Nous avons été à la hauteur de nos responsabilités historiques – Interview avec Centre France

Retrouvez cette interview avec Centre France sur leur site

Comment avez-vous vécu l’annonce de la dissolution du 9 juin ? Avez-vous été surpris ?

Nous avions la certitude qu’Emmanuel Macron dissoudrait en cours de mandat. Mais personne ne pensait que ce serait à la veille des Jeux olympiques et avant même d’avoir le résultat complet de l’élection européenne. Certes, le recours au peuple est une procédure normale et souhaitable dans une démocratie. Mais les conditions de cet exercice comptent !

Tout le monde n’a eu que trois semaines pour prendre des décisions essentielles. Le raisonnement de Macron était purement politicien. Il pensait qu’avec une gauche aussi divisée, il pourrait remettre en scène le traditionnel face à face entre lui et l’extrême droite. Nous avons totalement déjoué son plan. En 24 heures, on a pris la décision de nous unir de nouveau ; en 48 h, nous avons réparti les circonscriptions et en moins de 8 jours, nous avons écrit un programme partagé sur la base du précédent écrit en 2022. Nous avons été à la hauteur de nos responsabilités historiques.

Nous sommes à cinq jours du premier tour. Les sondages donnent un RN à 36,5 %. La gauche est à 29 %. La participation s’annonce très importante. Est-ce que ça peut jouer en faveur du Nouveau front populaire ?

L’augmentation du nombre de votants devrait nous aider. L’abstention recule dans les secteurs les plus favorables socialement au Nouveau front populaire et où nous faisons nos meilleurs scores. C’est-à-dire au sein de la jeunesse et dans les quartiers populaires où les Insoumis et moi-même sommes très populaires.

Le choc des principes sur le plan écologique et social, la peur du racisme décomplexé que provoquerait le RN provoquent une mobilisation sans précédent dans la jeunesse et les quartiers populaires. Pour nous, c’est là où se trouve la possibilité de changer le cours de l’histoire. 

François Ruffin, un des candidats au poste de Premier ministre en cas de victoire de la gauche, a dit que vous étiez un « obstacle à la victoire du Front Populaire » ; Marine Tondelier, Olivier Faure, Fabien Roussel se sont déclarés opposés à votre nomination à Matignon en tant que Premier Ministre… Pourtant, en 2022, les candidats de la Nupes pour avaient fait campagne avec le slogan « Mélenchon Premier ministre » Pourquoi un tel retournement en deux ans ? 

On est en présence de trois blocs. Les querelles internes créent un climat inutile et destructeur. Laissons les scissions aux macronistes ! C’est leur tour après avoir beaucoup attisé les contradictions au sein de la gauche en encourageant les tirs dans le dos. Les médias présentaient toutes les divergences comme des déchirements. Mais à l’Assemblée, tout était beaucoup plus simple entre nos groupes parlementaires. Les groupes de la Nupes – aujourd’hui du Front populaire – se sont bien entendus dans 90 % des cas. Je n’ai jamais douté qu’il serait possible de se rassembler. La preuve : l’union s’est refaite en un jour dès que nous avons cédé cent circonscriptions au PS.

Pendant de très nombreuses années, deux orientations politiques existaient à gauche : accompagner le système économique dominant ou rompre avec ses diktats. Le Macronisme, on a vu : il diminue autant que possible le prix du travail, et il augmente autant que possible les revenus du capital pour produire ce qu’ils appelaient un ruissellement. C’est l’inverse qui s’est produit. Les citoyens ont vu l’échec et le désastre que cela produit : mille milliards de dettes et la destruction des services publics. Alors les électeurs de gauche ont fait confiance à la rupture et aux Insoumis qui la proposent.

Quelque 72% des Français déclarent avoir une mauvaise opinion de vous, selon le dernier sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a une bataille politique et médiatique. Elle se concentre sur moi, car c’est une constante de notre histoire politique. La personne qui est leadeur de la gauche fait l’objet de campagne de calomnies et de diffamations, Léon Blum a été frappé dans la rue et accusé d’avoir une vaisselle en or. Jean Jaurès était accusé d’être un faux laïque parce que ses enfants faisaient la communion. Et pour finir il a été assassiné. Quant à moi, on a lancé contre mon engagement de toujours et ma propre vie l’insulte de l’antisémitisme. C’est désormais banal : dans le monde entier le personnage central de la gauche radicale est accusé d’antisémitisme quand il critique la politique coloniale du gouvernement de Netanyahu.

C’est pénible à supporter sur le plan personnel. Deux personnes ont déjà été condamnées pour avoir essayer de me tuer. Et je dois souvent subir des interviews ou toute question est une accusation. Mais c’est la nouvelle manière d’être de la politique dans l’audiovisuel : tout pour le buzz brutal et violent. Face à une telle déferlante, il est absolument extraordinaire que 28% aient une bonne opinion de moi. Des milliers de gens adhèrent à LFI. Dans ces conditions, ma situation est meilleure que lors de l’élection présidentielle où je n’ai fait que 22 % avec un quart d’adhérents de moins.

Sur le plan économique, vous dites vouloir augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1.600€ net. Certaines PME-TPE auront des difficultés à appliquer cette hausse du Smic. Que dites vous à ces petits patrons ?

Je ne crois pas avoir vécu une seule campagne sans que la droite vienne dire que l’augmentation des salaires, c’est la ruine du pays. Mais qui dénonce ce que coûte la maltraitance sociale des salariés ? Il faut voir les visages qui sont derrière ces chiffres. 80 % des salariés au Smic sont des femmes. On peut dire que l’augmentation du Smic est donc d’abord une amélioration du sort des femmes et des familles qui dépendent de ces femmes. La malbouffe faute d’argent coute cinquante milliards par an ! Le coût du malheur existe aussi ! Quand va-t-on enfin en parler !

Enfin, le salaire et la viabilité des PME dépendent avant tout du niveau du carnet de commande. L’augmentation des salaires produit la relance de l’activité. Quand ceux qui ont le moins ont un salaire meilleur, ils le dépensent et cela relance tous les secteurs d’activité. Car 80 % de ce que les Français consomment est produit en France. Et 53 % du PIB du pays, c’est la consommation populaire. La relance des salaires est une relance de l’activité. Les petits patrons auront un sursaut de leur carnet de commande. Mais il y aura aussi une nouvelle répartition de l’aide aux entreprises en demandant aux grandes entreprises de contribuer à l’impôt au même niveau que les petites entreprises.

Enfin, il y aura la révision du système général des aides aux entreprises car les 223 milliards par an d’aides aux entreprises ne profitent pas aux PME. Nous sommes donc la meilleure nouvelle pour les petites entreprises dans ce pays. Je rappelle qu’en 1968 nous avons augmenté en une nuit le Smic de 35 % et la France est toujours là ! Les Espagnols au cours des deux années précédentes ont augmenté de 30 % le Smic et ils ont créé 840.000 emplois. Les faits sont plus parlant que les peurs.

Dans votre programme, il est dit que vous voulez faire une grande loi pour le pouvoir d’achat et “Indexer les salaires sur l’inflation”. Est-ce possible dans les entreprises privées qui pour certaines sont déjà en souffrance ?

Ce système existe comme en Belgique et personne ne dit que ce pays est en ruines. L’indexation existait autrefois en France. C’est après la crise de 1983 qu’elle a été rompue. Le salaire moyen a baissé de 5 % depuis 2017 , on a besoin d’une sérieuse relance de la consommation populaire pour réactiver l’économie française dans tous les domaines. Nous aurons donc un objectif global d’augmentation générale des salaires. Comment ? La loi prévoit l’obligation de négociation salariale annuelle. On convoquera un nouveau cycle dans toutes les branches d’activités du pays. Les salariés y négocient dans des conditions moins défavorables qu’au niveau de l’entreprise.

Vous voulez mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités. Concrètement, que ferez-vous ?

L’idée de “ bien commun” gagne du terrain. Elle remplace les refrains des années 1990-2000 où la transformation de tout en bien privé et marchandise dominait. La conscience de l’intérêt général humain s’est accrue. 

Mais le cycle de l’eau est intégralement déréglé avec des sècheresses et des déluges jamais connues. Cela conduit à des destructions de réseaux vitaux pour la vie quotidienne. Alors, ayons une vision de l’écologie hors des étiquettes simpliste comme celle “d’écologie punitive”. Il faut une écologie de réparation : c’est-à-dire dépolluer les cours d’eau et remédier à la pourriture par les pesticides qui réduisent la fertilité des terres arables et empoisonne les humains. 90 % des cours d’eau sont pollués aux pesticides, mais aussi aux polluants éternels. Il faut une écologie de préparation : reconstruire les canalisations qui fuient jusqu’a 50%. Au rythme actuel, il y en a pour 150 ans. Il faut donc accélérer. On a une usine à Pont à Mousson qui produit les meilleures canalisations du monde et il faut donc tripler ou quadrupler sa capacité de production. A Mayotte, il n’y a d’eau courante qu’un jour sur trois. Dans l’hexagone, dés 2022, il y a eu 500 communes en état de détresse hydrique. A Mayotte, en Guadeloupe ou à la Réunion, c’est déjà l’état d’urgence hydrique ! Il faut aussi une écologie de précaution: il faut arrêter totalement les pesticides ! 80 % des insectes en Europe ont disparu au cours des 20 dernières années ainsi que 30 % des oiseaux ! C’est un problème pour tout le vivant. La lutte contre l’emploi des pesticides doit donc être stricte et interdire l’importation des produits qui en contiennent.

Dernier point : l’écologie doit être source d’innovation. Comme on n’a que trois parcs éoliens pour 5.000 kilomètres de côtes, on doit aussi penser à l’énergie contenue par la houle de mer qui représente 366 fois ce dont on a besoin. Et le développement de la géothermie très profonde ? Et la sobriété énergétique ? C’est notre plus grande réserve. Enfin, pensons au biomimétisme. La nature est productrice avec le moins d’énergie et de matière première. C’est la ressource la plus importante d’innovation technique. Nos ingénieurs et techniciens y trouveront tout ce dont nous avons besoin pour un développement humain durable.

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