Après la censure, avant la prochaine

Les moments d’Histoire que j’ai vécus en France et à l’étranger m’ont toujours paru commencer dans la surprise et continuer dans l’évidence. Les lignes de pente des évènements sont certes multiples avant leur survenue mais, pour finir, rien ne surgit du néant, pas même ce qui arrive à l’improviste. « Le contingent réalise le nécessaire » disait Engels. Je me suis souvent moqué de la valeur prédictive d’une telle expression. Mais je salue sa valeur descriptive. Au fond, la complexité est dans nos esprits, mais la réalité reste faite de traits simples. Ici et maintenant, la ligne de pente qui chemine du vote aux élections législatives le 7 juillet vers le départ du président de la République est fermement ancrée dans la chaîne des causes et des conséquences. Elle reste la plus forte probabilité. Que le président, bravache, dise le contraire ne fait qu’une chose : annoncer son échec probable. Car il croit que ses mots et sa volonté sont tout-puissants. Si ce sont ses seuls pions pour l’action, il a perdu. Personne ne sera jamais maître des horloges ! Et si le déterminisme historique reste probabiliste, raison de plus pour ne pas chercher à le braver mais plutôt à l’orienter.

Car qui à l’Élysée pouvait croire sérieusement à un vote de coalition majoritaire cette année sur le budget ? Qui avait oublié les dix-sept 49.3 de madame Borne ? Et bien sûr notre réplique avec dix-sept motions de censure ? Car la censure est une disposition de la Constitution prévue pour être le mode de réplique parlementaire au 49.3 gouvernemental. À l’Assemblée, notre ligne d’action est la poursuite de la lutte politique pour la révolution citoyenne et la 6e République par les moyens institutionnels. Rien de plus, mais rien de moins.

Seul le RN pouvait bloquer la censure et la destitution. Et il l’a d’abord fait, en refusant de voter la première censure et en empêchant la motion de destitution d’arriver en séance plénière. Nous avons exercé sur lui une pression sans relâche chaque fois qu’il est venu au secours de la macronie et du gouvernement Barnier. Cela s’est produit des dizaines de fois, notamment dans le débat budgétaire. Et cela s’est vu. Car le « bloc central » et autre « socle commun » avait quasi totalement déserté cette bataille. Et cela jusqu’au point où les députés RN ont publiquement protesté contre le fait d’être obligés de « faire leur travail ». Mais plus ils le faisaient, plus l’habitude de l’inaction et de la désinvolture boudeuse contaminait les rangs du « socle commun ». Et plus notre pression portait durement sur les épaules du RN. Les médias l’ont tous relevé sur le terrain. Le RN a fini par craquer. On peut penser qu’en laissant le procureur plaider l’inéligibilité de madame Le Pen, surtout sans droit de recours, la macronie n’a pas amélioré sa situation. Dans ce contexte, comme la procédure de destitution avait fait son chemin dans les esprits, le lien entre censure et destitution s’est articulé bien plus vite que prévu et les sondages en ont immédiatement rendu compte. Plus de 63 % de demande de destitution dans trois sondages consécutifs ! Le 5 décembre, le mot d’ordre était dans la rue sur les pancartes et dans les slogans. La boucle est bouclée et le moment politique a changé de nature, en direction d’une simplification politique des traits de contexte. 

Le calendrier est la géographie des combats militants. Voyez comment la pierre qui roule depuis le 7 juillet ne s’est pas détournée de son chemin vers la destitution. Je rappelle que sa force propulsive vient du refus de Macron de reconnaître le résultat des élections. Forfaiture inacceptable en République. C’est pourquoi nous ne l’accepterons jamais, au contraire des républicains en peau de lapin qui barbotent dans le marais de l’officialité.

La citadelle ne tombera pas au premier coup de canon. Sa muraille médiatique n’est pas assez ébranlée. L’inutile renfort de la CFDT au gouvernement Barnier aurait pu nous cuire. À présent, il faut passer encore l’épreuve de la deuxième tentative pour constituer un gouvernement. Si Macron ne trouve pas une coalition majoritaire allant du PS à LR, son « socle commun » demain ne sautera pas mieux les haies que son précédent canasson.

On devine alors ce que je pense de la façon dont le PS se comporte et de la façon dont Olivier Faure s’adresse à nous. Il veut être absolument Premier ministre. Peu lui importe de qui et comment ? Il a bloqué la discussion du NFP cet été quatre jours sur ce thème. Le reste est un marchandage interne au PS entre courants et sous-courants. Leurs pensées et leurs obsessions évoluent dans un cercle d’ambitions concurrentes, et toujours mutuellement contrariées. 

Je sais que la coordination des insoumis et les groupes parlementaires insoumis vont faire le bilan de ce comportement déloyal et mortifère pour l’image de la coalition dans nos milieux sociaux. Le PS a la censure honteuse. Là est souvent le problème pour nous. Nos électeurs, qui ont confiance en nous, n’aiment pas du tout le style « compromis pourris » comme les dessinent ces rendez-vous élyséens de parade. Ces questions n’ont rien de personnel. L’enjeu c’est au contraire la loyauté en politique dont tout le monde a tant manqué dans le quinquennat de Hollande et qui a détruit le PS lui-même.

Mais pour l’instant, on peut penser que le PS va glisser entre les doigts de Macron. Car rien ne s’arrange pour ce dernier. Premier mauvais pas : Macron a été incapable de nommer séance tenante un Premier ministre comme prévu. Il a donc échoué à effacer l’impact de la censure et la force de légitimité qu’elle contient pour nier la sienne. Il n’avait donc rien à dire dans son allocution et il lui a fallu jouer une réplique rageuse et frontale. Politiquement, ce fut totalement contre-performant. Du coup, en refusant de participer à la surenchère d’injures à sa suite sur TF1, même les croche-pieds de Gilles Bouleau, ne m’ont pas empêché d’enfoncer le clou de la destitution du président. Cela devant cinq millions de téléspectateurs de tous bords, aussi excédés et choqués que nous par l’arrogance présidentielle. L’impact s’est vérifié dès le matin suivant dans les rues et marchés où étaient présents les insoumis. La destitution, déjà présente jeudi dans les manifestations de la journée de grève, est désormais portée de tous côtés, dans tous les milieux. C’est cette onde qu’il faut nourrir et amplifier par petits coups d’épaule donnés à bon escient avant le moment de l’estocade. « Macron démission » est désormais le mot d’ordre commun de toutes les colères. On peut penser que cela produira une conscience plus vive de la nécessité de la 6e République. Une façon directe et simple de résumer la volonté d’en finir avec les politiques néolibérales. Si l’on fait le choix d’un exécutif fort, il faut un recours populaire tout aussi fort. Ici vient la solution du référendum révocatoire. Au Mexique, notre ami le président López Obrador l’a rendu obligatoire à mi-mandat et il se l’est appliqué avec succès.

Toute l’action populaire démocratique est un exercice d’auto-éducation du grand nombre prenant conscience des enjeux de son époque quand il cherche une issue à sa situation. La fiabilité de la représentation politique est une des conditions de la confiance dans le processus démocratique. Et sans aucun doute c’est la base de notre pacte politique avec notre peuple, aujourd’hui encore bien désemparé. Nous ne lâchons rien et tout le monde le sait.

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