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Le Pen de six à cinq

En 1995, Jean-Marie Le Pen proposait lors de sa campagne présidentielle la rupture avec la cinquième République et le passage à une sixième République. Cette position officielle du parti a été confirmée lors du congrès suivant du Front national, en 1998. Personne ne s’avisait de dire que cela prouvait une convergence avec la gauche du PS qui demandait la même chose. Depuis, les choses ont changé. Marine Le Pen montre patte blanche pour avoir les faveurs du système. Pendant le mouvement des gilets jaunes, en échange d’être gratifiée sans preuve du bénéfice électoral de la situation, elle s’est comportée comme le rempart loyal du régime. Et c’est nous qu’elle a ciblé à l’unisson de « La République en Marche » et du PS.

En effet, le 7 décembre 2018, alors que sa parole sur les gilets jaunes et leurs revendications était extrêmement rare, elle s’est fendue d’une lettre ouverte dans laquelle elle montre du doigt « certaines personnes qui ont pu se laisser tenter par une remise en cause plus ou moins implicite de nos institutions de la 5ème République ». Une aspiration pour un changement de Constitution est de fait née pendant la mobilisation, convainquant de plus en plus largement. Mais pour la cheffe de l’extrême-droite, « la remise en cause de nos institutions, y compris avec une prétendue 6ème République me parait totalement malvenue ». À ce moment, peu soucieuse de son coup de com’ récent sur des soi-disant convergences, elle m’accusait d’être derrière ce mot d’ordre : « cette revendication fait écho de manière assez grossière au programme politique d’un candidat à la présidentielle ». Il y a un mois et demi, Marine Le Pen, déjà en phase avec Macron, repérait donc plutôt des convergences entre « L’Avenir en commun » et les gilets jaunes.

L’héritière de Montretout ne doit pas passer beaucoup de temps dans la rue ou sur les ronds-points. Sinon, elle réaliserait la centralité de la critique de la monarchie présidentielle. Les « Macron démission » ne sont manifestement pas arrivés jusqu’à ses oreilles. Elle est d’ailleurs contre le droit pour le peuple de révoquer un élu en cours de mandat. Nous le savons car il y a déjà eu un vote sur le sujet à l’Assemblée nationale. Les députés Insoumis avaient proposé, lors de l’étude de la révision constitutionnelle, un amendement pour introduire le référendum révocatoire. Les députés Front National présents ont voté contre. Macron peut leur dire merci. Elle qui se dit pour le référendum d’initiative citoyenne, elle s’est opposée à sa version révocatoire. Toujours grâce à un amendement des Insoumis contre lequel elle a voté, nous savons qu’elle est même opposée à un « RIC constituant ». Quant au référendum pour proposer une loi, les députés FN en ont proposé une version plutôt limitée. Dans le texte qu’ils ont présenté, le Président de la République, peut, s’il considère que la proposition populaire ne correspond pas aux intérêts nationaux, demander au Parlement d’annuler l’organisation d’un référendum. La souveraineté populaire limitée, en somme.

Le débat sur la révision constitutionnelle de Macron a été révélateur. D’abord, l’une des principales propositions du Président, la réduction du nombre de parlementaires, se trouve aussi dans le programme de Le Pen. Ce qui est vrai lorsque c’est Macron qui le dit l’est aussi lorsque c’est elle. Cette mesure faussement dégagiste et vraiment démagogue ne sert qu’à renforcer la monarchie présidentielle. Avec la réforme de Macron, un député représenterait 100 000 électeurs en moyenne. Avec celle de Le Pen, 150 000. Personne en Europe ne fait moins représentatif. Et de nombreux départements, notamment les moins peuplés, se retrouveraient avec un seul député au lieu de deux aujourd’hui. Les citoyens éloignés des centres seraient les premières victimes d’une telle réforme. De fait, les députés n’avaient pas grand-chose à dire sur la révision constitutionnelle si on en juge par le très faible nombre d’amendements qu’ils ont déposés. L’un d’entre eux cependant s’oppose à ce que l’avis du Conseil supérieur de la magistrature soit conforme pour la nomination des procureurs. Une disposition de la réforme Macron assez anecdotique puisque ce conseil est, par sa composition, soumis au pouvoir exécutif. Mais l’exposé des motifs de l’amendement signé par Marine Le Pen est éclairant. Il argumente : « le gouvernement peut avoir besoin de reprendre la main » sur la nomination des procureurs. Le projet du Front national est donc clair : l’instrumentalisation politique de la justice, au profit du gouvernement. Là aussi, ils sont plus proche du macronisme que des Insoumis.

Sur plusieurs dispositions clés de la cinquième République, la position de Marine Le Pen a changé. Au fil du temps, elle se fait la défenseure des pires verrous démocratiques du régime. Ainsi, l’article 49.3 qui permet au gouvernement de faire adopter un texte quand une majorité de députés y sont opposés. En 2015, il fut utilisé par le gouvernement Valls pour faire passer la loi Macron. Elle avait alors parlé de « dérive dictatoriale ». Deux ans plus tard, en janvier 2017, elle déclarait chez Bourdin ne pas vouloir revenir sur cet article. En 2012, son programme présidentiel proposait d’interdire le cumul des mandats pour les parlementaires. En 2017, elle change d’avis : elle est désormais favorable au cumul pour les sénateurs. Il est vrai qu’entre temps, son parti avait pu profiter du système en élisant deux sénateurs qui étaient aussi maires.

Les choses sont claires désormais. Marine Le Pen est pour le statu quo institutionnel. Il faut dire qu’elle aurait du mal à imaginer plus grande verticalité et concentration de pouvoir. Elle se verrait bien monarque à la place du monarque. Le débouché politique qu’elle propose est celui d’une accélération de la dérive autoritaire de la Cinquième. Il est à l’antipode de celui qu’avancent les Insoumis. Nous sommes en effet pour la convocation d’une Assemblée constituante afin que le peuple décide lui-même. Inutile de dire que les évènements actuels fortifient notre position en mettant à l’ordre du jour des ronds-points cette revendication.

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