De leur aveuglement volontaire

J’ai toujours bien su combien notre engagement insoumis supposerait un long et souvent dur combat. Les coups à prendre sont sous mes yeux à chaque manifestation de syndicalistes ou de militants écologistes, insoumis ou pas. Ce jeudi encore, au procès de Julie Garnier, poursuivie pour avoir traité de « menteuse » son adversaire politique de la direction d’une entreprise. Que n’a-t-elle demandé conseil au Président Larcher pour choisir ses mots sans risque d’être poursuivie !

Dans notre conception de l’action politique, il faut faire de toute circonstance un apprentissage populaire collectif. Il permet d’approfondir les adhésions et d’obliger à la réflexion les sceptiques ou les indifférents. La politique est une lutte d’idée pour convaincre. Et la conviction à conquérir doit être un encouragement à penser durablement par soi-même. Car il faudra ensuite résister encore au prochain bourrage de crâne médiatique. Puis au suivant. Tout donc est dans l’apprentissage de la résistance aux injonctions de la meute. 

En temps de crise tout va si vite ! Et là ? Entre une vague d’attaques médiatiques et une autre, l’adversaire semble à chaque fois démentir lui-même ses campagnes. Souvenons-nous de l’adage : « la forme, c’est du fond qui remonte à la surface ». Et il remonte vite et fort. C’est pourquoi des paradoxes s’affichent en un temps record. Ils semblent exprimer des contradictions terribles. Mais il s’agit pourtant toujours de la même chose. 

Entre la bronca télécommandée en défense de madame Elkrief et le silence pour la journaliste Barbara Olivier-Zandronis, sanctionnée sur RCI en Guadeloupe, ou Mohamed Kaci sur TV5 Monde, le fond est le même. Entre le JDD, quand il propose de m’envoyer en asile psy en raison de mon comportement sans contrôle, et l’amitieuse tendresse du « Monde » pour le président du Sénat qui me crie « ferme ta gueule » dans une émission de radio, le fond est le même. Entre les gouvernementaux qui nous accusent de manquer à la laïcité et acclament le Président de la République quand il va la messe à Marseille, ou quand il accueille Hanouka à l’Élysée, c’est encore la même chose. Entre Larcher qui accueille les racistes à une marche antiraciste, dès lors complètement ratée, et celui qui veut me faire taire, le fond est le même. 

Leur problème ce n’est vraiment ni les Insoumis, ni même la détestation qu’ils ont de moi. C’est juste et seulement de trouver tous les prétextes pour créer entre eux le cadre qui les réunirait avec bonne conscience, de la macronie à l’extrême droite. Un point c’est tout. À n’importe quel prix, sans aucune évaluation des conséquences de ce qu’ils cautionnent ou autorisent. 

Aveuglement ? C’est le propre des périodes de panique politique chez les dominants. Ils font tout et le contraire « en même temps », comme si l’histoire était leur jouet, comme si les catastrophes étaient réservées aux autres. Mélangeant tout, multipliant les coups de communication les plus absurdes et les grosses ficelles, ils ont déclenché « en même temps » toutes les tempêtes. Comme ce projet de loi immigration qui vaut à Macron des motions de rejet que toutes les oppositions s’apprêtent à voter, et peut-être même des macronistes écœurés. Si bien que le ministre Darmanin se doit de faire allégeance publique à Édouard Philippe pour faire oublier qu’il comptait faire de ce vote la perle de sa précampagne présidentielle. Trop tard ! La tempête a commencé. La pagaille politique va faire de grands progrès la semaine qui vient, et Le Pen va affermir sa prise sur la droite et le centre.

En fait, l’expérience de l’histoire montre comment ces moments en forme d’aveuglement viennent souvent de glissements consentis. Ils semblent tous si pleins de sympathie et de désirs progressivement avoués, de tentations visiblement difficiles à repousser. 

Quand Aurore Bergé propose de sanctionner les parents défaillants pour les « responsabiliser » sur le comportement de leurs enfants, elle avoue son penchant pour les décisions prises au coin du bon sens des beuglants. Et peu importe le retour du principe barbare de la responsabilité collective. Il s’appliquerait surtout et d’abord à ceux qui sont déjà confrontés aux plus grandes difficultés. Voyez aussi comment le sexisme s’étale. Car on trouvera toujours les mères à punir, mais sans aucun doute moins souvent les pères quand il s’agit des familles monoparentales. Dans une seule mesure, c’est tout un monde d’idées liées qui vient. La responsabilité collective est un principe en opposition aux leçons de la philosophie républicaine. Celle-ci rend chacun personnellement responsable de soi par ses actes. Sur ce fondement est aussi affirmé pour l’être humain le fait d’être son propre auteur contre toute prédestination. La justice laïque est à ce prix ! 

Au fond c’est le même enjeu global à propos de la sentence qui m’a été infligée pour crime de lèse-majesté médiatique contre madame Elkrief. J’ai été taxé évidemment d’antisémitisme. J’aurais dû avoir présent à l’esprit la religion de madame Elkrief au moment où je la critiquais pour son comportement professionnel. Puis ce fut le festival des fausses questions posées, que seule la qualité d’éditorialiste soustrait à l’accusation judiciaire de diffamation. Serge Halimi, dans « Le Monde diplomatique », avait déjà relevé cette manière de faire si écœurante : « De son côté, écrit-il, après avoir accusé LFI de « complaisance envers la violence la plus barbare » un éditorial du « Monde » a feint de s’interroger : « Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? (…) À encourager l’antisémitisme ? À cautionner le terrorisme islamiste ? Toutes ces questions méritent d’être ouvertement posées » ». Serge Halimi y répond : « Non, elles ne le méritent pas ». Une raison de continuer à ne pas mettre tout le monde médiatique dans le même sac. 

Mesure-t-on bien pour autant ce qu’un tel moment entraîne ? Être accusé d’antisémitisme au motif de la religion de quelqu’un dont on critique le professionnalisme ou le raisonnement est un franchissement de seuil. L’ambiguïté volontaire des mots et des attitudes en attestent. Je l’ai dit : je ne crois pas un instant que les auteurs de cette campagne croient à ce qu’ils disent. Mais ils agissent au prix du risque d’une communautarisation complète des rapports sociaux et des normes du débat politique. Si l’on doit formuler ses appréciations, non d’après les faits que l’on juge, mais d’après la religion de celui qu’on interpelle, l’obscurantisme est vraiment de retour. L’existence disparaît derrière l’essence attribuée à l’autre. Le racisme devient la norme. On n’est plus ce que l’on fait, mais ce que l’on est censé être par naissance. Personne n’est plus le créateur de sa vie comme le proclame l’Humanisme. Dès lors la hiérarchie des êtres n’est plus celle de la valeur de leurs actes mais juste celle de leur place dans l’ordre du destin. 

Dans ce monde-là, les têtes dures redeviennent ces « gens de rien » que les puissants et leurs porte-voix ont toujours méprisé. La preuve ? L’incendie de trois de nos maisons, les tentatives d’attentat, les agressions dans la rue, les mitraillages téléphoniques, les obligations de déménager qui nous ont été infligés par les racistes, que nous soyons députés ou pas, ne sont ni émouvantes, ni dignes de protection, ni de soutien moral, ni même seulement intéressantes pour la caste qui domine la classe médiatique. 

Je dis « la caste » selon le terme du journaliste Laurent Mauduit pour designer un petit milieu lié par des liens de positions sociales et d’entre-soi intéressé. Je désigne les grosses payes, les bavards de plateau sans aucune activité intellectuelle ou de terrain en dehors des déjeuners mondains. Ceux qui ne savent rien de plus que ce que leur donne à lire leur prompteurs. Comme ce « spécialiste de la gauche » qui pérore sur RTL : « Mélenchon divise la gauche : beaucoup de bruit mais peu d’idées », ignorant encore deux mois après sa publication mon livre de théorie politique, « Faites mieux », au niveau de vente flatteur. 

Je m’alarme d’une telle ambiance parce qu’elle vient de ceux qui sont censés éclairer les esprits dans un moment tendu, mais font tout le contraire. Une société qui le permet est déjà très mal en point. 

Je ne crois pas à leur inconscience. Leur aveuglement est volontaire, comme la servitude de ceux qui les croient. Quand cent un de leurs collègues ont déjà été assassinés à Gaza dans l’exercice de leur métier, je connais et salue ceux qui prennent les risques de ce métier. Je ne les confonds pas avec ceux-là mêmes qui n’en prennent personnellement jamais aucun. Mais en politique, on le voit, on ne dénoue pas les conséquences de la confusion en y ajoutant des atermoiements ou des timidités. Je dis et je tweete ce que je crois utile aux objectifs de notre combat. Les insoumis en font autant par leur parler clair et net, et leur capacité à tenir des positions sous les coups venant de tous côtés. De tous côtés. 

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