Au mouvement Insoumis se retrouvent des pacifistes et des pacifiques. Les deux convergent sur une attitude concrète : la diplomatie avant tout. Et une haine lucide et réaliste de la guerre. En effet, j’ai déjà publié sur ce blog trois posts destinés à présenter de façon synthétique et regroupée mes arguments contre la nouvelle vague des partisans de l’économie de guerre et de la gesticulation anti-russe. Voici donc un quatrième post. Je le crois au moins aussi décisif que les trois autres dans ce registre. Il s’adresse plus spécialement aux Insoumis écolos, mais aussi à ceux qui sont toujours membres de EELV. Comment EELV a-t-il pu rompre avec le pacifisme et devenir « pro-Europe-de-la-guerre-mais-à-condition ». La guerre ne peut être qu’un désastre écologique irréversible. Je limite mon propos sur ce point à la vulnérabilité nucléaire de notre pays.
Toute guerre dépend pour finir du consentement des populations et de leur degré de certitude de l’utilité des combats où meurent leurs enfants. Cette fois-ci plus que jamais. Car les bourreurs de crânes n’ont pas l’intention de faire mesurer l’ampleur des dégâts qu’une guerre provoquerait de nos jours. Ce n’est pas nouveau non plus. À la veille de la guerre, Jaurès alertait sur la boucherie que serait la guerre mondiale. Mais les amis du déclenchement de la guerre de 1914 se gardaient bien de raconter ce qu’ils savaient sur les outils de guerre qui se déchaineraient de façon absolument nouvelle. Par exemple le gaz moutarde, la mitrailleuse, les chars et les bombardements aériens ou les canons géants type « grosse bertha ». Les officiers d’active et leurs chefs firent donc courir en pantalon rouge les vagues d’assaut de conscrits du début de la guerre. Ils se firent faucher par milliers en plein délire d’offensive à tout prix… Aujourd’hui les discours sur la guerre font comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo. Mais la guerre sur notre sol serait d’abord un désastre écologique irréversible. Cela à cause de la vulnérabilité du pays du fait de l’intensité de ses équipements en nucléaire civil.
Car le nucléaire en temps de guerre ce n’est pas seulement la bombe atomique. Le nucléaire civil est notre plus grande vulnérabilité Qui va dire combien la France est fragilisée du fait de ses installations nucléaires ? Ce sont des cibles connues et faciles à frapper. Faut-il rappeler qu’il y a chez nous 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement ? Plus l’EPR de Flamanville en cours de démarrage ! De plus, comme ils sont directement reliés au système européen de fourniture d’électricité, ils constituent donc des objectifs de guerre supplémentaires pour l’ennemi. La France pourrait-elle survivre à la destruction de la centrale de Nogent, installée sur la Seine en amont de Paris ? Ou à un tir dans la vallée du Rhône où se trouve également l’industrie chimique du pays ? Ce n’est pas tout. À côté de ces centrales, il y a aussi 56 piscines de refroidissement de combustibles usés. Elles ne sont pas bunkerisées. La situation est donc pire qu’avec les centrales nucléaires qui sont exploitées en Ukraine. Car là-bas, celles-ci sont confinées sous une enceinte bétonnée. En France seule la piscine de combustible de Flamanville est protégée par une enceinte bétonnée !
Il y a pire encore : c’est l’usine de La Hague qui sert au retraitement du combustible usé dans les centrales françaises. Les combustibles usés, mais toujours radioactifs, y arrivent au terme de leur parcours. Ils sont stockés de un à trois ans d’abord dans les piscines de refroidissement construites à découvert à côté de chaque réacteur nucléaire. Puis ils sont transportés à La Hague. Le retraitement aboutit à une division du combustible usé en 95 % d’uranium de retraitement stocké à Tricastin. Mais surtout il reste encore 4 % de « déchets ultimes ». Ce sont les plus radioactifs. Ils sont vitrifiés et pour l’instant stockés sur place. Ce sont ceux-là que le gouvernement veut enfouir à Bure. Pour comparaison : il faudra davantage de temps pour que ces déchets se « refroidissent » qu’il n’y a eu de temps depuis l’apparition des premiers humanoïdes jusqu’à nous.
Le record du monde de matières radioactives sur un même lieu est en France ! C’est à La Hague. On y trouve notamment quatre piscines non bunkerisées où sont stockées 11 000 tonnes de combustibles usés ! Il y a aussi 82 tonnes de plutonium sous forme de poudre dans des bunkers. Et surtout la totalité des déchets de haute activité français stockés dans des puits de 30 mètres de profondeur. Le danger pour le site et ses environs n’est pas tout. Le procédé de retraitement à La Hague génère des transports dangereux dans toute la France. De plus, les matières fissiles transportées peuvent être récupérées pour des fins militaires. C’est le cas en particulier tous les convois de plutonium pour fabriquer le Mox. Mais avant tout, un impact de bombardement sur cette installation contaminerait tout l’hémisphère nord de la planète. Évidemment il rendrait toute vie humaine impossible dans tout le Nord de la France. Autant le savoir, cette usine n’est pas protégée contre les agressions externes, chute d’avion ou un acte de guerre. Cependant sa vulnérabilité a déjà été identifiée et prise en compte après les attentats de 2001 à New York contre les tours jumelles. Des missiles Crotale et des radars avaient été positionnés autour de La Hague pour protéger le site. Ils sont restés en place pendant 14 mois. Puis ils ont été ramenés lors d’une nouvelle alerte. Puis retirés, définitivement. Mais à côté de Cherbourg, un radar d’acquisition militaire est en construction pour couvrir l’usine de La Hague. Ce type de radar est nécessaire, car en cas de détournement d’un avion les terroristes coupent le transpondeur de l’avion. Il faut donc des radars pour détecter les masses métalliques volantes même muettes…
Les installations nucléaires en Ukraine ont été notre souci dans la guerre avec la Russie. Elles le restent. Des leçons peuvent d’ailleurs être tirées de ce qui s’est passé là-bas. Peut-être faut-il le rappeler : depuis le début de la guerre, les installations nucléaires ukrainiennes sont des cibles du champ de bataille. Les troupes russes sont entrées en Ukraine par la Biélorussie. Elles ont donc occupé pendant quelques semaines le site de Tchernobyl. Elles ont détruit le matériel de laboratoire des scientifiques de l’Ecocenter et miné la forêt. Les feux de forêt entraînent la dispersion de particules radioactives et restent un danger pour la population locale. Depuis le 4 mars 2022, la centrale nucléaire de Zaporijia est occupée par l’armée russe. La Russie veut redémarrer les réacteurs de la centrale de Zaporjia en les connectant au réseau russe. Ce n’est pas rassurant du tout. Il y a là un danger total d’accident nucléaire, car aucune des conditions de la sûreté nucléaire ne peut être garantie dans un tel contexte. La guerre d’Ukraine montre que le nucléaire est une vulnérabilité forte pour un pays et sa population. On a vu se mettre en place une politique d’attaque incessante du réseau électrique ukrainien dont tous les segments ont été visés à tour de rôle. Par ce moyen l’attaquant place toute la population en précarité énergétique et alimente aussi le risque d’accident nucléaire pour les centrales nucléaires restant en fonctionnement.
En Ukraine, les frappes russes ciblent les installations sur l’ensemble du réseau électrique. Cela doit faire réfléchir sur les conditions de résistance. Les réseaux électriques décentralisés augmentent la résilience d’une population. En effet, la centralisation de la production électrique sur quelques points névralgiques est une faiblesse en situation de conflits. Dans ce cas, le déploiement d’un système décentralisé d’énergie (solaire par exemple) de grande échelle est le meilleur moyen de riposte aux tentatives pour bloquer l’accès à l’énergie électrique. Les frappes incessantes des Russes visant les infrastructures du réseau électrique – comme les sous-stations – ont causé des pertes de capacité de 85 % des centrales thermiques, 50 % des centrales hydrauliques. Et cela parce que seulement 45 % des capacités nucléaires restent utilisables. Avec un système électrique ciblé sans relâche et au bord de l’effondrement, le déploiement de petites centrales solaires hybrides décentralisées aux côtés des installations solaires municipales existantes est essentiel pour renforcer la résilience du pays.
L’usage d’une centrale nucléaire civile peut être détourné en arme de guerre. L’occupation d’une centrale nucléaire est très facile : il a suffi d’une attaque de quelques heures pour que les Russes s’emparent de la centrale nucléaire de Zaporijia dans la nuit du 3 au 4 mars 2022. Mais ce n’est pas, loin s’en fut, sans risque. Car même si les réacteurs sont à l’arrêt, il faut de l’eau en permanence pour refroidir les piscines de combustible usé. En Ukraine, la destruction du barrage de Kakhovka qui alimentait le bassin de refroidissement de la centrale de Zaporijia a rendu la situation encore plus tendue, rendant encore plus dangereux un éventuel redémarrage des réacteurs de Zaporijia.
Nota : Pour argumenter l’alerte que je formule depuis le début de la guerre d’Ukraine sur la vulnérabilité nucléaire française, j’ai utilisé les données fournies par le discours de Pauline Boyer de Greenpeace à l’occasion de l’anniversaire de Fukushima place de la République à Paris auquel j’ai participé dimanche dernier.