Il s’est passé à l’Assemblée nationale une fin de semaine en tous points « extra-ordinaire ». Au terme d’une semaine de déroute de la coalition gouvernementale, on a assisté le vendredi et le samedi jusque dans la nuit, à une véritable débandade du système Macron-Barnier. Plus que pitoyable. Du coup ce fut comme une mise à nu d’une vérité sous-jacente cachée sous la peau des apparences. On appelle ça un « écorché », je crois. C’est la maquette d’un corps humain sans son épiderme. Ici c’était le « socle commun », le nom ridicule de la coalition Macron-Barnier, sans sa peau de convenances. Les bancs vides de la macronie grommelaient leur message : « on n’aime pas le gouvernement Barnier ! Donc on ne fera rien pour lui ». « Le socle commun ça n’existe pas ». « De toute façon ça se terminera par un 49.3 ». « À quoi bon passer des heures à mégoter contre les insoumis ? ». « À quoi bon se ridiculiser en défendant les privilèges fiscaux qu’ils veulent abolir ? ».
Une débandade est un fait politique autant que, dans l’autre sens, l’est une mobilisation. Celle-ci propage une onde et elle traverse ensuite tout le champ politique et passe à tous les étages, jusqu’au plus élevé. Macron, lancé dans la reconquête de ses équipes, court après un mirage.
Le RN ramasse donc la mise dans le « bloc central ». Il a eu la part belle dans sa bataille pour prendre la tête de la droite aux yeux des électeurs de droite qui suivent les travaux de l’Assemblée. Mais plus encore aux yeux des « chefs d’entreprise » et des « investisseurs » ! Ils ont pu les cajoler des heures durant pendant le silence du prétendu « bloc central-socle commun ». Ses députés étaient là en force pour barrer la route à nos amendements, dénoncer notre idéologie, assumer et réciter les poncifs libéraux. C’était alors la droite, la vraie, comme je l’ai connue il y a une ou deux décennies aux temps du RPR ou de l’UMP. Quel grand moment quand l’un des leurs dénonce le fait que nous sommes des « marxistes et même des anticapitalistes ! ». Au ton terrorisé de l’orateur, je pouvais me croire au temps du programme commun et de la menace des chars de l’Armée rouge qui se préparaient à bondir sur Paris ! Et quand cet autre RN fustige notre « adhésion à la lutte de classes » ! Exquis ! De temps à autre, les RN pouvaient aussi faire la morale aux quelques députés présents censés être les représentants du « socle commun ». Grosse rigolade sur nos bancs quand ce RN leur lance : « vous êtes payés pour être là ! Vos électeurs vont voir que vous n’êtes pas là et que vous ne faites rien pour barrer la route aux insoumis. » Puis : « les électeurs voient que nous sommes les seuls à défendre l’entreprise contre l’enfer fiscal de la gauche » et ainsi de suite. Grosse déprime chez les interpellés. Attal jouait nerveusement du texto. Peine perdue : personne ne répondait. Ce n’est pas de l’anecdote.
Les chefs du « socle commun » ne dirigent rien. Le « socle commun » n’existe pas. Les troupes se sont débandées. Ridicule achevé quand les deux seuls macronistes présents se montrent en selfie pour proclamer « on ne lâche rien ». À deux ! Dont l’ancien premier ministre Attal. Ne l’oublions jamais, il y a dans cet hémicycle les neuf dixièmes des états-majors politiques de notre pays. Ils vivent en direct et physiquement leur désagrégation. Ils ne peuvent ignorer leur état. Vomis un par un sur le terrain des circonscriptions, inexistant comme groupe, ridicule sur la scène publique. La macronie va finir de se balkaniser au fil d’une interminable agonie. Le congrès de son parti va encore bien le fracturer. Ce sera une guerre des chefs absolument indécryptable hors des ambitions individuelles. Elle sera conduite entre ex-membres du PS, rompus aux luttes de ces fameux « courants » comme sont nommées les écuries présidentielles ! Mais la future loi immigration en préparation va faire aussi son effet ! Ils vont se regarder les uns les autres et découvrir parmi eux à quel point maints sont à l’aise avec les fantasmes racistes xénophobes et islamophobes ! Le processus ne peut plus être renversé. Le « bloc bourgeois » se recompose autour de ce qui tient bon : le RN.
Pour autant si le leadership peut s’étendre, les failles aussi. Le RN est en train de muter sous nos yeux. Le fera-t-il d’un bloc ? La semaine qui vient d’avoir lieu le montre. À la même heure, les uns votaient en commission une proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans pendant que les autres votaient le contraire à deux reprises. C’était en commission des Finances et aux Affaires sociales, contre les amendements des insoumis pour abroger vraiment la loi sur la retraite à 64 ans. Diriger la droite française n’est pas compatible avec l’exception européenne qu’est le RN : il n’a jamais assumé publiquement la politique économique libérale. Il a toujours voulu rester dans l’ambiguïté. Mais il a changé de pied sans crier gare quand il a cru pouvoir gagner aux dernières législatives, comme le lui avaient annoncé 27 sondages consécutifs. Aussitôt, en trois jours, il a passé par-dessus bord tous ses prétendus marqueurs « sociaux ». Plus récemment encore, Bardella a fait des mises au point de politique économique sur une ligne libérale parfaitement claire. Mais elles étaient aussi parfaitement opposées à ce qui se passait au même moment à l’Assemblée dans les rangs RN. Le soutien désormais complet et visible de Le Pen à la macronie, avec le refus de voter la censure ou la destitution, fait son œuvre. On connaît le mot du cardinal de Retz : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». C’est ce qui se joue en ce moment au RN. Le liant raciste de son emprise suffira-t-il à tenir ensemble l’édifice ? Les bases populaires du RN sont dégagistes. Le RN macronisé ne fait pas leur affaire. C’est certain : cela fait partie des enjeux des mutations que contient le moment politique. Les heures de domination RN sur les macronistes dans le rôle de porte-parole des privilégiés laisseront une trace sur ceux qui les ont assumées comme sur ceux qui les ont observées.
Quant à nous LFI, tout roule comme au mieux du plan mis au point avec la décision de proposer la destitution de Macron. Mais il faut commencer par dire ceci : nous n’acceptons pas le coup de force et nous le combattons. Pour nous la vie n’est pas revenue « à la normale » ! Notre ligne est donc clairement organisée autour du projet de destitution. Nous avions observé dans le détail la journée où le plan macroniste s’est fracassé. C’était la séance à l’Assemblée nationale où a été élue Yaël Braun-Pivet. Nous avons imaginé les conditions à réunir pour produire sur cette base le grand changement politique à préparer. Car plus durent des formules toxiques comme le gouvernement Barnier et le « socle commun », plus le délabrement du système devient global. Et plus avance la crise de régime. Nous avons donc engagé une démonstration tout aussi globale. Démonstration de force ? Notre marche du 7 septembre aux côtés des organisations de jeunesse est restée sans pareille ni comparaison avec d’autres tentatives… Pilonner le quartier général pour le disqualifier lui et son coup de force ? Nous l’avons fait sans relâche. Et sans rencontrer trop de résistance. Le parcours de la motion de destitution l’a montré. Au contraire, nous avons été aidés par les divisions de nos adversaires à l’Assemblée. La présidence d’Aurélie Trouvé à la commission des Affaires économiques l’a prouvé. Puis la vice-présidence de l’assemblée à Jérémie Iordanoff. Face au budget Barnier, le travail était plus difficile à conduire à bon port. L’objectif a pourtant été atteint avec brio. Les connaisseurs de la vie parlementaire ont apprécié, j’en suis certain. Tous les textes de contrôle budgétaires ont d’abord été battus en commission puis en plénière. Puis ce fut la séquence victorieuse du contre-budget en actes dans la commission des Finances. En plénière ensuite, la bataille a pu devenir frontale et forte en significations politiques. La désertion du « socle commun » a laissé le champ libre au duel entre le RN et nous. Les connaisseurs ont pu apprécier la capacité de discipline et d’organisation des parlementaires insoumis. Et la bonne et large distribution des postes de combat ! Désormais règne un esprit d’équipe amical sans faille, ni encombrement par les plans de carrière présidentielle. Pour finir, le RN Tanguy nous donne le point politique en attaquant le député macroniste Labaronne : « c’est le budget du NFP qui se vote déclare-t-il. Nous l’avons combattu loyalement, vous l’avez soutenu de façon déloyale ».
Pour nous l’essentiel est atteint : la confrontation a pu prendre le sens d’un affrontement entre deux conceptions de la politique économique. En effet, le plan présenté par les insoumis prévoyait des recettes égales aux économies demandées par Barnier. Encore une faute de pilotage de l’état-major macroniste. En reportant le 49.3, il nous permit de faire notre démonstration en grand sur ce plan. Le bourrinage médiatique contre « le délire fiscal », « le concours Lépine des impôts » n’a fait que nous aider tant il était odieux de voir défendre de façon aussi intraitable les privilèges fiscaux des riches. Cependant, nos vidéos insoumises ont atteint les milieux qui nous importent. À coups de millions de vues par semaine. L’examen et le vote de la première partie du budget, la partie recettes, ne sont pas finis. Le reste reviendra le 5 novembre. Mais on annonce le début de la loi de financement de la sécurité sociale à partir de lundi. De longues journées où l’on ira loin sur les sujets qui sont le plus sensibles dans la vie de chacun.
Au total le mouvement insoumis acquiert de l’expérience et du savoir-faire législatif et programmatique. Cela fait partie de nos objectifs dans la construction de notre force. Une et même plusieurs équipes gouvernementales insoumises se dessinent au fil des interventions de nos députés. Plus personne ne peut nous surclasser en matière de connaissances budgétaires et de solutions alternatives au néolibéralisme. Nous sommes mieux que jamais prêts à gouverner. Évidemment sur notre ligne d’action gouvernementale de rupture.