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L’Europe veut des tribunaux d’arbitrage permanents

Les traités de libre-échange organisent à l’échelle mondiale un rapport de force favorable aux multinationales contre les États et les peuples. L’une des armes dont elles disposent sont les tribunaux d’arbitrage. Ces tribunaux privés ne sont pas composés de juges mais d’arbitres. Il n’y a aucune exigence d’indépendance ni de compétence pour occuper ce poste. Ce sont les mêmes avocats d’affaires qui jouent successivement les rôles de juges ou d’avocast selon les affaires. Ce mode de fonctionnement induit évidemment une corruption généralisée et structurelle. Les tribunaux d’arbitrage sont utilisés par les multinationales pour attaquer les États contre certaines régulations, certaines politiques qu’ils mettent en place et qui dérangent leurs intérêts. Les décisions qui s’y prennent ne se basent pas sur les législations nationales mais uniquement sur les accords bilatéraux en matière de commerce et d’investissements. Ces traités contiennent des dispositions suffisamment floues pour donner aux arbitres une grande marge d’interprétation, et celle-ci fonctionnent rarement en faveur des États. Les accords les plus récents ont même introduit la notion des « attentes légitimes » des investisseurs pour justifier leur droit à la cupidité. Ainsi, au nom de tel ou tel traité, une multinationale peut demander une indemnisation pour les profits futurs qu’elle pensait pouvoir réaliser si telle ou telle législation n’avait pas été introduite.

Fin 2017, on recensait en tout 855 plaintes connues pour un montant moyen d’indemnisation accordée aux multinationales par les États de 454 millions d’euros. Quelques exemples suffisent à se convaincre du rôle néfaste de ces tribunaux pour la justice sociale et environnementale. L’Allemagne a par exemple été condamnée à payer 1 milliard d’euros à une entreprise pour sa décision de sortir de nucléaire. Peu importe que les centrales nucléaires de l’entreprise en question étaient défaillantes. L’Italie est, elle, attaquée par une entreprise pétrolière britannique pour avoir décidé d’interdire l’extraction gazière et pétrolière à moins de 12 milles des côtes pour prévenir les marées noires. Une entreprise minière canadienne demande 16 milliards de dollars à la Colombie, soit 20% de son budget national pour avoir créé un parc national sur une zone de la forêt amazonienne, annulant ainsi un projet de concession de mine d’or. Quand une telle menace plane, certains États préfèrent renoncer avant exécution par peur d’être condamnés. Ainsi, un fournisseur d’énergie suédois a contraint en 2010 la ville de Hambourg à revoir à la baisse ses exigences écologiques pour la construction d’une centrale à charbon, après l’avoir menacé de réclamer 1,4 millions d’euros. Le Canada et la Nouvelle-Zélande ont tous deux ajourné leurs politiques antitabac suite aux menaces des cigarettiers.

L’Union européenne est à la pointe pour imposer à chaque fois qu’elle le peut cette justice privée qui mine la souveraineté des États. Dans le projet de traité avec les États-Unis, le Tafta, de tels mécanismes d’arbitrage étaient prévus. Ils avaient fait l’objet d’une vague d’indignation populaire dans de nombreux États européens suite au travail de décryptage et d’éducation populaire d’associations comme ATTAC. L’homme qui y était le spécialiste du combat contre les traités de libre-échange, Frédéric Viale, est désormais candidat aux élections européennes sur la liste de la France insoumise. Lors de la signature du traité de libre-échange avec le Canada, la Commission européenne a tenté de faire croire qu’il n’y avait pas de tribunal d’arbitrage. En réalité, sous en nom différent, ce traité institue un tribunal permanent d’arbitrage entre les investisseurs et les États. Certes, les juges y seront nommés par les États. Mais le principe vicieux reste le même : les multinationales peuvent s’émanciper des législations nationales pour se référer à la place à un traité négocié par des technocrates non élus et non ratifié par les peuples. Elles ont le droit à une justice d’exception. On pourrait dire que c’est pire puisqu’il est désormais institutionnalisé.

L’Union européenne veut désormais aller plus loin. Son objectif est d’instaurer une cour permanente d’arbitrage au niveau international pour remplacer les mécanismes inscrits dans les traités de libre-échange et graver dans le marbre la pratique. En mars 2018, le Conseil européen a adopté des directives de négociation autorisant la Commission européenne à négocier au nom de l’Union « une convention instituant un tribunal multilatéral chargé du règlement des différends en matière d’investissement ». Elle en a fait la proposition officiellement devant la commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 18 janvier dernier. Cette proposition doit être étudiée du 1er au 5 avril prochain, lors d’une réunion de cette commission. Si elle venait à voir le jour, cette cour serait une arme considérable dans les mains des multinationales pour défaire les lois sociale et environnementales obtenues par les peuples. Les députés européens insoumis que vous enverrez à Strasbourg en votant aux élections européennes se battront contre ce projet. Au contraire, ils défendront l’idée d’un traité international contraignant les multinationales à respecter les droits humains comme la proposition en a été faite par l’Équateur et l’Afrique du Sud et pour laquelle l’Union européenne freine des quatre fers.

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