Le 22 mars est une marche nationale appelée par 500 associations et partis. Chacun y participe pour ses propres raisons et arguments. Personne n’est engagé en soutien à la présence de l’un des autres. Le sujet, c’est la lutte contre le racisme. L’importance du sujet est considérée par tous les présents comme prioritaire au-delà de leurs éventuels ou réels désaccords. Et nous les insoumis, comme nous sommes à la fois les plus nombreux et la cible d’une bonne quantité des attaques racistes jusque dans les assemblées, comme contre Rima Hassan, contre Carlos Martens Bilongo ou Aly Diouara,. C’est pourquoi notre devoir est d’être les plus actifs pour assurer le succès de cette marche dans tout le pays.
Le racisme est un danger pour tous et chacun. Le racisme est le terreau direct, la graine la plus fertile pour produire des moissons de votes d’extrême droite ou de droite extrême. Et ces votes produisent à leur tour un état d’esprit qui rend possible une présidence comme celle des États-Unis. Ce dont il est question, c’est de bien comprendre que Trump a été élu « démocratiquement ». Pour la première fois, les Républicains ont eu une majorité de voix au total de tous les votes individuels dans les États des USA. Que ceux qui le combattent continuent à le faire, aux États-Unis, c’est juste. Mais on doit aussi tirer pour nous-mêmes la leçon de leur défaite. C’est d’abord à la racine qu’il faut traiter le problème. En France surtout. À la racine. Radicalement donc, pour rester dans le sens approprié du mot.
Si Trump est là, c’est parce que les démocrates américains ont désarmé la capacité de résistance des Nord-Américains. Depuis Clinton et le grand tournant de toute la social-démocratie mondiale (voir mon livre « En quête de gauche »), dont Hollande a été le chef d’orchestre dans notre pays, tout n’est en eux qu’abandons et faux-semblants. En atteste, en France, la groupusculisation du PS après celle de tous les autres partis de la gauche atlantiste directement liés aux « Démocrates ».
L’écroulement progressif de la toute-puissante social-démocratie allemande montre le caractère irréversible de la pente prise. En 1972, le SPD rassemblait 45,82 % des voix. En 1998, encore 40,9 % des voix. Et en 2005, il y a vingt ans, le PS allemand (SPD) obtenait encore 34,25 % des voix. La pente s’accélère en 2021. Le SPD perd neuf points : 25,74 %. Aux dernières élections de 2025, il ne recueille plus que 16,4 % ! Encore 9 points de moins ! Certes la CDU remonte à 28,5 % (+4). Mais surtout, l’extrême droite AFD passe de 10,3 à 20,8 %. Le processus de transfert des voix à la française est en marche. Bien sûr, en 2025, Die Linke adopte une stratégie frontale, sur le mode des insoumis. Le parti passe alors de 4,9 à 8,8. Alors on voit bien se mettre en place la possibilité d’une tripartition, comme en France. Alliés de nouveau à la droite dans le prochain gouvernement, le PS allemand va continuer à se dissoudre. Tandis que l’AFD rongera la coalition. Et Die Linke croîtra, jusqu’à entrer dans le trio de tête, s’il maintient la ligne de gauche radicale.
Si les PS du monde entier en sont là, ce n’est pas le seul fait de la nullité arrogante de leurs dirigeants. Est en cause l’obsolescence de leur logiciel : la croissance n’est plus le moteur possible du rééquilibrage de la répartition de la richesse produite. Non seulement parce que la croissance est radicalement en panne comme résultat des contradictions du capitalisme lui-même, mais parce qu’elle est écologiquement suicidaire. Dès lors, les classes moyennes ascendantes et leurs enfants sont bloqués dans l’ascenseur d’hier. Socialement, elles reculent et se radicalisent. Les millions de personnes rejetées dans l’abstention par les frères jumeaux du néolibéralisme se réveillent. Tel est le bilan de l’entrée dans l’âge du « capitalisme transnational tributaire ». C’est l’angle mort de la vision des PS. Le prochain congrès du PS, en mode de lutte de personnes pour contrôler la machine à distribuer des prébendes, ne changera rien aux déterminismes de cette saison de l’Histoire. Ce qu’il reste d’espace – s’il en reste un – pour le PS se répartira entre Glucksmann et les insoumis, comme autant de réponses clairement délimitées et lisibles. Pendant ce temps continuera dans le vide la mélopée des récitants du « ni-ni » avant la synthèse en « oui-mais-si-on-verra ».
« La menace russe » manquait de consistance. Voilà donc Zelensky et les services secrets danois pour nous alerter sur une très prochaine invasion russe. Zelensky, on comprend. Mais le renseignement danois ? On se marre. Car ils n’ont rien prévu, ni rien vu à propos de l’invasion du Groenland par Trump ! Et ils n’ont à peu près rien à dire sur le sujet. Ils ne font rien. Ils ne m’ont donc pas l’air plus doués pour les manœuvres de diversion. De leur côté, les commissaires européens aux Affaires extérieures et à la Défense ont convoqué la presse pour présenter un plan de réarmement du continent d’ici à 2030. En fait, il n’a été question que d’une industrie à financer par des commandes publiques. Rien sur le matériel nécessaire, rien sur la stratégie, rien sur l’état-major commun. Poutine peut dormir tranquille.
Un moment misérable. On y retrouve les minauderies habituelles sur le « pilier européen de l’OTAN » et autres balivernes déjà largement entrées dans la poubelle de l’Histoire. Aucune préférence européenne n’est vraiment organisée pour le choix des matériels, sinon un vague conseil pour que ceux-ci contiennent au moins 65 % des pièces européennes. Rappelons qu’il s’agit d’orienter un fond de 850 milliards d’euros, soit 5 % du PIB européen comme le réclame Trump. En fait, il s’agit de 650 milliards pris dans les budgets nationaux. C’est-à-dire le plus colossal effort financier orienté vers un secteur depuis la création de l’Union européenne. Bien sûr, il y a les 150 milliards d’euros de prêts pour l’équipement des armées européennes annoncés le 4 mars dernier par von der Leyen. Occasion de se souvenir combien il faudra vérifier les quantités distribuées entre les États. Car en toute hypothèse, la France devra rembourser 18,5 % de la somme totale empruntée par l’UE ! C’est-à-dire 27,75 milliards d’euros. Sans les intérêts… La France ? C’est-à-dire les contribuables. Inutile donc de nous dire que ce seront peut-être des commandes à des entreprises françaises que feront les autres pays. Pourquoi chaque Français paierait-il l’armement des voisins ?
Mais en France, quelle sera la dépense prévue ? Pour Sébastien Lecornu, ministre des Armées : « si l’on veut reconquérir nos capacités de manœuvre dans la durée tout en répondant souverainement aux enjeux posés par les nouvelles technologies, il est clair qu’un horizon autour de 100 milliards d’euros par an constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises », sans autre précision technique dans quelque direction que ce soit. Il faudra se faire à ce type de prévision construite au doigt mouillé. Le ministre a défendu son chiffrage pour « écarter l’évaluation en pourcentage du PIB qui ne veut rien dire ». N’empêche. On peut faire le calcul. Il s’agit ici de 3,4 % de celui-ci. Plus que les 2 % réclamés par Trump 1, et moins que les 5 % demandés par Trump 2. Pour que cela soit plus facile à apprécier, comparons. Cela signifie une somme égale à une fois et demie le budget de l’Éducation nationale, cinq fois le budget de l’écologie ou le budget de la recherche.
Il faut traduire un chiffre militaire en chiffre civil pour faire une démonstration de ce que ces sommes signifient. Un missile balistique M51 vaut 120 millions d’euros. C’est-à-dire autant d’argent qu’il en faut pour acheter un appareil IRM pour chaque CHU de France. Un véhicule blindé Jaguar vaut 4,5 millions d’euros. C’est la somme nécessaire pour payer un an de cantine scolaire gratuite pour 3 300 enfants. Un missile Aster vaut 2 millions d’euros. C’est deux fois la somme nécessaire pour maintenir le régime de retraite anticipée de tous les travailleurs de la réparation navale à cause de l’amiante. Mais le gouvernement supprime ce droit à partir de 2027.
L’heure est à l’allongement du temps de travail dans les discours de toutes les variétés de droite comme solution pour financer l’armement. C’est devenu un refrain au gouvernement. Ainsi pour Éric Lombard, ministre de l’Économie : « L’effort initial sur les finances publiques de 40 milliards d’euros par an jusqu’en 2029 devra être accru pour financer l’effort de défense. Il faudra s’engager plus et cela demande de revoir notre modèle ». Quel modèle ? Devinez : « … Les Français travaillent moins que les autres pays européens, là on a un levier qui est important ». L’économie de guerre, c’est de la production d’armement pour stimuler la production industrielle atone et assurer des résultats aux investissements. Elle est à présent la trouvaille pour répondre à la crise d’accumulation du capital.
Dans Mediapart, Romaric Godin explique le phénomène. Il s’ajoute à la paralysie des gains de productivité :
« Dans les années 1960, la croissance mondiale calculée par la Banque mondiale était de 6,2 % par an en moyenne. Aujourd’hui, elle est autour de 3 %. En un demi-siècle, la croissance mondiale a été divisée par deux, selon la Banque mondiale. Ça veut dire très concrètement que le rythme d’accumulation capitaliste a été divisé par deux. Il faut souligner cet élément peu discuté, parce qu’à gauche on se focalise souvent sur l’accroissement des richesses de la classe capitaliste, et à droite on se rassure en considérant que la croissance se poursuit. Mais la dynamique de fond est celle d’un ralentissement de la croissance, dans les pays avancés et particulièrement en Europe occidentale. Dans cette dernière, elle se situe autour de 1 % (l’Espagne étant un cas particulier). Le rythme de la croissance a été divisé par 6, c’est un ralentissement extrêmement fort et continu. (…).
Il s’agit donc de niveaux de croissance historiquement faibles. Un pour cent de croissance pour une économie comme la France, c’est proche de la stagnation et c’est d’autant plus vrai qu’on ne voit pas de dynamique de reprise, même si on a pu y croire après la crise sanitaire. Mais dans la plupart des pays occidentaux et en Europe occidentale en particulier, le PIB réel est maintenant en dessous de la tendance d’avant la crise sanitaire et encore plus par rapport à la crise de 2008. Pour la France, on se retrouve à 14 % en dessous de la tendance d’avant 2008. Pour les pays de l’OCDE, le décalage est de 9,5 %. »
Dans ces conditions, l’attractivité de la dépense militaire est là pour attirer le capital et lui promettre une accumulation garantie. On parle déjà d’avantager le placement financier dans ce secteur. Et pour être certain de drainer l’épargne, surtout l’épargne populaire à contraindre, la question des retraites est centrale. Non pour les économies et les transferts de fonds publics exigé à son de trompes, mais pour constituer une masse financière immédiatement et durablement disponible. Gilbert Cette, patron du Conseil d’orientation des retraites a vendu la mèche : « Avec de la retraite par capitalisation collective, on ferait d’une pierre, deux coups : assurer sur le court terme le financement d’une activité clé pour notre souveraineté, l’industrie d’armement, et celui d’une partie des pensions sur le long terme ». Ici, la boucle est bouclée.
Sept jours de harcèlements médiatiques sur un visuel édité par le mouvement insoumis m’avaient conduit à bien fermer les écoutilles, comme chaque fois par gros temps. Mais à Brest, j’avais cru courtois de répondre à un journaliste sur un autre sujet. Certes, je parlais d’Ifremer ou de la question du livre blanc de la défense en Europe. Mais celui-ci, obsédé des municipales, ne s’intéressait à rien d’autre. C’est souvent comme ça. Vous venez pour parler de quelque chose et eux viennent pour répondre aux commandes de la chefferie. Le Télégramme se fout du problème de la communication des scientifiques de l’Ifremer avec leurs collègues des USA pour la carte du climat. Il se fout du livre blanc de la défense en Europe. Son sujet, c’est de « se faire Mélenchon » pour faire du buzz. Ce n’est pas un complot. C’est une sorte de limite intellectuelle. Évidemment, je n’ai fait que rappeler la position adoptée en décembre dernier par l’Assemblée représentative du mouvement insoumis. La nouvelle n’était pas connue de la rédaction semble-t-il. Le lendemain, c’est la « Une » du bréviaire local : « En Bretagne la guerre des gauches est commencée ». Comme si j’étais venu pour cela, comme si cette position nationale était réservée à la Bretagne. Mon portrait trône à côté du titre. La guerre, c’est moi. Normal : les socialistes payent avec les annonces légales de leurs collectivités et la pub. Au total, un procédé vraiment grossier. J’en parle non parce que je serais surpris, mais parce que je crois qu’il faut parfois s’interdire le confort de hausser les épaules.. Le Télégramme espère la guerre des gauches. Il la met donc à l’affiche. Banal. On dirait Libération.
Qu’avons-nous donc à défendre ? D’abord l’insoumission aux indignations de postures. Ces gens ont fermé les yeux sur la rencontre entre l’état-major du RN et de l’extrême droite reçue en grande pompe en Israël par des ministres génocidaires. Et ça pour un colloque sur l’antisémitisme ! Cette situation indigne n’a pas souligné le dixième de l’énergie d’indignation qu’un visuel déclenche pendant sept jours de pilonnage intensif. Non, ce que nous défendons dans cette ambiance c’est juste notre dignité humaine personnelle. Quand Le Télégramme fait son coup tordu, c’est un manque de respect total pour moi. Suis-je une chose pour être utilisé de cette façon ? Pourquoi m’avoir tendu ce piège ? En quoi est-ce du journalisme ? Nous défendons la dignité individuelle des lecteurs du Télégramme rabaissés au niveau d’un ramassis qu’on peut manipuler. Comme s’ils étaient au niveau intellectuel où les situe cet alcool frelaté ? Ils ne sauront jamais qu’ils ont été manipulés et désinformés en leur faisant croire à une réalité fabriquée dans un bureau. Je passe sur la caricature islamophobe en page intérieure. Entendons-nous bien : je ne demandais pas de m’approuver ou de me flatter. Juste de rendre compte, même pour me critiquer de ce que j’étais venu faire et dire.
Oui, nous demandons du respect. Car il faut respecter les heures de travail de militant, les temps de préparation, les dépenses engagées par un déplacement. Tout est organisé pour souligner l’importance d’un sujet et d’un lieu. Je venais parler de la marche du 22 mars contre le racisme. Ça dérangeait sans doute. Je venais parler du moment avec Trump. Ça dérangeait. Voilà la vérité. Avec ce type de presse, tout est rabougri, détourné, transformé en comédie. L’autre matin, un édito pleurnichait quatre jours après l’émission où j’ai dit « ça suffit » à une séquence d’inquisition. J’avais osé ne pas me laisser faire ! Le titre : « Pourquoi tant de haine ? ». Quatre jours après l’émission ! Comme elle avait oublié de payer sa cotisation à la campagne de défense d’Hanouna, elle venait jeter sa petite touche. Contre moi. Cela va de soi. Mais surtout contre le fait que la critique de la presse était applaudie dans tous les meetings de droite comme de gauche. En général, cette jérémiade est destinée à montrer que les médiacrates sont donc de ce seul fait dans la vérité. La sublime vérité du « ni ni ». La loi du « milieu ». Mais une fois de plus, cela reste ce que cela doit être : de la psychologie de comptoir pour ne pas regarder en face les problèmes que soulèvent ces pratiques professionnelles lamentables.
Évidemment en réaction à mon tweet de protestation, la chefferie du Télégramme se fend de l’habituel numéro d’invectives, pleurnicheries et « conseils de prendre de la hauteur ». Ingrats ! Ils devraient me remercier de parler d’eux et de faire connaître leur existence pittoresque. Je n’ai donc pas pu m’empêcher de me moquer à nouveau par tweet : « Le Télégramme publie une caricature grossophobe contre moi. Je suis indigné. Passe pour la Une bidon, et les provocations du bulletin local. Mais en assimilant tour de taille et moqueries on passe à autre chose. Même pour le journalisme d’opinion et d’invectives, il y a des limites. Je regrette d’avoir fait connaître ce folliculaire pittoresque par mon tweet. Celui-ci est mon dernier cadeau. Preuve que je suis moins mechant qu’ils le disent. » CQFD