Ce samedi de mobilisation « Gilets Jaunes » a été un moment exceptionnel. Il y a eu plus de monde que jamais dans les rues. L’ampleur de cette vague a eu raison pour une bonne part de la violence qu’elle a rendu largement impossible à provoquer. Dans la capitale, l’encadrement du cortège de tête par un service d’ordre reconnaissable à ses foulards blancs a bien aidé. La présence des députés Insoumis au cœur de la nasse mise en place à l’Arc de Triomphe a évité un bouclage définitif. Il aurait mal tourné comme en décembre dernier. Les remerciements des organisateurs à ce sujet montrent que chacun est capable d’apprécier les attitudes utiles. Dans tout le pays, la tendance était à une très forte hausse, ville par ville.Dès lors, cette journée a mis un point final aux calculs du pouvoir qui comptait sur une rentrée à la baisse.
Pourtant, les jours précédents ont été longuement utilisés pour intimider tant et plus. Le harcèlement médiatique contre le mouvement, contre les manifestants, ne s’est pas relâchée un seul jour. Et bien sûr contre « La France Insoumise », dans la mesure où elle soutient ouvertement les Gilets Jaunes. Les insoumis ont donc été en permanence dans l’axe des mitrailleuses médiatiques du Monde à l’hebdomadaire macroniste JDD. On peut donc analyser comme une défaite du pouvoir Macroniste ce bon déroulement de la 9 ème journée de mobilisation et son calme.
La totalité du plan prévu par les stratèges de l’Élysée semble bien avoir coulé corps et biens ce jour-là. Le « grand débat » déjà bien mal emmanché n’en parait que plus artificiel. Son déroulement est condamné à la grosse indifférence et au rejet légitime promis à tous les coups de communication. Au sommet, la perplexité n’est pas possible durablement. La débandade dans les rangs des technocrates devrait donc s’accentuer. Surtout depuis qu’un certain nombre ont pris conscience de la pente autoritaire prise par l’exercice du pouvoir à mesure que ses chefs perdent pied. Car le bilan de la répression est désormais le plus lourd depuis 50 ans. Au soir du 9 janvier il était déjà terrible. 10 morts, 1 700 blessés, dont 82 très grièvement, 12 yeux crevés, 4 mains arrachées, 5 339 gardés à vue, 815 mandats de dépôt, 292 incarcérations, des milliers de suites pénales ! Tout cela est très présent dans l’esprit de ceux qui suivent les évènements. Et cela contribue à tracer une frontière d’affects entre « eux » les responsables de ce bilan, ceux qui n’en ont cure, et un « nous » ample, non seulement celui des victimes mais plus largement tous ceux qui observent avec stupeur ce déchainement de la violence du pouvoir.
Le mouvement Gilets Jaunes est une révolution citoyenne. Comme tous les mouvements de ce type, son issue politique est incertaine. C’est une raison supplémentaire pour s’engager à ses côtés dans le soutien et l’action. À ce moment présent, comment le mouvement peut-il amplifier la mobilisation ? Comment déjouer le piège d’une coupure avec les catégories sociales que la propagande d’affolement médiatique influence ? Il me semble que les initiatives que l’on voit fleurir dans divers secteurs de la société sous forme d’appel de soutien sont une bonne méthode. Elles empêchent la marginalisation que souhaite le pouvoir, son parti et divers comparses du pouvoir.
Ce qui serait décisif, me semble-t-il, ce serait que les confédérations syndicales appellent aux mobilisations du samedi avec les gilets jaunes. Les syndicats solidaires l’ont fait samedi dernier et il me semble que cela a bien aidé le déroulement de la mobilisation. Les syndicats nationaux pourraient finir par se joindre aux marches hebdomadaires notamment dans le cadre d’une nouvelle initiative nationale. Ce serait une bonne mesure d’élargissement mais aussi de protection du mouvement. Sur le terrain, en région, nombreuses sont les villes où cela s’est déjà fait samedi dernier. Je crois que cette tendance va en s’élargissant. Elle pourrait murir dans les prochains jours au fur et a mesure des discussions dans les fédérations syndicales. J’évoque tout cela en pensant à la réplique, pacifique populaire et massive, qui s’organisera sans doute la semaine suivant la manifestation des soutiens de Macron.
Mais au total, ce qui reste après tout cela, c’est évidemment l’impasse dans laquelle le gouvernement et la majorité « La République en Marche » ont enfermé le pays. Pas un jour ils n’auront cessé d’agir comme si la situation se dénouerait toute seule, c’est-à-dire par la lassitude des gilets jaunes. Et du coup, pas un jour sans que leur souci principal n’ait été la manœuvre politicienne qui les occupe depuis le début du quinquennat : absorber la droite et repousser les « Insoumis » hors du champ républicain. Cette double action doit leur permettre au premier tour d’être en tête et au second de jouer le numéro du « Front républicain contre les extrêmes ». On ne peut bien sûr reprocher à une organisation politique d’avoir une tactique. Mais ici on doit peser le prix que coûte l’obsession politicienne dans des évènements de la nature de ceux qui ont lieu.
Rarement le décalage n’aura paru aussi nuisible. Les macronistes veulent alimenter un puits sans fond de haines croisées dans le pays. La campagne visant à faire des Insoumis des ennemis de la République est de cette eau. En quoi cela sent-il si peu que ce soit la République ou l’idée républicaine ? Un arc de force hétéroclite allant de Macron à Hamon en passant par des médias devenus des tracts joue cette partition purement politicienne. Toute cette propagande repose sur l’idée que les gens sont trop bêtes pour voir la manœuvre, trop incultes pour ne pas comprendre. Je doute qu’un tel calcul trouve son public. À part hystériser les secteurs les plus volatils des bons quartiers, tout cela est promis à une déroute d’autant plus dure que les gens se seront instruits et formés politiquement davantage dans cette épreuve.
En toute hypothèse les innombrables réseaux parallèles de circulation de l’information interdisent désormais les manipulations de longue durée dont vivait auparavant le parti médiatique. La capacité de mobiliser nos zones de sympathie se sont élargies à mesure que l’assaut contre les insoumis et les Gilets Jaunes est apparue comme une même offensive. Les macroniens et leurs supplétifs ne nous accusent de trahir la République que parce que nous restons fidèles au peuple. C’est cela le cœur de l’affaire en cours et la frontière entre « eux et nous ».