La nuit des longues fourchettes 

L’adage dit qu’on ne doit pas dîner avec le diable, même avec une longue fourchette. Le diable est la figure du ralliement à ce que l’on a combattu et pour quoi on a exigé des autres de l’engagement et sollicité des votes. La nuit dernière, sans aucun préavis, ni discussion, Olivier Faure seul, c’est-à-dire sans un vote de la direction PS qui nous aurait alertés, a décidé d’engager un revirement complet du PS sur la question des retraites. 

  • Voici les deux déclarations d’Olivier Faure au nom du PS sans doute pour une fois unanime, qui marque les mots choisis pour une rupture fondamentale avec une très longue histoire. Premier point : le PS renonce à demander l’abrogation de la retraite à 64 ans, point central de l’accord NUPES puis NFP.  Olivier Faure : «Nous n’avons pas demandé à balayer la réforme des retraites, nous avons voulu indiquer un chemin. Le gouvernement en a pris note, il en a « pris le point » comme il aime à dire, et doit revenir vers nous ». Il a confirmé ce point crucial en sortant de sa rencontre (qui devait rester secrète) d’hier soir. 
  • À cette occasion, de plus, il a annoncé à la fois un calendrier et un objectif. « Ainsi, pendant plusieurs mois, nous rechercherions une solution pour ne pas avoir une abrogation sèche, mais pour changer de système. » Changer de système ! Le système actuel est la retraite par répartition. Les actifs paient pour les retraités. Il n’existe qu’un système alternatif : c’est le système par capitalisation. Chacun constitue un capital en économisant. Le moment venu la somme disponible dans une génération est répartie entre ceux qui la compose. Autrement dit la « retraite à points » dont Bayrou a rappelé qu’il en était partisan dans son interview BFM, et comme c’est aussi le choix du ministre Lombard, l’ami personnel d’Olivier Faure, avec lequel le PS discute. 
  • Ce projet a déjà été présenté à l’Assemblée dans le premier mandat de Macron. Toute la gauche de l’hémicycle l’avait combattu. Des milliers d’amendements avaient été déposés. Tout fut interrompu sans être voté. Et toute l’affaire fut engloutie presque aussitôt par le confinement Covid. Olivier Faure nous annonce donc un changement de cap historique. Non seulement par rapport aux choix récents du PS, non seulement par rapport aux programmes et aux déclarations qu’il a signés au cours des sept années, mais aussi par rapport à l’histoire de la gauche syndicale depuis 1905, année de la mise en place du droit à la retraites et par rapport au programme du conseil national de la résistance. Il faut prendre la mesure de la reculade historique que cela implique. 
  • Et cela sans aucune justification même comptable. Car la « retraite à points » est aussi impactée par la démographie que le système par répartition. Mais il dépend des capacités d’économie de chacun. Et la part à mettre de côté chaque mois pour payer une retraite égale comme aujourd’hui à 75 % du dernier salaire est deux fois le montant des cotisations actuelles. Comme l’argent épargné ne voyage pas dans le temps, en fin de carrière, à la veille de la retraite vous n’aurez d’abord qu’un souhait : la mort d’un maximum de vos congénères pour que le partage soit le plus favorable aux survivants. Évidemment il vous faudra faire aussi des vœux pour qu’aucune crise boursière ne vienne dévaster les capitaux épargnés dans ce système et toutes obligatoirement placés. Voilà en résumé de quoi il est question. 
  • La brutalité hors du commun de ce changement de cap de la part du PS n’est pas la seule cause de stupeur. Pas même non plus le fait de voir comment les mêmes qui poussaient de grands cris contre « l’hégémonisme » quand LFI faisait une simple proposition, ne préviennent plus personne de rien dans le cadre pourtant toujours actuel du NFP. C’est devenu leur habitude. À présent nous n’avons même plus droit à des explications après coup.
  • Ce qui est au moins aussi stupéfiant est de voir le PS se substituer aux syndicats pour négocier une réforme des retraites. On se souvient peut-être des problèmes que nous avions rencontrés avec les syndicats pour avoir convoqué une manifestation sur ce sujet. Mais peut-être les syndicats ont-ils changé d’avis ? En tous cas, le discours d’Olivier Faure porte une confusion complète sur le sujet. Il veut obtenir des « concessions mutuelles » avec le gouvernement avait-il prévenu. Est-ce le rôle d’un parti d’opposition qui se veut de gouvernement de prendre le rôle des syndicats. Du « grain à moudre » avait même déclaré le PS pour paraphraser FO.  
  • Le PS a une peur bleue d’une présidentielle anticipée. En fait on a tous compris. Cela parce qu’il n’a aucun candidat au niveau de ce rôle capable de faire mieux qu’Anne Hidalgo ou au moins aussi bien que Benoît Hamon. À part François Hollande dont ils ne veulent pourtant pas. Dès lors, Faure se croit bien inspiré de rabâcher que nous serions, nous les LFI, obsédés par la présidentielle anticipée. Eh oui, en effet nous voulons obtenir la destitution de Macron parce que nous n’acceptons pas son coup de force contre la démocratie en juillet dernier quand il a refusé de reconnaître le résultat du vote des élections législatives. Pour Olivier Faure cela n’a pas d’importance qu’un Président se comporte de cette façon et cela en dit long sur sa conception monarchique de la fonction. Pour faire bonne mesure, Olivier Faure attribue notre choix à mon obsession personnelle à être candidat. Cette façon de personnaliser tout en politique est assez lamentable. Ici elle reprend la méthode macroniste de diabolisation de ma personne croyant qu’elle est convaincante hors du cercle de l’entre soi de l’officialité. Je me fais un plaisir de rappeler qu’à LFI personne ne s’auto désigne pour cette élection non plus. Il en ira de même ici, et c’est écrit en toute lettre dans la résolution adoptée par notre assemblée représentative de décembre. Pour ce qui me concerne j’ai été chaque fois investi en bonne et due forme et même à l’unanimité la dernière fois dans un cénacle de parlementaires qui ne comptait pas que des amis….
  • En fait, tout cela est un prétexte. L’incroyable revirement d’Olivier Faure la nuit dernière ne fait qu’assumer la fin de la pente engagée depuis plusieurs semaines dans le comportement du PS. On a vu au fil des jours les propos d’Olivier Faure en rabattre sur les objectifs. Manuel Bompard en avait fait le relevé dans un tweet. 1) « Pour nous c’est clair, Macron doit nommer Lucie Castets comme Première ministre » puis 2) « Notre ligne rouge, c’est un premier ministre du NFP » ; puis 3) « Notre exigence, c’est un premier ministre de gauche » ; puis 4) « Pour que nous puissions être d’accord, il faut un premier ministre porteur des grandes priorités du Nouveau Front Populaire » ; puis 5) « Il est clair que si Bruno Retailleau est au gouvernement, il n’y a pas d’accord possible ; puis 6) « Si Retailleau est ministre de l’intérieur, il ne peut pas y avoir de discussions si il porte une loi sur l’immigration » puis 7) «Le préalable à l’ouverture de toutes discussions, c’est l’abrogation de la réforme des retraites » puis 8) « On pourrait discuter d’une conférence sociale sur les retraites » puis 9) « Il vaut mieux ramener des victoires à la maison que rester dans une posture d’opposition » puis 10) évidemment « de toute façons, c’est la faute à Mélenchon » De reniements en reniements, que reste-t-il de la fidélité au programme du Nouveau Front Populaire , demandait Bompard ! Et après cela, quoi ? Le rôle d’un parti n’est pas de négocier à la place des syndicats dont on doit encore une fois rappeler qu’ils sont censés être les gestionnaires de ce système des assurances de Sécurité sociale et qui les « administre » encore à cette heure. 
  • Par conséquent un accord de non-censure ne peut avoir qu’un sens : le parti concerné sort de l’opposition et passe au « soutien critique ». Et comme une telle position est souvent intenable aussi dans la durée, mieux vaut alors gouverner avec ceux qu’on ne veut pas censurer. C’est ce qui donne les grandes coalitions dans toute l’Europe du Nord et en Italie. Avec les succès que l’on a pu voir et les implacables victoires de l’extrême droite que cela implique.  
  • Mais puisqu’ici Olivier Faure veut jouer le rôle du syndicaliste qui négocie comme c’est son devoir, je demande aux personnes qui me lisent de bien regarder et de diffuser l’argumentaire que le député Hadrien Clouet, chef de file insoumis à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a rédigé en note d’alerte pour la coordination du mouvement insoumis.

Des « négociateurs » socialistes déclarent dans la presse qu’ils négocient avec le gouvernement sur les retraites pour, je cite, « passer d’un système à un autre ». Lequel ? 2 options :

1) CAPITALISATION

Option 1, ils rallient le Medef pour passer à la retraite par capitalisation. Chacun met de l’argent sur son compte, cet argent est placé, et en cas de crise financière, vous perdez tout. C’est la retraite jouée en Bourse ! D’autant que si tout le monde s’y met, évidemment que la valeur de chaque portefeuille s’effondrera… et qu’on ne voit pas très bien pourquoi l’argent qu’ils refusent de trouver pour les cotisations apparaîtrait magiquement sur des comptes en banque.

2) SYSTÈME À POINTS

Option 2, ils rallient le système par points, que défend Bayrou depuis 30 ans. Porté par Jean-Paul Delevoye à l’été 2019, député-lobbyiste des assurances privées, condamné pour avoir caché les 10 000€ que lui verse la finance chaque mois. Un projet abandonné face à la mobilisation et à la pandémie. Qui appartient aux poubelles de l’histoire.

Comment ça marche, la retraite par points ? C’est une loterie absurde. On achète des points au long de la vie… à un prix qui varie chaque année. Et à la fin de la carrière, les points ont une valeur… qui varie chaque année. En bref, votre retraite dépend de points imprévisibles achetés à un prix imprévisible et liquidés à une valeur imprévisible. Par exemple, vous cotisez 200€ par mois pour acheter 10 points, et chaque point vous rapporte 40 centimes de retraite. Eh bien demain, ils vous factureront 250€ pour acheter autant de points. Et après-demain, ils décideront que le point ne rapporte plus que 30 centimes. Les gens auront donc le choix : entre travailler jusqu’à la mort ou partir avec une pension ridicule.

  • Et c’est une loterie où tout le monde perd. Car Macron/Bayrou/Delevoye veulent plafonner la part des richesses attribuée aux retraités. 14% du PIB, clamaient-il en 2019, avant de subir 4 défaites électorales (mais dans leur esprit tordu, ça ne change rien). Cela signifie qu’un nombre croissant de retraités (de + en + chaque année) se répartiront une part fixe des richesses du pays (de – en – par retraité). Paupérisation programmée.
  • Enfin, la retraite par points, c’est immoral. Moins il y a de gens dans une génération, plus il y a d’argent à se répartir. Donc chaque retraité a intérêt que son collègue décède pour rafler la mise. Écœurante perspective.

LA RÉPARTITION

C’est non-négociable, avec personne, sous aucun prétexte. Car les retraites, ce sont nos salaires, pas un jouet entre les mains de la finance ou des macronistes.

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