De retour de Montréal et New York, les lignes à venir sont une sorte de bref compte rendu, fait dans l’avion de nuit pour ne pas laisser un délai trop grand sans donner de nouvelles de ce que nous avons fait, pourquoi nous le faisons et comment cela a été fait.
Il était convenu que je serai présent aux USA pour la publication de la traduction anglaise de mon livre. On l’a rebaptisé « Maintenant le peuple. Révolution au 21e siècle ». J’ai rédigé pour cette édition une nouvelle introduction délestée des aspects trop contextuels de l’élection présidentielle française de 2022. Elle vaut aussi pour l’édition parue en Amérique latine ou à paraître en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie et en Allemagne. Nous savons que nous, Insoumis, nous travaillions dans une nouvelle dimension depuis quelque temps. Non seulement mon livre est déjà traduit en quatre langues, mais toute l’organisation Insoumise est déjà déployée autrement à l’international. Nous y sommes invités, attendus, beaucoup interrogés. Depuis 2022 puis la victoire de 2024, les militants et les médias de tous les pays savent à quoi s’en tenir sur la Gauche en France.
Depuis 2022 et davantage encore depuis 2024, nous avons donc encore changé notre méthode de travail à l’international. D’une part, nous avons élargi les zones de contact du fait de notre implication dans les groupes d’amitié parlementaires. D’autre part, nous avons décidé de nous rendre visibles et présents dans les zones de conflits. Enfin nous avons marqué un nouveau territoire : celui des institutions internationales. C’est ainsi que, pour ma part, je suis allé en délégation au Congo (RDC), en Arménie, au Liban, et dans les zones de violation du droit international des frontières. Et de même à La Haye et Genève, à la Cour internationale de justice ou à l’ONU. Je me cite, mais je ne veux oublier aucun de mes camarades qui ont pris leur part du redéploiement. Rima Hassan, Coquerel à Rafah, Chikirou, Panot, Guetté, Aubry, Mesure, Fernandes, Taché, Diouara et tant et tant encore, de sorte qu’on peut parler d’un véritable plan de campagne assumé comme tel. Car c’est une reformulation de l’internationalisme qui se joue dans notre plan de marche depuis dix ans, avec des phases de développement aussi calculées que le reste de nos activités. Depuis 2022, la ligne Insoumise se dit avec ces mots : être « l’autre voix de la France ». Nous préparons la suite, l’après-Macron. C’est-à-dire la réparation de la disqualification qu’il a occasionnée pour notre pays dans les milieux intellectuels et humanistes à l’étranger. Notamment en zone francophone.
Avec le début de l’ère Trump, de nouveaux défis globaux s’affirment. C’est une ère de violence assumée par le chef de l’Empire. Le monde change d’époque et il va trembler sur ses bases. J’étais donc au Mexique à l’heure des menaces gringos, avec mon livre traduit sous le bras.
Mais à mesure que s’approchait la date du départ vers les USA, il est devenu évident que ce déplacement ne ressemblerait à aucun autre. Le contexte international donnait un autre sens et il exigeait un autre contenu, une autre forme de présence. Du choix de l’entrée aux Amériques par le Canada et le Québec, on dira qu’il s’agissait d’abord d’une respiration avant plongeon. Mais aussi et d’une précaution sur le point de passage vers les USA, dicté par une bonne appréciation des réalités aéroportuaires et du confort des contrôles d’entrée aux USA.
Puis il est devenu évident que nous devions reconsidérer complètement notre façon d’aborder cette étape canadienne. Les menaces de Trump d’une part et surtout, d’autre part, l’absence totale de solidarité européenne nous commandaient un autre niveau dans la pratique de « l’autre voix de la France ». Nous avons donc prévu et co-organisé une conférence universitaire, des rencontres politiques, des rendez-vous médiatiques et meeting dans un esprit de « solidarité avec l’indépendance du Canada et la liberté du Québec ». Chaque mot est pesé pour ne pas sortir du contexte où sont menacées à la fois une nation souveraine amie et une province/ pays sœur de la France comme le Québec, chacune dans un registre différent.
On résumera en disant que tous les Français et les Québécois savent ce que veut dire « le Québec libre » sans qu’il y ait besoin de souligner davantage, sinon en répétant la formule. Mais le moment n’était pas celui où l’on oublie le Canada comme nation amie et souveraine.
Ce message de solidarité devait trouver son point d’orgue en communication pour percer le mur de l’indifférence. Je pense l’avoir trouvé avec mon message à Trump à propos du respect dû au Canada. Je l’ai dit, à cet effet, en anglais, dans une ambiance voulue de bonne humeur joyeuse pour que la fermeté ne soit pas entendue comme une excessive agressivité anti-américaine. Car il me restait tout de même à passer la frontière… Le cadre d’un meeting commun avec Québec-Solidaire, parti indépendantiste, permettait de tenir symboliquement tous les fils de la communication visée. La portée en nombre de vues de mon seul message à Trump me semble significative : 1,5 million de visio-spectateurs sur l’ensemble de mes chaines en ligne. À comparer avec l’audience de n’importe quel épisode du bashing audiovisuel permanent anti-LFI. « L’autre voix » porte plus loin et plus profond que l’égout médiatique national. En tout cas, dans la situation de détresse et de sidération au Québec, mon message a été reçu avec chaleur, toutes tendances confondues, chez ceux qui en ont eu écho. Pour tenir la flamme à bon niveau, l’autre choix fut de venir en délégation avec des parlementaires insoumis. De plus, chacun est directement impliqué dans la relation institutionnelle avec le Québec. Deux députés européens et un député national, c’était une forme de démonstration d’intérêt collectif : Marina Mesure, présidente de notre groupe au Parlement européen. Arash Saedi, député européen, et Aurélien Taché, député insoumis du Val-d’Oise. Nous avons eu accès aux principaux médias québécois audiovisuels et en ligne.
Après cela, le passage de police aux États-Unis s’est fait vite et bien, sans pression ni excès de zèle. L’incident avec le chercheur français nous avait rendus nerveux. Rétrospectivement ce calme nous a paru surprenant compte tenu de l’ambiance de peur et de brutalité qui semble régner aux USA et à New York même. Tout de même, qu’on en juge : nous avons reçu trente dédits de présence pour la réunion des Français insoumis. Chacun·e s’excusait de même : la peur de l’expulsion pour raison politique. De l’inconcevable, même pour ceux qui n’ont jamais vu les USA comme une vraie démocratie. De plus, voir des Français dans cette situation humiliante m’a beaucoup secoué, je dois le dire. Je ne l’oublierai pas, croyez-moi.
Deux universités m’avaient invité. Pour finir, l’une annula son invitation. C’est Columbia. Je ne crois pas que ce soit parce que des trumpistes auraient demandé quoi que ce soit. Il s’agit d’une capitulation devant le pouvoir politique de la part d’une université déjà menacée de voir ses crédits fédéraux supprimés. Aux USA comme en France, il y a des gens qui résistent et des pleutres à qui il suffit de faire peur pour les faire céder. Et ceux-là font même du zèle dans la soumission. L’université Columbia a été très faible. Et elle a fait du zèle. Le leader de l’action Palestine de Columbia a été enlevé dans la rue par des gens en civil qui l’ont embarqué sans dire à qui que ce soit où ils l’emmenaient. Et l’université Columbia (privée évidemment) a retiré leur diplôme aux leaders du mouvement propalestinien. Ils avaient pourtant payé des études ruineuses. Oui, vous avez bien lu : ils ont perdu leur diplôme sur ordre de la présidence de l’université pour avoir lutté contre le génocide à Gaza !
Pour autant, il ne faut pas jeter la pierre aux dirigeants universitaires états-uniens. L’université de New York, CUNY, a résisté ! Elle a maintenu son invitation et la direction du département « Lieu, culture et politique », sa directrice en tête, était présente pour assister à la conférence. Avant cela, le président était venu me saluer en loge. On sait aussi comment Harvard résiste à Trump, qui la vise spécialement et annonce des coupes de crédits majeures par milliards. À présent non seulement il maintient et augmente ses accusations et ses menaces, mais il exige des excuses des autorités de Harvard pour leur prétendu antisémitisme. Aux USA comme en France, la prétendue lutte contre l’antisémitisme, pourtant bien réel, est devenue un pur prétexte. Là, l’extrême droite locale alliée aux amis de Netanyahu dans l’internationale des suprématistes, règle à ciel ouvert ses comptes avec la gauche, sa pensée ou ses thèmes en créant une pesante atmosphère de police politique. En France aussi, nous avons nos pleutres. Même s’ils ne sont pas l’objet du dixième des menaces de Trump. C’est le style des présidents de l’université de Lille ou bien de Bordeaux qui, sur injonction des politiciens gouvernementaux comme dans le Nord, ou de simples tracts de groupuscules fascistes comme à Bordeaux, ont annulé mes conférences et celles de Rima Hassan. D’autres universités françaises, plus nombreuses, ont au contraire refusé de renoncer aux principes des libertés universitaires acquises, en France, depuis le Moyen Âge. Elles ont résisté. Et bien sûr, cela ne signifie aucun accord de leur part avec moi, sinon un commun attachement à la liberté de l’esprit.
Au fil des interviews, j’ai pu mesurer aussi une autre différence décisive. Aux États-Unis, nonobstant la peur actuelle face à la brutalité des ripostes trumpistes, la situation intellectuelle est moins fermée. En effet, la communauté juive de ce pays est restée un milieu ouvert. Elle maintient ses débats et ses clivages. Très nombreux sont les juifs qui sont venus à ma rencontre en se présentant comme tels. Courageusement ils refusent d’assumer ou d’encourager le génocide. Ils le combattent, à l’inverse de ce que l’on observe en France. Et cela fait tellement de bien ! Cela rassure tant sur cette commune humanité dont nous nous réclamons ! Leur courage permet de la confirmer. Du coup j’ai davantage de dégoût aussi pour ceux que j’ai connus autrefois soutenant les droits de l’homme, et qui les piétinent aujourd’hui pour des motifs hors-sol comme leur lecture de la Bible ou je ne sais quel délire suprématiste. Et comme j’admire d’autant plus ceux qui ont tenu bon dès la première heure, leurs organisations et leurs porte-paroles ! Car je connais les persécutions dont ils sont l’objet dans la communauté elle-même. Mais je crois qu’en France aussi, le moment du retournement est commencé. En atteste la rétractation du « soutien inconditionnel » de la présidente de l’Assemblée nationale. Ou la tentative de rattrapage de la 25e heure des ex-LFI dont la visite a été refusée par Netanyahu. Notre devoir est d’aider ce retour à la raison.
À New York, l’ambiance est étrange. Le ciel bleu, la chaleur du jour et la belle lumière donnent à la ville une ambiance que l’on peut qualifier au fil des rues arpentées de bon enfant. Pour moi, c’est nouveau. Mes souvenirs d’il y a trente ans étaient plus raides. Bref : cette fois-ci j’ai aimé. J’ai repris l’anglais à petits pas. Outre mes introductions de discours, tout mon début de conversation avec Bernie Sanders s’est fait dans cette langue. Mais même si j’arrive à m’exprimer bien mieux, je suis sévèrement barré par l’accent en « chewing-gum » de la plupart de ceux que j’ai croisés… Alors, dans les interviews organisées par Coline Maigre, l’attachée de presse du mouvement Insoumis, j’ai pris des précautions : rien sans traducteur. À mes côtés, Antoine Salles-Papou, le jeune directeur des formations de l’institut la Boétie, dont je suis le co-président, a fait merveille dans ce rôle.
Ce n’est pas tout. Nous avons travaillé en deux langues : espagnol et anglais. En effet nous étions convenus avec les Mexicains de Morena, le parti de Claudia Scheinbaum, la présidente du Mexique, de tenir une réunion ensemble en direction des immigrés latinos de New York, très durement persécutés en ce moment. Un geste d’amitié et, plus encore, un geste de solidarité. La réunion a d’ailleurs commencé avec des mariachis inattendus ! Paola Collado, qui traite mon édition en espagnol et organise mes liens hispanophones, a donc prolongé et assuré le travail commencé à Mexico avec les équipes de Morena présentes à New York. Bonne préparation au futur : en 2050, les USA seront le premier pays hispanophone au monde… Et d’ores et déjà dans plus d’un quartier on parle les deux langues ou même seulement l’espagnol. Intellectuellement, c’est un exercice excitant de parler et penser en trois langues dans une journée et au fil des heures. Le cerveau n’étant pas un muscle, on ne risque pas trop de l’épuiser.
Cette petite manifestation de solidarité était indispensable. C’est une marque de respect pour une communauté ample. Il y a quarante millions de descendants de Mexicains ou de double nationaux. Et on ne peut se faire une idée de la violence qui se trame aux USA pour esclavagiser les Latinos, sans lesquels pourtant rien ne fonctionnerait.
Trump a rétabli la loi contre l’ennemi de l’intérieur, appliquée aux Japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’organisme fédéral appelé ICE reçoit la possibilité d’expulser quiconque est étranger. Cela sur une simple décision de l’autorité, sans passer par aucun organisme de contrôle ou de recours ni juridiction. La même loi s’applique d’une autre façon au Canada sous la forme de « carte de séjour fermée », c’est-à-dire à la discrétion de l’employeur. S’il renie son employé, celui-ci perd sa carte de séjour autorisant son embauche et il est expulsé.
Tout le travail de nos équipes se relayant a permis d’assurer au total trois conférences, quatre rencontres politiques de directions, deux meetings, quatre interviews en dix jours dans deux pays. C’est pourquoi j’ai pris le temps de détailler. Telle est l’organisation insoumise. Dans le même temps, ma co-présidente Clémence Guetté avait été présente en Espagne et en Allemagne pour le livre de l’Institut sur la montée de l’extrême droite. Emmanuel Fernandes était en Turquie pour le procès du maire d’Istanbul. En France, trois meetings bien remplis étaient tenus et quelques participations de soutien aux luttes ont marqué. Et encore ai-je retiré de cette énumération qui m’a glissé des doigts, le récit des activités parlementaires dont vous avez sans aucun doute eu des échos. Je ne les mentionne pas ici pour ne pas donner le sentiment de les récupérer au niveau partisan. Cette activité nous permet aussi de mesurer ce que nous avons réalisé en France par rapport à ce qui s’observe ailleurs en termes d’organisation, de pensée théorique et stratégique. Nous pouvons en être fiers. Mais la gauche est en piteux état en Amérique du Nord. Pourtant beaucoup se joue là-bas. Je vais parler de cela dans mon prochain post.
Mais tandis que le jour se lève à peine sur la France dans l’avion du retour, je me dis que non, vraiment, Trump ne me manquera pas.