste et l’extrême droite. Trois blocs à peu près égaux. Tout le monde comprend que pour être majoritaires, il faut être plus nombreux. Dès lors, pour nous, cela veut dire aller chercher les abstentionnistes des milieux populaires. Ils sont innombrables et l’on peut constituer avec eux une majorité. Pour arriver à faire cela, on a une ligne stratégique : l’Union populaire. Pour que tout le monde puisse se rassembler. Donc, dans notre cas, notre intérêt direct et immédiat pour l’union populaire, c’est la lutte contre le racisme. Parce que faire entrer dans les milieux populaires des histoires de religion ou de couleur de peau pour séparer les gens, c’est mettre fin à l’union populaire. Il y a des pays où cela existe. Vous avez un système de castes. Alors des gens qui ont la même couleur de peau, habitent le même pays, ont la même religion, sont divisés en castes. Et une caste ne fait jamais rien avec l’autre, par exemple les brahmanes avec les intouchables. Des syndicalistes m’avaient expliqué comment lors d’une grève, certains ne pouvaient se réunir du fait de ce système. Donc nous avons intérêt à combattre continuellement le racisme. C’est pourquoi toutes les organisations syndicales sans exception le citent dans leurs combats. Parce que le racisme est le pire ennemi de l’unité des travailleurs et pour nous, les insoumis de l’unité du peuple. Par conséquent, il ne peut pas être question de combattre un racisme en en alimentant un autre, comme sont en train de le faire ceux qui se réclament de la lutte contre l’antisémitisme en provoquant la dénonciation des musulmans et en développant l’islamophobie. C’est exactement ce que fait le Front national. On peut comprendre que des gens soient rusés politiquement. Nous ne sommes pas obligés de tomber dans le piège. Dès lors, nous sommes très attentifs à cette question car pour nous, elle est vitale. On peut tout combattre, on peut convaincre, jusqu’à ce que le racisme prenne pied. Pour revenir en arrière, c’est une histoire sans fin et il n’est pas toujours prouvé qu’on y arrive. La diffusion du racisme, on sait comment ça se fait, mais le rembobinage du racisme, on le sait moins. La preuve, c’est qu’on a tant de mal à le combattre et que chaque fois qu’arrivent des périodes de crise sociale, l’adversaire a toujours utilisé des arguments de type ethnique ou raciste pour diviser la masse des travailleurs. 

Voilà pourquoi, pour nous, lutte contre le racisme et stratégie de l’Union populaire, c’est la même chose, la même technique de combat politique. Et pour nos adversaires, bien en vue, exactement l’inverse. Je ne dis pas tous, mais le Front national, véritable organisateur de la droite, véritable idéologie qui domine la droite. Tous les autres ne font que répéter plus ou moins bien ce qu’il dit. Tout le monde le sait : idéologiquement, le Rassemblement national a gagné la partie sur tout l’espace de la droite. Alors bien sûr, certains réalisent qu’ils ne sont pas d’accord et continuent à affirmer la ligne de la droite traditionnelle. Mais aujourd’hui, ils sont en minorité. Cela n’empêche pas d’être parfaitement lucide. L’autre jour, j’ai entendu Monsieur Aurélien Pradier, député « Les Républicains » du Lot sur France Info. Il dit : “Je fais une différence très claire entre l’islamisme et l’islam. – et il a raison de le préciser.-  Et je sais que ce qui amène le rassemblement national à se mobiliser contre l’antisémitisme, c’est la haine indifférenciée des musulmans, rien d’autre.” C’est très courageux de sa part de dire ça. Mais il a compris une chose sur le combat d’une angoisse légitime, celle des personnes juives apeurées du nombre d’agressions constatées, d’insultes entendues. On ne combat pas cela en faisant un paquet indistinct avec des gens qui proposent de désigner les musulmans pour cible !

Au-delà même de l’Union populaire l’unité du peuple français est en jeu. Car l’unité du peuple français ne peut se faire dans un cadre de guerre de religion ou de désignation d’un bouc émissaire. Donc lutter contre le racisme, c’est la manière la plus claire, la plus transparente, d’être français au sens républicain du terme.

Alors on nous exposé une explosion des faits antisémites. Cela ne doit pas donner, d’une quelconque manière, raison à une mise en cause de la communauté musulmane ou des musulmans en général, qu’ils fassent partie ou non d’une communauté organisée religieusement. Quand l’appel à la marche du 12 novembre contre l’antisémitisme fut lancé, aussitôt, le Front national dit, « on y sera ». Et aussitôt les organisateurs n’ont rien à dire sur le sujet. Comment voulez-vous qu’on réalise une Union contre le racisme, en l’occurrence le racisme antisémite, avec des gens qui passent le plus clair de leur temps et l’on fait encore dans la manifestation à insulter les musulmans et désignent les musulmans comme les adversaires. Ce n’est pas possible ! Vous avez vu quelle utilisation est faite par des personnages qui eux, peuvent utiliser tous les mots qu’ils veulent sans que personne n’ait rien à leur dire. Monsieur Meyer Habib a dit à peine quelques jours auparavant « la haine du juif et d’Israël est l’aphrodisiaque des masses arabes ». Et il dit « Je crains pour la France et la civilisation judéo chrétienne ». Quel est ce discours honteux ? Lamentable ! D’abord comment fait-il pour se prendre pour un aphrodisiaque? Tout cela est insupportable en lui. On ne lui a rien dit. Ce n’est pas comme pour nous, qui pour un demi-mot recevons une semaine entière de bashing. Et je pourrais en citer d’autres, ceux qui par exemple ont dit que « eux ont amené les immigrés musulmans et les ont rendus majoritaires ». Comme l’a dit dans la manifestation Monsieur Zemmour ou madame Marion Maréchal-Le Pen. Si vous êtes musulman, comment voulez-vous aller dans une marche où l’on vous insulte ?

Cette marche ne pouvait pas être une marche de rassemblement nécessaire contre l’antisémitisme et tous les racismes. Il n’y avait qu’à rajouter ça : “Tous les racismes” et c’était terminé. Le Front national ne venait pas, les Zemmouriens non plus. Mais ils ne l’ont pas fait. Et ils ne l’ont pas fait, exprès, pour que précisément les uns viennent et les autres ne puissent pas venir. Parce que nous, les Insoumis, on ne peut participer à un rassemblement dont la méthode de déroulement elle-même est la négation de l’objectif visé. Je parle de lutter contre le racisme avec des racistes. Ce n’est tout simplement pas possible. Voilà pourquoi nous avons fait nos choix. Et cette marche est un échec. 

Alors quand j’ai dit ça, alors là, qu’est-ce que je n’avais pas dit ! Aussitôt on voyait en gros plan la place des Invalides. Alors, ceux qui regardent la télé je comprends : ils ne sont pas forcément au courant des surfaces, des tailles et des participations à des manifestations. Mais la place des Invalides remplie, c’est moins que la place de la République remplie. Et là, rappelez-vous bien de quoi on parle. Tout le monde politique d’avant est là. Tous les partis de la droite traditionnelle, tous les partis de l’extrême droite, tous les partis de la « gauche d’avant ». Tout le monde appelle à venir à cette marche et remplit la place des Invalides. Nous, les insoumis à nous tout seul, nous avons rempli la place de la République deux fois. Par conséquent, c’est une quantité importante. Mais ce n’est pas les déferlantes du peuple français. Or dans la lutte contre le racisme, dans la lutte contre l’antisémitisme, il faut une déferlante du peuple français. Le peuple français sait le faire. Quatre millions de personnes mobilisées contre les assassins de la rédaction de Charlie dans tout le pays. 695 000 personnes d’après la police dans une seule manif pour la défense de la retraite à 60 ans. Deux millions d’après la CGT. Et peu de temps avant, monsieur Duhamel, un chroniqueur de télévision, disait : « c’est un échec à 100 000 ». Là, ils disent « c’est une victoire ». Pourquoi ? Non, ils ont tort. Ils sont satisfaits d’avoir trouvé seulement 100 000 personnes dans Paris, satisfaits de ne pas avoir les insoumis, satisfaits quand il n’y a pas la CGT et FSU, satisfaits quand il n’y a pas Force ouvrière. C’est à dire quand la majorité des organisations du monde du travail n’appellent pas à cette manifestation. Je sais bien que la CFDT et l’Unsa aussi, mais ils n’en représentent qu’une partie. Et je ne les soupçonne nullement de faiblesse à l’égard de quelque racisme que ce soit. Mais les grandes organisations que je viens de citer avant, elles, ont eu une analyse sur ce qui était en train de se passer et je pense qu’elles ont eu raison de refuser elles aussi de s’associer à quelque chose qui déboucherait sur cette impasse. 

Mais si c’est une impasse, pourquoi avaient-ils l’air si joyeux ? Parce qu’ils viennent de franchir un seuil. Pour la première fois, la droite et l’extrême droite ont manifesté ensemble dans la rue et ont commencé à montrer qu’ils avaient quelque chose en commun. Cela compte pour eux. Pour y arriver, il faut évidemment garder la bouche fermée sur la question de l’islamophobie, sauf quelques courageux. Et puis surtout, il faut un ennemi commun, comme pour produire ce que l’ancien Premier ministre, Monsieur Raffarin, avait appelé un « front républicain inversé ». Il leur faut une sorte d’idéologie commune. De quoi est-elle faite ? Du fait qu’ils détestent tous les Insoumis. Et ils proposent les Insoumis comme un ennemi commun. Ils ne parlent que de ça. Nuit et jour : les insoumis ! Et puis, parmi les insoumis, il y a pire que tout : moi. Pourquoi moi ? Parce que j’étais le candidat à l’élection présidentielle. Et c’est j’ai fait 22 %. Et je les empêche de dormir parce qu’ils se figurent que je suis candidat à vie. Donc en me stigmatisant, ils tentent de me provoquer. Il y a de tout : menaces de mort, agression téléphonique permanente. Nous sommes plus de dix à avoir ce problème de diffusion de nos numéros de téléphone dans le grand public. Non seulement ils sont divulgués pour qu’on nous appelle pour nous insulter, mais ils sont utilisés par des hackers pour faire passer des messages en notre nom à des tas de gens, des messages injurieux. C’est sans arrêt. Aucune répression ! Aucune ! Aucune répression de ces violences-là.

Nous vivons dans un univers de violence. Je ne peux plus me déplacer librement. Si je prononce dix mots, je dois faire attention à chacun d’entre eux parce que les chaînes d’information en continu, comme en ce moment, surveillent chaque parole pour voir s’il n’y a pas le moyen de déclencher une polémique ou deux. Naturellement, cela nous devient en partie indifférent. Mais non : ça va mal finir ! Tout le monde le sait. Tout le monde le comprend, avec un tel niveau de violence contre les Insoumis et parfois des passages à l’acte. Trois camarades ont vu leur logement incendié. Vous avez entendu parler d’une arrestation ? Non, nulle part. On ne sait pas, on ne saura jamais. Personne, dans la bonne société et les grandes consciences, ne s’indigne du traitement que nous subissons. Maintenant, pour participer à la bonne société, il faut en quelque sorte cotiser. Alors on peut rejoindre nos raisonnements. Forcément : ils sont justes. Mais il faut d’abord commencer par dire que c’est en dépit de mes « provocations ». Très bien, lesquelles ? Quels sont les mots que j’ai utilisés qui ne conviennent pas ? Dites lesquels. Il n’y en a pas ! Donc ils fabriquent un nuage calomniateur. Mais il faut en comprendre la raison. Il ne faut pas l’aborder d’une manière paranoïaque. Il faut comprendre à quoi ça sert. D’une certaine manière, je ne compte pas là-dedans. Les Insoumis ne comptent pas. Ce qu’il leur faut, c’est un dénominateur commun, un prétexte pour être tous ensemble au deuxième tour des élections, un prétexte pour gouverner ensemble parce que ça finira comme ça, parce que telle est la pente prise. Car cela s’est passé ainsi dans une série de pays. Le dernier en cause, c’est l’Italie, nation sœur de la France, pays dans lequel on retrouve l’essentiel des grands paradigmes intellectuels qui animent la société française. Voilà ce qui est en cause. Voilà ce qui est en train de se préparer. Ce franchissement de palier a été fait.

Il faut faire preuve de sang-froid devant tout ça. Et le début du sang froid, c’est le discernement, donc le raisonnement. Voilà comment une situation à un endroit au Proche-Orient est connectée à la situation française en fonction d’une théorie du « choc des civilisations » portée aux deux endroits par des protagonistes aux intérêts différents. Mais chacun a ses nécessités de diaboliser ses ennemis. Alors parfois, l’ennemi le mérite. Mais j’aimerais savoir en quoi nous méritons le traitement qui nous est fait. Est-ce que la communauté juive manque d’ennemis ? Pourquoi vouloir ajouter les Insoumis ? C’est d’autant plus ridicule qu’ils ont construit ça avec beaucoup de méthode. Maintenant, on en est à dire que l’antisémitisme est passé de l’extrême droite à l’extrême gauche. Je ne crois pas que Monsieur Poutou, ni Monsieur Besancenot soient devenus antisémites. Je ne crois pas un seul instant que nous ne le soyons ni que nous ne l’ayons jamais été. 

Une étude est parue :“Permanence et renouveau de l’antisémitisme en France ». C’est une étude sur la forme de l’antisémitisme actuel. Par madame Nonna Mayer. Ce n’est pas exactement une amie des insoumis. Et elle dit dans ce texte : « On doit s’interroger, au-delà des actes, sur l’évolution de l’opinion publique à l’égard des juifs. Ces violences sont-elles tolérées, voire approuvées, comme dans les années 1930 ? Assiste-t-on à une montée des préjugés antisémites sous leur forme traditionnelle ou sous de nouvelles formes ? ». Vous voyez ? Le « sondage annuel sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » effectué par la Commission nationale consultative des droits de l’homme apporte un commencement de réponse. « Alors que les actes antisémites augmentent, les préjugés envers les juifs reculent, comme les autres préjugés racistes. Et si, comme les autres préjugés, ils se renouvellent, le nouvel antisémitisme fondé sur la critique d’Israël et du sionisme reste périphérique ». Périphérique ! Ce papier analyse le fait que depuis un siècle, les mêmes catégories, les mêmes milieux restent antisémites. Ils n’ont rien à voir avec nous. Rien à voir avec la République sociale, avec tous ceux engagés comme nous, comme ceux de notre famille, sur le terrain des droits de l’homme. Et encore une fois, les droits de l’homme et de l’égalité sociale. Parce que, évidemment, l’égalité sociale est le principal ferment de lutte contre le racisme. 

Voilà ce que j’ai voulu vous montrer. Mon intention n’est pas de faire autre chose que de tâcher de vous décrire ce qui se passe. Pour qu’en m’écoutant, sans s’arrêter à qui je suis, ni à mon statut de fondateur du mouvement Insoumis, l’on entende des arguments, des raisonnements. Je suis prêt à discuter du raisonnement. Pas à insulter. A discuter. Ai-je tort ? « Le choc des civilisations » est-il oui ou non en question ? Est-ce que, oui ou non, le droit international est notre sortie ? Et si c’est notre sortie par le haut, comment s’y prendre ? On peut être en désaccord sur la manière de s’y prendre tout en étant d’accord sur les principes. C’est cette discussion-là dont a besoin le pays. Pas d’invectives ni d’outrances qu’on est incapable de démontrer. Trouvez-vous normal d’entendre du matin au soir, parfois tard dans la nuit, des plateaux entiers avec quatre ou cinq personnes toutes d’accord pour rendre les Insoumis responsables de tout et de n’importe quoi ? 

Vous voyez bien que vous subissez une sorte de guerre médiatique menée contre des gens qui ne peuvent pas se défendre ? Comment voulez-vous qu’on se défende ? De temps à autre, ils font passer des Insoumis. Alors parfois ils choisissent un insoumis pour critiquer les autres, comme ça, ils font d’une pierre deux coups. Mais, peu importe, ce n’est rien par rapport au temps d’antenne de gens qui passent des heures à raconter n’importe quoi sur nous sans qu’aucun journaliste ne dise « ça, ce n’est pas vrai ». Normalement c’est leur travail. Ils ne le font pas. Certains journalistes posent même des questions absolument inouïes. Une journaliste a demandé à Manuel Bompard, à la télé : “Êtes-vous antisémite ?”. Moi à sa place, je répondrai : “Et vous, vous êtes cleptomane ?” Parce que tant qu’à accuser quelqu’un de n’importe quoi, pourquoi pas ça ? C’est inouï. Savez-vous que l’antisémitisme en tant que racisme, constitue un délit dans notre pays ? Si tous ces gens croyaient à ce qu’ils disent, il porterait plainte contre nous. Il prendraient des choses bien précises. Il n’y en a pas ! Et pour cause, nous sommes antiracistes et nous avons mené une lutte de toujours contre l’antisémitisme ! Sans exception, sans faille, sans pause, sans silence, sans parenthèse. Nous. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

Mais l’essentiel pour moi, n’est pas tant de nous disculper ! Vous savez tous juger des situations, comprendre en quoi consiste cette situation et pourquoi elle est dangereuse. Car si la guerre là-bas dégénère et devient une guerre totale, vous n’aurez aucun instrument pour comprendre et savoir quoi faire si vous avez accepté le cadre intellectuel dans lequel tous ces gens vous ont placé ! C’est à dire que nous serions dans le cadre d’une lutte entre le Bien et le Mal que serait l’Islam. 

Cette vision du monde est un désastre et je m’associe totalement à la protestation du recteur de la Mosquée de Paris quand il demande qu’on arrête d’accuser les musulmans de tous les maux dont souffre notre pays. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas comme ça qu’il faut prendre les problèmes. Il faut les prendre par leur réalité matérielle et essayer de les traiter comme tels. Telle est la tradition de Jean Jaurès la veille de son assassinat. Il continua à plaider pour la raison contre la guerre qui arrivait.

La guerre n’est pas encore installée dans nos maisons, mais cela commence à mal tourner un peu partout, notamment autour de la Méditerranée.

Et vous, que pouvez-vous faire ? Vous pouvez premièrement vous former vous-même. Étudier le sujet en prenant tous les éléments qui vous permettent de réfléchir et d’adopter une position. Elle peut être provisoire, mais rationnelle.

Deuxièmement, vous pouvez aider les autres à penser, à comprendre et à mettre de côté la passion pour être sur le terrain de la raison. Ce n’est pas toujours facile compte tenu de l’ampleur des massacres qui se déroulent là-bas. Et puis, troisième élément, c’est de participer aux mobilisations de masse pour obtenir le cessez le feu à Gaza. 

Cela a lieu samedi, 18 novembre. Je vous demande vraiment de fournir un effort maximum pour pouvoir être présent dans la rue ce jour-là, dans le calme, l’ordre, la discipline mais la clarté. Nous demandons le cessez le feu ! Rien d’autre n’est possible s’il n’y a pas d’abord le cessez le feu et évidemment la libération des otages. Cela fait partie de nos toutes premières revendications.

C’est le droit des gens à revenir chez eux. La fin du blocus de Gaza. L’ouverture des discussions pour la solution à deux États et non pas la fuite en avant dans la guerre sans fin et le nettoyage ethnique. Le 18 novembre, nous serons dans la rue pour exprimer notre humanité.

Pour nous, toute vie est précieuse. Nous ne distinguons pas les civils des uns et les civils des autres. Nous les défendons les uns et les autres. Nous refusons le massacre des uns et le massacre des autres. Et surtout le massacre de masse qui a lieu en ce moment même, parce que tous les silencieux sont responsables de celui-là, ils le laissent faire.

Allez, samedi, on se retrouve dans la rue !

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