Je veux clore la séquence. Pourtant, je ne comptais pas écrire pendant cette pause de Noël. Je rebutais à me mettre dans la tension en exprimant mon dégoût devant les crimes de Netanyahu et pire encore devant les attaques des lâches qui leur servent d’alibi ici. Car le massacre sous les bombes de Netanyahu et de son armée de criminels de guerre continue sans trêve ni pause. J’ai beau avoir sous les yeux, ici à Paris, misère et mendicité, privation et désespoir, je ne peux oublier ce dont je devine l’atrocité sans limite. Ne l’oublions jamais : une telle tuerie totale est possible seulement avec l’approbation et la complicité active de l’Union européenne et des États-Unis. Cette complicité se paiera très cher. Le génocide et l’agression de tous ses voisins par le gouvernement génocidaire dirigé par l’extrême droite ouvrent dans le monde une nouvelle ère de la guerre totale et du retour aux conquêtes violentes. Le pire est à prévoir. Trump a déjà annoncé vouloir prendre le contrôle du canal de Suez et même celui du Panama. N’en rient que les inconscients. Silence prudent chez les castors européens. Et combien d’autres frontières sont déjà mises en cause ? On sait comment ça se règle désormais : tuer tout le monde qui dérange !
Le suicide d’un cheminot et la façon dont je l’ai vu traité m’ont ramené vers mon clavier. Ce cheminot était des nôtres : syndicaliste, insoumis sans doute, sa vie s’est confondue avec les nôtres à chaque étape de nos engagements et de nos mobilisations. Les cheminots ont, parmi nous insoumis, le prestige de leur capacité de combat social depuis vingt ans d’agression néolibérale. Et, bien sûr, avec en arrière-plan l’histoire glorieuse de la corporation dans la lutte contre l’occupant nazi et leurs collabos. Au fil de ma vie parlementaire, j’ai combattu je ne sais combien de lois anti-cheminots. Et j’ai vu à chaque occasion les mêmes arguments, les mêmes accusations rabâchées. « La prise en otage des usagers », les prétendus « salaires très confortables » et ainsi de suite, rabâchés dans le plus brutal mépris. La classe médiatique est toujours ardente en insultes contre cette corporation courageuse et bosseuse. Dès lors, tout ce qui touche aux cheminots rencontre chez les insoumis une empathie particulière. D’ailleurs il y a deux cheminots dans notre groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Et d’autres siègent en régions. Ceux-là ont su trouver les mots pour dire ce qu’est leur métier. Et cela prouve encore le bien-fondé de notre politique de choix des candidats venant du monde des luttes. Bien sûr, l’occasion était trop belle pour ceux qui ont toujours de la haine de classe prête à dégorger. Car sinon je crois que toute personne exaspérée a ravalé son mécontentement sitôt connue la cause de l’interruption ferroviaire. Pourtant la pompe à calomnies continua son vaste épandage. Cela sous la direction du soi-disant ministre des Transports, un certain Philippe Tabarot, recruté non seulement parce qu’il est malléable mais surtout pour son idéologie ultralibérale et anti-grève. Ciblés encore une fois : la SNCF d’abord, puis les cheminots. Même suicidés, ils ne sont jamais assez morts pour la caste. C’est pourquoi le prétendu ministre osa se dire soulagé que le mort n’ait pas choisi de faire dérailler le train. Peu lui importe que ce soit tout simplement impossible compte tenu des mesures de contrôle de sécurité qui encadrent la solitude du conducteur de train dans sa cabine. À cette occasion, c’était le fantasme du preneur d’otages et du terroriste qui fusionnèrent dans l’esprit malade du prétendu ministre. J’imagine les proches, les parents et les enfants, déjà assommés dans le chagrin, entendant cette phrase…
Bérenger Cernon et Thomas Portes, les deux cheminots députés insoumis, ont raconté la vie de conducteur de train qu’ils ont connue pendant des années. La solitude dans la cabine de pilotage, « ce logis où l’on retrouve ses démons intérieurs quand ça va mal » a raconté Berenger Cernon. Qui peut ignorer la loupe qu’un tel contexte place sous des yeux humains dans de telles circonstances ? Qui n’a jamais connu, la nuit venue, la déprime à l’heure des gros accrocs de la vie dans le cœur ? Qui ? Alors comment s’éteint dans l’esprit d’un homme, ministre illégitime comme celui-ci, toute empathie pour un autre, toute commune humanité ? Ces gouvernementaux sont désormais des « aliens » pour leurs contemporains. La mort, de l’autre côté de la porte de la cabine du train, est cette étrange visiteuse des jours sans fin, des matins sans horizon, de l’obscurité glacée quand elle semble promettre d’engloutir la douleur de vivre. Mais pourquoi peut-elle gagner ? Avoir mille souffrances à l’œuvre en soi n’enlève rien à ce fait : il n’en est aucune sans issue pour peu qu’on puisse reprendre son souffle. Mais où, quand et comment reprendre son souffle ? La nuit, la solitude, le silence semblent vous fermer toutes les portes. Et, alors, reste seule disponible celle qui s’ouvre dans le sifflement des trois cents kilomètres-heure. Elle semble promettre le soulagement. J’ai assez vécu, lu et vu pour savoir combien les suicides sont si souvent des réponses individuelles à des impasses nées dans la société. Nous sommes et restons des êtres sociaux jusque dans cette circonstance. La vie au travail reste centrale dans la perception que les individus ont d’eux-même, de leur identité et de leurs droits. Le suicide de Ludovic, chauffeur de bus en région parisienne refusant la privatisation en atteste. Mon livre « Faîtes mieux » comporte un chapitre sur le rôle des « suicides politiques » comme messages avant-coureurs des crises majeures de la société. « Toute chose naît du hasard et de la nécessité », pour citer dès maintenant Héraclite.
J’ai écouté François Bayrou avec attention sur BFM. Je commence par ce qui me concerna. Il me récuse pour avoir écrit qu’en politique il faudrait tout conflictualiser. Je lui pardonne d’ignorer que ce soit la base du matérialisme historique, pour qui, tout fait politique étant inclus dans la lutte de classes, c’est en assumant cette conflictualité qu’on accède à une conscience réaliste. Mais l’agrégé de latin et de grec qu’il est, peut-il ignorer le message d’Héraclite pour qui la discorde (ou la lutte) est mère du futur ou bien le combat père de toute chose ? La réalité est dialectique parce qu’elle est mouvement entre des contradictions. N’est-ce pas d’ailleurs aussi la base même de la démocratie : choisir entre des points de vue opposés ? Tout conflictualiser, c’est rendre possible la liberté. Car l’antagonisme est père du choix et le choix est le lieu de naissance de la liberté. Vu ?
Je viens à plus important. Pour cela je passe sur le souvenir d’extrême ennui que l’interview de Bayrou m’a d’abord infligé. Car c’était du déjà-vu tant de fois : interruptions incessantes et questions-réponses faussement solennelles : « est-ce que vous nous dites, ce soir, François Bayrou ceci, cela… ». Il s’est fait étriller. Bayrou ne méritait pas ça. Les frelons avaient d’abord oublié de demander au Tatou s’il poserait la question de confiance à l’Assemblée. Ils ne pensèrent pas à lui demander non plus si son projet de retraite à points serait mis en débat dans la nouvelle discussion sur les retraites qu’il prône. Ils ne lui posèrent pas non plus une question sur la situation internationale. Le génocide et l’application des décisions de la Cour pénale internationale, la Syrie, les Kurdes, la guerre en préparation avec la Chine : rien. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je fais une hypothèse. Peut-être savent-ils comme moi, et comme tout le monde, combien la primature de Bayrou est déjà cuite ? Jean-Michel Aphatie dit que le maire de Pau a pris un « coup de vieux ». Oui, si cela désigne sa pratique politique. Car que reste-t-il du personnage qu’a été Bayrou dans le passé ? On pourrait s’attendre à le voir faire lui-même le constat d’échec et s’en aller séance tenante plutôt que de subir l’abrasion qui lui est réservée par toute la macronie et par Les Républicains. C’était du temps où il préférait siéger seul avec Jean Lassalle plutôt que d’accepter la création de l’UMP et la dissolution de l’UDF. À présent le voici réduit à céder tout le panache qui illustre les destins ! Et tout cela pour la vanité de faire semblant de gouverner.
Comment compte-t-il « faire mieux » que Barnier ? À l’Assemblée, le centre de l’hémicycle est fait de rancœur et de vendettas. Tels sont désormais les Balkans macronistes. À quoi bon pour eux faire durer un gouvernement condamné d’avance ? Comment Bayrou compte-t-il maîtriser durablement ce système de tensions ? Car tout le monde sait qu’il a échoué dans l’opération vitale à réaliser : l’élargissement de sa base parlementaire. Pourtant, il n’y avait personne d’autre mieux placé que lui pour y parvenir. Alors quoi ensuite ? Le néant sera plus ou moins dense selon les jours. Quoi ? Le PS, Fabien Roussel ou bien Les Verts sont venus à son invitation, après celle du Président ? Et alors ? C’était une comédie pour satisfaire les besoins de leurs congrès respectifs et les obscures combinaisons qui en constituent les enjeux. Tout le monde le savait. Tout cela répondait au critère installé sur la scène médiatique par de risibles bien-pensants. Il fallait « faire preuve de responsabilité » en donnant un sursis à un gouvernement mort-né. Car la dette, le budget, l’eau courante à Mayotte, les suicides de cheminot, tout serait la faute des votants de la censure. C’était alors panique à bord chez les dévots « de gauche » de la bonne réputation de modéré. Jusqu’au jour où les sondages ont montré non seulement combien les Français approuvaient la censure, mais demandaient par surcroît la destitution de Macron et une sixième République. En 24 heures, tout le petit monde des « nouveaux raisonnables » est revenu à la maison. Les insoumis avaient donc eu raison, une fois de plus, dans l’évaluation du rapport de forces. La punition des folâtres est déjà payée dans nos milieux, où leur prise au sérieux est bien abimée. Encore un apprentissage utile. Et si le jeu des postures fait encore mine, ici et là, de durer, nul n’en est dupe. La mascarade : pas d’accord « à cette étape », pas d’accord « en l’état », bla bla bla : toutes ces minauderies ne fonctionnent plus du tout. Tout le monde s’en fiche. Le premier qui aide Bayrou à durer, chope la gale.
Un fait pourtant significatif est passé inaperçu dans les bourdonnements et les papotages convenus. Pour qui a de la mémoire politique longue, l’épisode a marqué la fin d’un mirage de longue durée. Oui, un moment historique s’est dérobé sous nos yeux. Le rêve de décennies de centrisme et d’européisme s’est effacé du paysage, au moment où la caravane de ses adulateurs semblait l’atteindre. Ce moment, c’était celui de la grande jonction entre les « Démocrates » avec le secteur de la gauche qui lui faisait les yeux doux depuis tant de décennies. Autrement dit le centre, les socialistes et d’aucuns Verts. Si la jonction s’était faite, ils auraient eu gratuitement le reste des tribus macronistes. Alors oui, le socle commun de la « grande coalition » à l’allemande était à portée de main. J’ai passé, avec d’autres, tant d’années à combattre cette alliance ! Les plus connaisseurs savent que le projet remonte à Giscard d’Estaing, revint sous Rocard en 1988 et ensuite encore à la présidentielle de 2007. Mais désormais le moment est officiellement passé. Ce sont des « si », je le sais bien. Et de toute façon, il n’y a aucun stratège assez audacieux(se) et patient(e) dans ce petit monde là pour piloter une telle manœuvre dans l’espace politique actuel. Pourtant celui-ci était assez friable pour la permettre. Il n’empêche : je le note comme un changement durable de l’arrière-plan politique. Mais aussi le signal d’un fait social : les classes moyennes ascendantes des années 70/80, visées par ce projet « d’entre-deux », sont désormais hors-jeu. Leur décomposition dans l’univers néolibéral est assez avancée. Elles sont de nouveau disponibles pour la radicalité des projets.
Il n’y aura pas d’accord de « non-censure ». Ce serait un absurde brevet de docilité. Cette trouvaille, d’abord proposée comme un appât par Boris Vallaud, et reprise, sans aucune concertation ni alerte, par tout le PS, est une chimère. Il n’est d’ailleurs pas très républicain de demander à une assemblée parlementaire de renoncer à un de ses pouvoirs contre une promesse de l’exécutif de ne pas abuser de son pouvoir. Parfois, le temps long montre son museau. La SFIO a voté la constitution de la cinquième République. Cet échange n’aura pas lieu. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais. Les insoumis ne le permettront pas tant que le NFP existera. D’une certaine façon, la danse du ventre de nos partenaires du Nouveau Front Populaire quand ils ont accepté de jouer la comédie de la négociation aura aussi bien servi nos plans. D’une part, elle a montré pour finir combien une telle façon de faire ne mène nulle part sinon au ridicule. « Faut-il qu’ils soient ou bien naïfs ou bien comédiens » se disent les gens, quand ils restent polis… ! Peu importe. Car cela souligne surtout à présent l’absolu isolement de la macronie. Et puisque tout le monde au Nouveau Front Populaire votera la censure, si j’en crois ce qu’ils ont dit dans le journal, alors voici le deuxième avantage de situation : toute la charge du soutien à Macron repose sur Le Pen si les députés RN ne la votaient pas ! Et c’est cela que les médias appellent « Le Pen maître du jeu » ! En fait tout ce joli monde est enlisé jusqu’aux essieux. Et il n’y a qu’une sortie commune : censure et destitution.
Le gain pour nous, insoumis, est considérable. Il n’y a pas d’alternative au Nouveau Front Populaire pour ses éléments les plus récalcitrants. Il n’y a pas d’alternative aux insoumis pour constituer une autre majorité. La thèse de l’alliance centriste est morte pour longtemps. Son programme n’existe pas, ses leadeurs non plus. François Bayrou est resté tout seul avec ses formules alambiquées et ses pièges verbeux à deux sous. Il n’échappera pas au calendrier. Il n’échappera pas à la réalité du contexte politique né des suites de la dissolution. Il n’échappera pas aux Balkans macronistes, ni aux vendettas de LR.
Seul le retour aux urnes peut redessiner une carte stable et légitime. C’est la règle en démocratie. Dans ces conditions, il ne reste plus qu’un objectif immédiat à François Bayrou : il lui faut durer ! Point final. Durer pour lui-même, durer pour protéger les trente derniers mois de Macron, le monarque vaincu dans son palais branlant. Durer pour continuer à faire autant de libéralisme que possible à coups de décrets. Pour durer, n’importe quelle palinodie lui conviendra. En arrière-plan pour certains, la promesse d’une proportionnelle de confort. Elle n’engage que ceux qui y croient, évidemment.
Que le gouvernement soit par nature illégitime du fait du refus de reconnaître le résultat des élections de juillet est un fait incontournable. Il n’existe à ce sujet qu’une parade, un seul moyen de rendre légitimes les combinaisons gouvernementales de Macron : un vote de confiance de l’Assemblée ! Cette évidence républicaine ne semble plus concerner les « observateurs ». Et s’il n’y a pas de vote sur la confiance, la réplique obligée de l’opposition est la motion de défiance : la censure. Ce furent les mots de Georges Pompidou, premier ministre de De Gaulle, quand il refusa de poser la question de confiance. Vote de confiance ou vote de censure sont les deux faces d’une même pièce tant que dure cette Constitution. Et tout le monde doit l’admettre jusqu’à ce qu’il y en ait une autre. Car il ne saurait y avoir de République avec l’accord du peuple en dehors des règles de fonctionnement que ce dernier fixe. Quiconque croit pouvoir contourner cette physique politique s’expose aux retours de bâtons les plus cruels. Et si aucune règle n’est respectée par ceux qui en reçoivent leur pouvoir, alors le pouvoir viendra d’ailleurs, comme le montrent des siècles d’histoire politique.
C’est la règle en démocratie : seul le retour aux urnes peut redessiner une carte stable et légitime. Dans ces conditions, l’opinion a déjà compris le lien qui unit le vote de la censure et le vote de la destitution du président. Sinon quoi ? Tout le monde sait qu’il perd son temps avec des opérations mort-nées comme le gouvernement Bayrou. Tout, du sol au plafond, n’est désormais qu’une comédie vouée à un sketch final déjà joué : un départ à la Barnier. C’est-à-dire d’une humilité sans modestie pour vendre ce qui peut encore trouver acquéreur dans les médias : une pose de débâcle assumée.