gilets jaunes 19

La semaine où rien n’a pu démobiliser

Je considère le 19ème épisode des gilets jaunes comme un succès complet. Il y avait une nette augmentation de la participation, de l’aveu même des chiffres du ministère de l’Intérieur. Et cela après une semaine de pilonnage hostile, d’images en boucle du Fouquet’s en flammes et ainsi de suite. Et surtout après la séquence glaçante où le gouvernement a décidé l’emploi de l’armée et où le gouverneur militaire de Paris annonçait que les militaires pourraient ouvrir le feu. Le gouvernement reste donc avec comme seul motif de satisfaction qu’il n’a provoqué aucune escalade de violences. Rien n’a brûlé.

Il peut donc parler d’autre chose que de ce qui est pourtant la seule question qui vaille : que compte-t-il faire devant la permanence de ce mouvement ? Rien. La stratégie du pourrissement continue. Mais ce n’est pas volontaire. La vérité est que le pouvoir ne sait plus quoi faire. En attestent les stratégies contradictoires d’éléments de langage qui ont émaillé la semaine. Après avoir annoncé le recours à l’armée, le gouvernement, interpellé par nous, change de pied, rétropédale et nous accuse de jouer sur les peurs fantasmées. Et cela le jour même où le gouverneur militaire de Paris dit que les militaires de « Sentinelle » pourraient ouvrir le feu. Pendant ce temps, sur les plateaux de télé, des dizaines de spécialistes et d’experts de toutes sortes ont commenté en long en large et en travers cette présence de l’armée. Dans ces conditions, le gouvernement est passé soit pour manipulateur, au mieux, soit pour paumé, au pire.

Puis les bourrins de service ont fait l’après-vente. Les Aurore Berger, Attal et compagnie se sont répandus en indignations surjouées. Mais en le faisant, ils ont surtout involontairement révélé leur état d’esprit et la distance qui les sépare dorénavant de toute réalité populaire. Ainsi quand Attal dit que je souhaiterai « un incident grave » ou « un mort ». Incroyable ! Comme si la vieille dame morte à Marseille, les 2000 blessés, les 22 éborgnés et les 5 mains arrachées n’étaient « rien », comme dirait monsieur Macron. On aurait tort de croire les macronistes perdus tout seuls dans leur tour d’ivoire depuis laquelle le monde où les faits ne comptent pas, ni même la vraisemblance. Toute la caste est dans cet état. L’insurrection citoyenne en cours est un phénomène auxquels ces gens-là, ne sachant plus que faire, n’opposent plus que le déni.

Voyez les médias de l’officialité. L’un d’entre eux, « L’Obs », nous accuse d’être les instigateurs de la mise à l’index de la France par l’ONU. Aucun journaliste présent sur le plateau ne contredit. Le ridicule de l’accusation ne met plus en alerte l’esprit de ces gens-là. Sur la télé d’État, France 2 et les diverses succursales du « service public » gouvernemental, on ne saura rien de notre conférence de presse contre l’appel aux militaires mais on donnera la réponse de la ministre. La grossièreté du procédé ne retient même plus les mains des manipulateurs. Ils sont certains que personne ne s’en rendra compte. Dans La Voix du Nord, journal local bien connu, on accole à Ugo Bernalicis et Adrien Quatennens, députés insoumis du nord, des mots d’ordre comme « tout le monde déteste la police ». Après une heure de télé sur LCI pour moi sur des sujets comme le bilan du 19ème épisode des gilets jaunes, les retraites, et combien d’autres sujets, le militant de veille à l’AFP titre « Mélenchon plus que jamais fasciné par Drouet ». Comme c’est bon, n’est-ce pas, cette presse libre qui aide à réfléchir ?

Sérieusement : la volonté médiatique de nuire parvient à un niveau si élevé et si disqualifiant pour l’honneur professionnel de ceux qui s’y abaissent qu’il faut s’interroger sur son origine réelle. Il ne fait pas de doute pour moi que ces personnes écrivent et parlent « en toute indépendance » et librement. Mais cela ne fait oublier ni leurs privilèges de caste qu’ils défendent contre nous, ni le fait qu’ils ont été sélectionnés politiquement, ni le fait qu’ils pataugent dans leur jus de classe à longueur d’année, sans mettre un seul jour le nez dehors à l’extérieur de leur milieu professionnel ou familial socialement très typé. Ils sont « libres », c’est vrai. Libres d’être d’accord et d’ailleurs ils le sont pour de raisons personnelles très profondes. Ils défendent leurs salaires démesurés (plus de 30 000 euros mensuels pour les principales figures du système médiatique) dont la privation serait une véritable mort sociale sans retour pour eux. Ils défendent leurs privilèges fiscaux. Et ainsi de suite. Leur attitude n’a pas de racines professionnelles mais des ancrages de classe. Bien sûr, comme toutes les catégories de dominants, celle-ci comporte sa propre stratification. En bas la piétaille qui galère sur le terrain pour des payes minables, en haut les bavards qui prennent prétexte des premiers pour mettre en scène le mythe professionnel qu’ils prétendent ensuite incarner.

D’ailleurs l’état d’esprit qui conduit les importants du journalisme à défendre le système en faisant la police de la pensée les mène parfois jusqu’à l’action politique directe. Ainsi quand un journaliste de Challenges, Bruno Roger-Petit, devient porte-parole de l’Élysée et quand un autre du même journal, Gilles Legendre, devient président du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Ou bien comme quand Bernard Guetta, de France Inter, déclare sur un plateau que « ça le tente absolument » d’être candidat sur la liste européenne de LREM et se retrouve 8ème sur la liste de Macron.

On comprend mieux pourquoi l’information consiste donc pour une large part à mettre en scène ce qui convient à la continuité d’un système qui les accueille si bien. Ainsi à propos du recours aux militaires de l’opération sentinelle pour la journée de samedi dernier. En effet, le pouvoir a rétropédalé en catastrophe, alerté par notre conférence de presse et par les remontrances des militaires « derrière le rideau ». Aussitôt, le système médiatique a permis aux macronistes de brouiller les pistes en faisant comme si la question posée était de savoir qui avait raison d’eux ou de nous sur l’usage ou non de l’armée.

Plus loin dans ce post je traite de la conception de l’État que ces méthodes révèlent pour ce qui est du pouvoir politique macroniste. Le bilan en fin de semaine est désastreux. Car si les observateurs superficiels et aveuglés de l’officialité médiatique n’ont rien vu ou rien voulu voir, il en va tout autrement des autorités militaires et administratives concernées. En effet, la même semaine, la hiérarchie de la préfecture de police parisienne a été décapitée et le commandement militaire démenti. Personne ne peut croire que de telles méthodes restent sans suite dans ces milieux. De semaine en semaine, donc, le mouvement populaire se construit, s’instruit et se renforce lui-même et dans l’opinion. Pendant ce temps, les forteresses de l’État à l’abri desquelles le pouvoir pense tout possible se fissurent de tous côtés. Le processus politico-social en cours révèlent une nouveauté radicale dans tous les aspects de son déroulement concret. Il est donc assez amplement imprévisible puisque sans précédent. Mais il n’en contient pas moins un programme dégagiste avéré qui porte en lui une dynamique de révolution citoyenne. On continue à crier jusque dans les cours d’école « Macron démission ». Autour de ce cœur de cible, le reste se construit.

Le dégagisme reste sans limite encore. Tout et tout le monde est visé. Mais cela ne se fait pas sans discernement comme en atteste l’accueil chaleureux que nous recevons partout dans les cortèges de gilets jaunes auxquels nous nous joignons. J’en ai fait l’expérience dans Paris. Je ne suis parti du cortège qu’en raison de la présence de caméras et d’appareils photos qui déclenchaient des réactions dont je ne voulais pas porter la responsabilité. L’essentiel est que sans provocation, la bonhomie populaire a pu s’exprimer et se donner libre cours sans incident. Cela ne rendait que plus spectaculaire la détermination des gens. Tout montre que le retour des beaux jours, loin de la diminuer, l’encourage. Cela même dont la bonne société ne sait que faire.

Et cela dans un contexte de répression où se combinent violences policières et fordisme judiciaire. La main jamais assez dure pour le peuple, la Garde des Sceaux socialiste repentie Nicole Belloubet se réjouit d’un niveau de répression judiciaire sans précédent. En effet, Depuis le 17 novembre, première date de la mobilisation des « gilets jaunes », la justice a prononcé 2.000 condamnations, sur plus de 8.700 gardes à vue, a-t-elle indiqué avec des sourires de joie dans la voix sur le plateau de BFMTV. « Le chiffre qu’il convient de retenir, c’est que 40% sont des peines d’emprisonnement ferme et 60% sont d’autres types de sanction, par exemple des travaux d’intérêt général, des sursis », a-t-elle jubilé. Elle a précisé avec gourmandise que « près de 1.800 » personnes sont encore en attente d’un jugement. Huit cent personnes condamnées à de la prison ferme ! Pourtant la peur ne gagne pas.

En tous cas, un rendez-vous de type nouveau est fixé. Les 5, 6 et 7 avril se tiendra à St Nazaire la deuxième Assemblée des Assemblée citoyennes. La première tenue à Commercy avait été un signal positif à mes yeux, la forme enfin trouvée de la fédération des assemblées de ronds-points.

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