Déclaration de Jean-Luc Mélenchon, vendredi 10 octobre 2025
Après le tohu-bohu confus des visiteurs de Matignon, il y aura aujourd’hui le défilé à l’Élysée dont Emmanuel Macron nous a dispensés. Pourtant, dans quelques heures, le président de la République va annoncer une décision essentielle.
Elle ouvrira une nouvelle saison politique. Soit en nous enfonçant dans la voie sans issue d’une nouvelle combinaison politicienne censurée d’avance, soit en permettant à notre pays de se reprendre en main lui-même par ses votes.
Avant cet évènement, nous voulons montrer son importance décisive, peser sur lui et ainsi sur ce que chacun fera alors. Affirmer l’urgence de travailler avec un pouvoir légitime à la lutte contre le déclassement de la France, contre la pauvreté et la précarité qui ravagent notre pays, contre l’irresponsabilité écologique qui le met en danger.
On pensera ce que l’on veut des Insoumis, mais la vie a prouvé qu’ils ne sont ni changeant d’avis à la première bourrasque, ni compromis dans les tractations folkloriques de ces derniers jours.
Comme vous le savez, pour nous, la responsabilité du chaos n’est pas à l’Assemblée, elle est à l’Élysée.
En accord avec ce diagnostic, au contraire de tous les autres partis, nous n’avons participé à aucun des nombreux conciliabules avec Monsieur Lecornu depuis sa nomination. Car nous savions qu’il s’agissait d’une perte de temps pour le pays, et peut être davantage encore d’une tentative malsaine de combinaison des contraires.
Je le dis fermement en notre nom collectif : nous ne sommes donc engagés par aucun des arrangements qui s’y sont discutés. Et à plus fortes raisons, nous ne sommes impliqués dans aucune des convergences dans le mystérieux « secret des conversations » évoqués à plusieurs reprises par monsieur Lecornu à plusieurs reprises et sans doute est-ce pourquoi nous sommes dispensés de visite à l’Élysée . Nous sommes restés à distance comme nous avions déjà refusé tout pacte avec François Bayrou, pour deux raisons. La première ? Cela revenait à légitimer le coup de force du président refusant depuis un an et trois premiers ministres le résultat des élections de juin 2024. La seconde ? Après avoir fait partir messieurs Barnier et Bayrou l’Assemblée n’a toujours pas de majorité pour accepter un budget cohérent si le mandat donné aux députés par les votes populaires est respecté, car ce n’est pas pour cela qu’ils ont voté.
Les députés n’ont pas été élus pour s’entendre entre copains mais pour assumer le mandat qui leur a été confié. Nous avons un mandat exigeant et non négociable. : le programme du Nouveau Front Populaire, le triomphe de la justice sociale et de la responsabilité écologique. Pour nous la volonté des votes ne se marchande pas entre partis politiques opposés.
Nos députés n’ont pas été élus pour s’entendre avec la macronie, ni le RN, ni la droite, mais au contraire pour rompre avec leur politique comme cela est dit dès la deuxième ligne du programme choisi par ceux qui les ont élus.
Aujourd’hui, un quatrième premier ministre n’aura pas davantage de majorité pour voter un budget politiquement cohérent qu’hier messieurs Michel Barnier ou bien François Bayrou n’en avaient.
A quoi servirait-t-il alors ? Juste à faire peser, et qui sait exécuter, la menace de passer son budget tel quel, par ordonnance si la discussion dure plus de 70 jours, ce qui est peu par rapport a la tradition, comme le prévoit la Constitution. En effet avec cela pas besoin de 49.3 pour ça !
Pour nous qui avons bataillé sans succès des semaines durant et souvent seuls pour un gouvernement de tout le Nouveau Front populaire et sa candidature commune pour le poste de premier ministre, nous refusons, seize mois et trois premiers ministres après, en pleine crise démocratique, de renoncer à la fois à la dissolution et à la présidentielle anticipée. Pourquoi sauverions-nous ainsi Emmanuel Macron le soldat perdu dans ses aberrations et le naufrage de son mandat ? Pourquoi renoncer à revenir aux urnes ?
Pour rendre la parole au peuple, une seule alternative se présente à cette heure : ou bien une nouvelle dissolution de l’Assemblée ou une présidentielle anticipée et rien d’autre.
Nous sommes prêts dans les deux cas. Mais regardons cela de plus près. Une dissolution permet-elle vraiment au pays de sortir de l’impasse ? Cette question est décisive. Car la solution présente trois risques majeurs.
Le premier : que la composition de l’assemblée reste la même. Car le vote se fait dans les conditions lourdement déséquilibrées et déformées par le découpage en 577 circonscriptions et deux tours de vote. Le second : nous n’avons aucune garantie que le président qui en a montré déjà le mauvais exemple ne rejette une nouvelle fois le résultat s’il ne lui convient pas. Dans la confusion renouvelée , il recommencerait la valse des premiers ministres, les palabres de palais et les coups de force. Le dernier inconvénient et non le moins grave le voici : dans le cas d’une dissolution pour rien l’impasse durerait cette fois encore un an, car aucune nouvelle élection législative n’est permise par la constitution avant cela. Et même en cas ensuite de présidentielle anticipée ! Ce qui serait un comble !
Dans ces conditions, pour nous, seule une élection présidentielle anticipée permet l’adoption d’une loi dite « spéciale » pour adopter un budget par l’assemblée toujours là. Et cela tout en permettant l’élection présidentielle.
Cette présidentielle permettrait l’expression de la volonté du peuple de la façon la moins déformée dans le cadre actuel puisque qu’elle a la France entière pour circonscription unique au lieu de 577 duels. Elle permet la possibilité ensuite de nouvelles élections législatives pour permettre à la nouvelle majorité présidentielle de donner au pays une majorité à l’Assemblée nationale et sur un programme conforme au vote qui viendra de s’exprimer.
Ce choix de la présidentielle anticipée, dont nous voulons souligner l’importance par elle-même et non du fait de telle ou telle candidature, fusse celle de l’un d’entre nous. Ce choix est bien partagé bien au-delà des rangs Insoumis.
Le peuple n’a-t-il pas rejeté Emmanuel Macron à trois reprises dans les élections qui ont eu lieu depuis son élection contrainte en 2022 ? Deux de ses anciens premiers ministres ne l’ont-ils pas condamné, soit pour son acharnement à « vouloir garder la main », comme l’a dit monsieur Attal soit pour demander franchement sa démission comme monsieur Edouard Philippe?
Nombre d’autres responsables de tous bords ont demandé également sa démission. Signée par cent quatre députés de plusieurs groupes, la motion de destitution du président n’a été repoussée deux fois que grâce au vote du RN. Enfin, 70% de sondés, c’est-à-dire au-delà de toutes les marges d’erreurs envisageables demande le départ d’Emmanuel Macron.
C’est ainsi ! L’importance des pouvoirs qu’il a, interdit à un président de les exercer sans limite comme l’a montré le départ du Général de Gaulle, pour une majorité bien moindre d’opposants. Mais la cinquième république ne donne aucun recours contre un président qui bloque sciemment la démocratie dont il est censé être le garant.
Le départ d’Emmanuel Macron est donc une exigence légitime. Elle porte en elle non seulement une exaspération populaire générale mais peut être davantage encore le refus du coût terrible pour le pays d’une présidence aussi dégradée.
Loin de s’en effrayer puisque nous ne pouvons plus rien contre le blocage actuel, mieux vaut au contraire y trouver une opportunité extraordinaire. Laquelle ?
Pouvoir définir par nos votes avec cette élection présidentielle anticipé un nouvel ordre global et sortir du néfaste et absurde « en même temps » des macronistes. Quand il faut trancher, et il le faut et d’urgence, entre « oui et non ».
Oui ou non, un nouvel ordre des institutions pour le libérer de la monarchie présidentielle comme tant le réclament désormais, pour une sixième république et faire que plus jamais une seule personne confisque pour le ridicule de ce peuple et de ce pays, tous les pouvoirs.
Oui ou non, un nouvel ordre écologique en tranchant une bonne fois pour reconnaitre ou non la priorité à la planification contre les causes et les conséquences du changement climatique.
Oui ou non, un nouvel ordre économique pour affronter le nouveau système impérial et militaire décidée par les États-Unis face à la France, la Palestine ou la zone Asie Pacifique. Et reconnaitre oui ou non la faillite du modèle qui donne la priorité au seul enrichissement individuel.
Oui ou non, un nouvel ordre fiscal en les privilèges de la fortune et en l’obligeant à contribuer équitablement à l’intérêt du pays.
Oui ou non, à un nouvel ordre humain libéré du racisme, du sexisme, et de la guerre de religion.
Ce nouvel ordre global et les choix clairs exigés dorénavant sont la véritable urgence.
Pas de nouveau bricolage politicien !
Une élection présidentielle anticipée est le seul moyen de respecter la dignité de notre peuple et notre pays. Le moyen de le libérer de son impuissance actuelle. Cette impuissance lui ôte le souffle et l’audace dont il a toujours fait preuve dans les moments d’impasse de son histoire, j’jusqu’aux plus désespérés.
À l’heure ou droite et extrême droite se rapprochent au point de se confondre le plus souvent, nous appelons les partis et les députés signataires du programme du NFP à se ressaisir, et à renoncer aux exclusives contre les insoumis, et à faire le choix du retour au programme qui nous a rendu victorieux en 2024.
En conclusion, avec toute la solennité que nous pouvons par notre présence conjointe ce matin donner à ce que nous avons à dire. Oui, il faut que Macron s’en aille pour que le peuple et le pays soit libéré de l’entrave qu’il représente à sa dignité.
Voilà ce que nous voulions dire ce matin avant qu’il ne prenne sa décision et avec l’espoir de peser sur elle. Nous le disons devant vous faute de pouvoir le lui dire directement, mais en définitive qu’est-ce que cela change puisque ce n’est pas discutable.