Les insoumis l’ont déjà dit à de nombreuses reprises : le régime a utilisé la pandémie et le confinement pour accélérer son remodelage autoritaire des institutions. Après un mois de déconfinement, la dérive se poursuit. Récemment, des seuils ont été encore franchis. D’abord, il y a cette annonce incroyable : l’exécutif va créer sa propre commission d’enquête sur la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif. Autrement dit, le pouvoir macroniste s’attribue le pouvoir de se contrôler lui même. Il va choisir les « experts » qui diront ce qu’il a réussit ou pas. La présence de l’opposition parlementaire n’est pas prévue. Le rêve de Macron est celui-ci : enfermer le pays dans un dialogue entre lui et les « experts » pour sortir du tableau l’alternative politique.
Cette pratique ne respecte même pas l’équilibre des pouvoirs prévu par la Constitution de la cinquième République. En effet, le texte dispose bien que c’est le Parlement qui est responsable du contrôle de l’exécutif. C’est le moindre des critères qui différencie le régime démocratique de l’autoritaire. Et de fait, les assemblées ont prévu leur commission d’enquête. Celle de l’Assemblée nationale a été installée le 3 juin. Au Sénat, Gérard Larcher a annoncé qu’elle le serait d’ici la fin du mois de juin. Là où LREM a la majorité, à l’Assemblée, leurs députés seront aussi majoritaires dans la commission d’enquête. Mais cela ne suffit pas à l’Élysée apparement. Macron ne veut pas simplement que l’opposition soit minoritaire, il veut l’effacer.
Il y a aussi cette décision du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier sur les ordonnances. À première vue, elle est technique. Pourtant, elle représente une nouvelle rupture dans la perte progressive de tous les pouvoirs du Parlement. Le Conseil a en effet acté qu’une ordonnance non ratifiée par le Parlement pouvait quand même avoir force de loi. Pour rappel, par les ordonnances, le gouvernement dispose déjà du moyen d’écrire la loi en dehors du Parlement. Les députés et sénateurs ne votent que pour habiliter le gouvernement à écrire la loi et pour ratifier à posteriori.
Macron est très friand de cette méthode anormale pour une démocratie parlementaire. Dès le début de son quinquennat, il l’a choisie pour démanteler le code du travail. Depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il a utilisé les ordonnances 55 fois. Par ordonnance, il a augmenté le temps de travail et supprimé le repos dominical dans certains secteurs. Par ordonnance, il a permis aux employeurs de forcer la prise de congés payés et de jours de repos pendant le confinement. Par ordonnance, il a prolongé toutes les détentions provisoires sans jugement. La décision du Conseil constitutionnel ouvre la voie pour une ratification « automatique » des ordonnances. Le Parlement n’aura bientôt même plus le loisir de se prononcer sur que le gouvernement a mis dans la loi.
Ce grand recul démocratique s’incarne dans la loi sur l’état d’urgence sanitaire. Dès sa création, les députés insoumis ont voté contre. Nous avons mis en garde contre la tentation de prolonger l’état d’urgence de manière excessive dans le temps pour finalement le faire rentrer dans le droit commun. C’est ce que nous avons vécu avec l’état d’urgence contre le terrorisme. Là encore, on y va tout droit. L’état d’urgence sanitaire a déjà été prolongé une première fois, jusqu’au 10 juillet. Maintenant, il prétend qu’à cette date, nous en sortirons. Mais il fait quand même voter un projet de loi qui, pour 4 mois, donne prérogative à l’exécutif pour interdire des manifestations, restreindre les rassemblements des personnes et des véhicules, ordonner la fermeture de commerces, etc. C’est une prolongation de l’état d’urgence sans le nom. Sauf que les causes sanitaires disparaissent peu à peu. Le conseil scientifique de l’exécutif dit que l’épidémie est maitrisée. Une à une, toutes les restrictions prises pour contenir l’épidémie sont levées : plus de limite de 100km aux déplacements, réouverture de tous les commerces, des transports publics, des écoles.
Pourquoi alors maintenir les principales mesures de l’état d’urgence ? Dans un entretien donné à Public Sénat, le constitutionnalisée Dominique Rousseau répond à cette question. Pour lui, « la prolongation de l’état d’urgence, alors qu’on va à l’école, alors qu’on a repris le travail, alors qu’on va dans les bars, alors qu’on vote, ne trouve de justification que dans la facilité pour le gouvernement de réprimer les manifestations, de limiter les libertés de réunion et les libertés de manifestation ». L’actualité confirme ce triste constat. Le pouvoir a voulu interdire les manifestations contre le racisme et les violences policières. Il menace maintenant d’interdire celle des soignants. En fin de compte, le « monde d’après » va commencer par une bataille pour conserver et rétablir les libertés publiques.