Cour pénale internationale : l’aube est de retour ?

La décision prise par la Cour pénale internationale de délivrer un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, le général Gallant et un responsable du Hamas, est un événement important et constructif sur la scène de la vie internationale. On craignait, naguère encore, que cette Cour soit exclusivement vouée à poursuivre des personnalités prises en dehors du cercle étroit des partisans de l’alliance atlantique (l’OTAN) et des États-Unis. Dans le contexte actuel, l’Organisation des Nations Unies a été tellement rabaissée par le comportement des nations qui la surplombent au Conseil de sécurité ! Il semblait que la référence au droit international soit devenue purement symbolique. Aucune institution ne semblait vouloir intervenir de façon concrète pour mettre un terme à ce qui se passait au Proche-Orient. Avec cette décision, il en va désormais tout autrement. Et cela de manière d’autant plus spectaculaire que monsieur Netanyahu est chef de gouvernement de longue date, et ses alliances politiques en Israël et dans le monde sont assez étendues pour qu’il ait pu se croire garantie l’impunité. Preuve que ce n’est pas le cas.

Pour les pays membres de la Cour pénale internationale, les conséquences de sa décision sont considérables. D’abord pour leur relation avec le gouvernement de monsieur Netanyahu. Ce sont désormais des relations avec un gouvernement dont le chef est accusé de crimes de guerre, ce qui change tout. Deuxièmement, les décisions favorables à ce gouvernement, et notamment celles qui concernent les ventes d’armes, relèvent dorénavant de complicité avec un criminel de guerre. De même que, sur place, les binationaux qui obéissent à ses ordres le font dorénavant en connaissance de cause de leur caractère criminel. Ils obéissent à des ordres criminels, ce qui les rend justiciables dans leur pays s’il a signé et ratifié la convention de Rome qui donne son pouvoir à la Cour pénale internationale. 

Sur place, le peuple israélien, lui aussi, est confronté à une décision qui le concerne très directement. N’avons-nous pas entendu dire sur tous les tons que vivait en Israël la seule démocratie de la région ? La conduite du gouvernement d’un État démocratique ne saurait être confiée à un criminel de guerre. Et encore moins quand il peut être arrêté par la police nationale de tout État signataire, où il lui sera dorénavant impossible de se rendre. Je ne crois pas que le peuple israélien dans sa diversité politique soit prêt à accepter pour toujours comme vision du monde les outrances et les accusations vociférées de l’équipe de monsieur Netanyahou. Au demeurant, on ne voit pas où conduirait le divorce de ce peuple avec les institutions internationales, dont les principes sont ceux dont il se réclame à longueur de temps contre ses adversaires, qu’il accuse de les mépriser. Il est important de le signaler, car parfois on aura confondu sous nos yeux, et avec des approbations politiques, certains réflexes de solidarité nationale que l’on observe partout dans le monde dans les situations de guerre où le matraquage médiatique de la propagande règne. Sans doute dorénavant, en Israël ou dans le monde, comme l’a montré l’activité de la communauté juive de New York, l’opposition juive au génocide va trouver dans le jugement de la Cour pénale internationale un fort point d’appui. L’accusation répétée et absurde d’antisémitisme proférée par M. Netanyahu contre tous ceux qui ne l’approuvent pas servilement, par leur silence ou leur soutien, est devenue partout odieuse. Les opinions se sont retournées, comme en atteste le Stade de France, à la fois vide et contestataire.

Partout, nous sommes aussi tous mis au pied du mur. D’abord il s’agit d’appliquer la décision et donc de mettre en état d’arrestation s’il venait sur notre territoire le Premier ministre d’un pays lié de longue main à nous. Ensuite, comme Français et comme Européens, nous ne pouvons continuer à envisager quelques formes de coopération gouvernementale que ce soit. Au niveau européen en particulier, le critère du respect des droits de l’homme fait partie des obligations des traités commerciaux que l’Europe signe avec ses partenaires. Le plein respect de la Cour pénale internationale, dont l’autorité est acceptée par tous les membres de l’Union, est donc un impératif non négociable. La coopération doit donc être suspendue pour toute l’Europe. Cela d’abord pour ses propres institutions. Mais aussi pour ses États membres, comme l’Allemagne. Elle qui a été si prompte à justifier le pire, par la voix de sa ministre « écologiste » des Affaires étrangères ou de la bouche même de son chancelier « social-démocrate ».

La décision de la CPI est aussi comme une réhabilitation du point de vue défendu par les Insoumis depuis la première heure. Nous avons demandé la punition des criminels de guerre et la Cour les a désignés. Elle a exigé leur arrestation en vue de leur jugement. Cela signifie qu’ils auront la possibilité de se défendre et de faire vérifier le sens et la responsabilité personnelle qu’ils ont eus dans les décisions et les actions condamnées. Mais cela signifie que la complicité passive peut être qualifiée de criminelle elle aussi et poursuivie en justice. Je voudrais à cette occasion souligner que c’est cette détermination et cette ligne d’action qui est en cause depuis le début contre nous. C’est ce qui nous a valu un torrent de boue, des menaces de mort, des violences contre nos réunions et nos locaux, le piratage de nos lignes téléphoniques et de nos divers instruments de communication. Et les injures de toutes sortes sur toutes les chaînes de télévision de radio et tous les médias écrits.

Nous avons eu raison de tenir bon en dépit de tout ce que cela a signifié dans nos vies personnelles et dans notre action publique. Nous avons eu raison d’abord de faire du droit international et des institutions internationales la ligne de crête de notre résistance. Nous avons eu raison de ne jamais céder à l’esprit de revanche ou de vengeance. Nous avons eu raison de toujours plaider les raisons de notre combat, par l’exigence que s’appliquent le droit international, ses lois et décisions. Nous avons eu raison de comprendre que l’accusation absurde d’antisémitisme n’avait aucun autre sens que celui d’exiger le silence devant le génocide. Le silence, c’est-à-dire la complicité avec Monsieur Netanyahu. Nous avons eu raison d’aller dans le public à l’ouverture de la session de la Cour pénale internationale en soutien à la Cour et à la plainte de l’Afrique du Sud. Nous avons eu raison d’aller à la frontière de l’Égypte, à Rafah, manifester contre le génocide de Gaza. Nous avons eu raison d’aller à Genève devant le siège de l’ONU soutenir son secrétaire général Guterres. Nous avons eu raison de participer et d’appeler aux rassemblements qui se mènent semaine après semaine, plus ou moins puissants, où s’exprime la permanence de la résistance des Français au génocide. Nous avons eu raison de tenir bon face à l’accusation grotesque d’« apologie du terrorisme ». Face aux convocations dans les commissariats pour en répondre ou aux gardes à vue en fin de rassemblement. Face aux interdictions de nos réunions et conférences sur le sujet. Nous aurons raison de continuer le combat pour que monsieur Netanyahu soit privé de tous les moyens économiques et militaires qui lui permettent le génocide à Gaza et la destruction du Liban. Et les autres crimes dont il se rend toujours coupable.

Nous aurons raison de porter plainte pour « apologie de crimes de guerre » contre tous ceux qui soutiendraient la mise en œuvre de ses décisions. Et cela que ce soit le gouvernement, les militaires, les organisations, et les médias. Aucun ne doit plus être autorisé à approuver ou participer aux crimes de guerre dorénavant qualifiés comme tels par la Cour pénale internationale.

Je veux faire le pari de croire que l’heure du repenti a sonné pour ceux qui regardaient ailleurs auparavant. Et nous voulons croire que, sans rancune, rancœur ou esprit de revanche, beaucoup s’interrogeront dans le secret de leur conscience et se demanderont si un tel gouvernement méritait vraiment leur soutien ! Et si la violence aveuglée des soutiens inconditionnels n’a pas davantage nui que servi, si peu que ce soit, le futur auquel aspirent les peuples et les pacifiques de la région.

Ça ne ramènera pas à la vie la terrible cohorte des morts assassinés depuis plus d’un an. Et la décision de cette cour internationale ne calmera pas les criminels qui dorénavant se savent poursuivis dans la majorité des pays du monde où leur présence sera signalée. Elle n’effacera pas les humiliations et les violences subies partout où des gouvernements et des autorités serviles auront protégé ou encouragé les amis des criminels de guerre. Mais elle rétablit d’une manière spectaculaire le droit à la confiance dans une justice dont les juges ne craignent pas les pressions. Et où ils s’exposent à tenir tête au nom d’un idéal plus grand qu’eux-mêmes. 

C’est donc aux personnes qui ont rendu ce jugement qu’il faut aussi penser avec toute la reconnaissance que l’on doit avoir pour ceux qui nous permettent de penser que l’aube est de retour.

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