Ce discours de Jean-Luc Mélenchon a été prononcé le 21 septembre 2012 pour l’anniversaire des 220 ans de la Ière République à l’invitation de la société d’études robespierristes.
Le président du groupe « La France insoumise » à l’Assemblée nationale y raconte la bataille de Valmy, où l’armée du peuple français a vaincu les monarchies coalisées contre la liberté le 20 septembre 1792. Il raconte la pluie qui tombe, la canonnade, et la charge des Français au cri de « Vive la nation ! » qui marqua toute l’Europe.
Jean-Luc Mélenchon raconte aussi comment la nouvelle de la victoire, connue à Paris, provoqua la chute de la monarchie et l’avènement de la Ière République. Il explique aussi pourquoi le combat des révolutionnaires pour la République, la liberté, l’égalité et la fraternité est un combat qui est toujours d’actualité aujourd’hui.
Voici la retranscription de ce discours :
« Nous ne sommes pas venus commémorer ; nous sommes venus célébrer. Nous ne sommes pas venus nous souvenir ; nous sommes venus nous inspirer.
La République nous appelle et cet appel retentit de bien des façons.
D’abord peut-être, à l’évocation des grands moments de notre histoire où l’idée est devenue chère, où l’idée est devenue un être humain ; où l’idée est devenue institution. Et où ce qu’avait pensé Jean-Jacques s’est transformé en une réalité dont la dynamique n’a pas fini d’embraser le monde. Ce 20 septembre à l’aube, tandis que les estafettes font le lien avec nos armées, Paris dort à la veille de la tenue de la Convention nationale. Paris dort et pourtant, il pleut comme aujourd’hui. Il pleut interminablement.
Depuis Juillet, la patrie a été déclarée en danger. Le roi fuyard a été rattrapé, mais c’est partout, les complots, les trahisons. Nous sommes envahis. Les frontières ont été passées. Verdun a été livré par les officiers royalistes, Beaucaire a préféré se suicider plutôt que d’accepter de rendre la place.
Il pleut. Il pleut. Tout semblait perdu. C’est l’heure des caractères.
À Valmy, il pleut. Voilà quinze jours qu’il pleut. « L’Armée d’invasion, dit Michelet, se traîne comme une limace dans la craie de l’est de la France ». À trois heures du matin, les Prussiens ont commencé à se mettre en mouvement pour se tourner du côté de la colline de Valmy où sont les nôtres. Le général Kellermann est arrivé la veille et il a choisi cette position pour tenir en face de l’invasion. Il y a là, Brunschwig, celui qui a occupé Verdun et annoncé qu’il exigeait le retour des nobles de l’Église et de leurs privilèges. Ce qui fut immédiatement entendu et bien compris.
Aussitôt, les paysans gardèrent par-devers eux, toutes les nourritures qui pouvaient servir à l’armée d’occupation et se postèrent tout le long du trajet, attendant l’occasion de faire un mauvais sort à ceux qui venaient régler leurs comptes avec nous. Brunschwig, qui avait adressé à la population de Paris ce manifeste provocateur où il prétendait tirer une vengeance exemplaire, si l’on ne rétablissait pas immédiatement le roi et les nobles dans leurs prérogatives.
Les nôtres, ils sont sur cette colline. Ce sont les fédérés venus d’abord à Paris. Députés bretons qui ont fondé le club des Jacobins, provençaux, Parisiens, membres des gardes nationales, quelques éléments de l’ancienne armée d’Ancien Régime et puis, venus par centaines, les membres des sections parisiennes au point qu’on ne sait où les mettre. On les intercepte en route. On tâche de leur demander de ne pas aller encombrer les files de nos armées.
Il pleut.
À sept heures du matin, les Prussiens émergent de la brume. La canonnade est commencée, elle va durer toute la journée. Les nôtres, ce sont gens simples, artisans, ouvriers, paysans. Ils doivent tenir des heures et des heures ; et il n’y a rien de pire que de tenir en ligne sous la canonnade. Quarante mille boulets vont être tirés ce jour-là.
Il est onze heures. Regardons-nous !
Les troupes révolutionnaires, c’est ce peuple, mais c’est aussi une troupe internationaliste. On compte des Allemands, des Irlandais, des Liégeois dans nos rangs. Il y a un latino-américain. Il est général de nos armées. C’est Miranda qui tient bon sous la mitraille. Il sera ensuite l’un des premiers Libertador avec Simon Bolivar. L’élan commencé sur la colline continue aujourd’hui là-bas, dans les Caraïbes.
Le 20 septembre, à onze heures, l’ennemi se met en colonne et les nôtres de même. Kellermann fait passer la consigne : Il ne faut pas tirer et attendre ; on recevra à la baïonnette. La baïonnette ? Et voilà nos paysans, nos braves artisans, les doigts engourdis par le froid de ce jour qui ne se réchauffe pas, qui installent les baïonnettes à la pointe du fusil. Enfin, si nous sommes internationalistes, en face, il y a 26.000 traîtres à la patrie. Officiers royalistes, émigrés fiscaux et des privilèges de toutes sortes. Toujours les mêmes qui n’ont jamais eu d’autre patrie que leurs privilèges, ni d’autre convictions que leurs préjugés de caste et de classe, contre la liberté du peuple et sa souveraineté.
La canonnade continue et voici le moment décisif. Michelet raconte : « Il y eut un moment de silence. La fumée se dissipait. Les Prussiens étaient descendus et franchissaient l’espace intermédiaire avec la gravité d’une vieille armée et ils allaient monter aux Français. Brunschwig, alors dirigea sa lorgnette et vit un spectacle surprenant, extraordinaire. A l’exemple de Kellermann, tous les Français ayant leurs chapeaux à la pointe des sabres, des épées et des baïonnettes, avaient poussé un grand cri.
Ce cri de trente mille hommes remplissait toute la vallée. C’était comme un cri de joie, mais étonnamment prolongé. Il ne dura guère moins d’un quart d’heure.
Fini, il recommençait toujours avec plus de force. La terre tremblait, c’était : « vive la nation ! ». Toute l’armée des hauteurs du moulin, raconte Jean-Jaurès, jusqu’en bas des pentes, crie : « Vive la nation ! ».
Tout ce qui depuis trois ans, contenait ce mot et avait accumulé en soi d’énergie radieuse se communique à tous les cœurs. C’est fini ! Le cauchemar du passé se dissipait. Et de même que sous l’ébranlement de la canonnade, le ciel de Valmy, d’abord chargé de nuées, s’éclaircit, s’élève et s’illumine. De même, toutes les ombres du doute et de la crainte sont dissipées en un instant. Le ressort de l’armée prussienne est brisé. C’est elle qui bat en retraite pendant que l’artillerie révolutionnaire déchire ses rangs.
Il pleut. Il pleut toujours plus. à six heures, une pluie torrentielle s’abat sur les troupes. Le roi de Prusse fait battre la retraite. Nous avons vaincu. Jaurès raconte : « Goethe, le puissant et clair poète qui avait accompagné l’armée prussienne, marqua tout de suite la grandeur de cet événement. Il dit : « De ce jour et de ce lieu, date une ère nouvelle dans l’histoire du monde. Jaurès complète : « C’était le 20 septembre. Le même jour, à Paris, la Convention nationale avait ouvert sa première séance aux Tuileries. Elle allait voter l’abolition de la royauté.
On apprit la nouvelle de Valmy. On rapporte que lors des travaux et des tribunes, le même cri roula de nouveau : « Vive la nation ! Vive la nation ! ».
De quelle nation parlons-nous là ? La France n’avait pas ses frontières. Sur la colline, les Bretons qui tenaient bon, parlaient entre eux, je l’imagine, dans la peur et l’angoisse, l’une de leurs cinq langues. Les Provençaux devaient parler la belle langue occitane. Ceux de la région parisienne, le Français.
Ainsi, ils ne parlaient pas la même langue ? ils ne juraient pas le même Dieu ? ils n’avaient pas les mêmes unités de mesure ? Car tout cela, c’est la révolution et la liberté qui l’a rendu possible. La nation que nous avons constituée n’a jamais été une nation ethnique. Ce qui fait sens dans la Révolution et dans la République que nous avons créée, ce n’est pas la continuité trompeuse des lieux et des personnages ; c’est la rupture : Le grand bouleversement qui a abattu d’un seul pan tout l’ordre ancien pour créer non seulement un État nouveau, mais, osons le dire, une humanité nouvelle fondée sur la liberté, l’égalité et la fraternité, quelle que soit la langue que l’on parle, quels que soient son genre et la couleur de sa peau. Voilà ce qu’est la République française, une et indivisible. Non du fait de ses frontières, mais de ce seul fait que son peuple est un et indivisible, puisqu’il a partout les mêmes droits et que la loi étant votée par tous, elle s’applique à tous de la même manière, puissants ou misérables. Liberté et égalité, qu’il s’agit de reconquérir.
La République n’a pas fondé le droit du peuple français. La révolution n’a pas été faite pour les Français. Elle a été faite pour des droits humains applicables à toute personne humaine. La République française n’est pas occidentale, elle est aussi universaliste que l’étaient ses premières troupes et qu’elle le reste, alors même qu’elle est présente dans tous les océans du monde et que sa plus longue frontière extérieure par la Guyane est avec le Brésil. La République n’est pas un régime neutre, c’est un régime qui proclame l’égalité, la liberté, la fraternité contre toutes les évidences de la nature et des différences de privilèges liés à la naissance.
Et c’est parce que la France est déchirée d’inégalités, travaillée d’absurde, de xénophobie, de racisme imbécile – mais peut-il y en avoir un autre ? – qu’il faut la refonder, et que ce nouveau grand peuple qui est parmi nous, formé comme chaque fois de la nouvelle génération, doit redéfinir sa règle commune en redéfinissant sa constitution. C’est bien pourquoi, l’histoire de la révolution a toujours été controversée. C’est bien pourquoi, encore aujourd’hui, elle fait l’objet de tant de calomnies. C’est bien pourquoi, encore aujourd’hui, on trouve tant de benêts intéressés, pour aller faire l’apologie du roi, ce traître qui paraissait si banal dans son pouvoir. Lui qui s’intéressait, après les frasques de Louis 15, à la serrurerie et à l’éducation de ses enfants comme tout un chacun. Et la reine si légère, si frivole, qui jouait à la bergère. Ces deux-là conspiraient contre la patrie, appelaient l’invasion pour rétablir leurs privilèges, payaient des parlementaires et des journalistes pour répandre leur complot.
Et c’est après tout cela qu’on trouve encore des films, des livres, des bandes dessinées pour jeter de grosses larmes sur nos oppresseurs, tandis qu’on aurait pour ceux qui nous ont libérés, que des mépris et des caricatures ; à commencer par celles qui sont faites contre Maximilien Robespierre dont nous nous honorons de dire qu’il est un exemple et une source d’inspiration pour nous.
Ce n’est pas pour rien que la révolution a été traînée dans la boue par tous ceux, dans tous les âges, qui avaient pour objectif premier de mettre en cause la liberté et l’égalité.
Ainsi, quand Mussolini dit : » le fascisme s’oppose à toutes les abstractions individualistes à fondement matérialiste. C’est pourquoi, il s’oppose à toutes les utopies et innovations jacobines. Ainsi quand Goebbels dit : « l’an 1789 sera rayé de l’histoire ». Ainsi, quand Jean-François Copé dit : « Il y a en France une tentation de la nuit du 4 août dont il faut se débarrasser ». Ainsi, quand Jean-François Copé dit : « Le ça ira n’est plus d’époque, les temps sont passés ». Ainsi, quand il dit : « La révolution a fait beaucoup de mal et a fracturé la société, elle a désappris aux Français le goût de l’effort ».
Chacun, depuis deux siècles et vingt ans, a choisi son camp. En vain, chercherait-il à faire croire que la révolution est finie ? Elle ne fait que commencer. Aussi longtemps que son œuvre égalitaire n’est pas achevée.
L’intuition révolutionnaire est confirmée. Il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine ; il y a donc un intérêt général humain, comme l’avait proclamé Jean-Jacques Rousseau. Nous n’avons d’autre moyen de le connaître que par notre intelligence. Raison pour laquelle il nous faut être éduqué librement, gratuitement et laïquement. Raison pour laquelle nous devons être égaux, car on ne peut délibérer librement sous la domination d’un autre. Raison pour laquelle il nous faut nous prononcer non pas sur ce que nous croyons bon pour nous-mêmes, ce qui suffit en démocratie, mais pour ce qui est bon pour tous, ce qui est l’exigence de la République.
Célébrez ! Célébrez ! Inspirez-vous !
Penser, comme l’a dit Victor Hugo. Ce qui est le fond de cette affaire.
Célébrer, c’est préparer de grands événements.
Entendez le bruit terrible de la roue de l’histoire qui s’est remise en mouvement quand, dans toute l’Europe, de nouveaux se coalisent contre la liberté et contre la démocratie. Les puissants qui, par des traités ineptes qui seront rechassés au prix de quelle douleur par les peuples, prétendent décider en lieu et place du souverain qui est pour toujours le peuple lui-même. Entendez la grande roue de l’histoire lorsque les privilèges veulent se maintenir de force et que c’est par l’intimidation que l’on condamne nos martyrs, nos frères et nos sœurs grecs, espagnols, portugais ; et que l’on prétend subjuguer la volonté nationale et l’intérêt général, en nous condamnant à renoncer à tout ce qui a fait notre grandeur ; c’est-à-dire, le partage, l’éducation, le soin et tout ce qui avait été pressenti, d’abord par nos libérateurs de 1789, nos armées de 1792, dans la peur et l’angoisse de cette pluie sans fin, sur la colline de Valmy où nous avons vaincu. »