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«L’eau ne devrait pas être l’objet d’une guerre entre actionnaires privés» – Interview dans «Libération»

Cette interview a été publiée dans Libération le vendredi 1er octobre 2020 – Propos recueillis par Rachid Laïreche

Comment observez-vous la bataille violente qui se joue actuellement entre Suez et Veolia, les deux fournisseurs actuels de l’eau ?

Avec beaucoup de gravité. Veolia est la première entreprise privée pour l’eau en France et Suez est la deuxième. Si Veolia réussit à absorber son concurrent, il sera en situation de monopole. Qui en paiera le prix ? Tout le monde car le tarif de l’eau augmentera. C’est la même situation qu’avec la privatisation des autoroutes. Veolia est connu pour être l’une des entreprises les plus généreuses avec ses actionnaires. L’eau ne devrait pas être l’objet d’une guerre entre actionnaires privés pour augmenter leurs profits. J’alerte : l’eau est en train de devenir un produit financier. À la Bourse de New York, il est désormais possible de parier à la hausse ou à la baisse sur le cours de l’eau. En situation de réchauffement climatique, nous allons à la catastrophe si nous appliquons à l’eau les recettes du capitalisme financier. L’eau est un bien commun. Elle ne peut pas être une propriété privée.

Quel doit être le rôle de l’État ?

Il doit être garant de l’intérêt général. Les syndicats nous disent que l’offre de Veolia menace 5 000 emplois dans la branche eau de Suez. L’État ne doit pas l’accepter. Il doit s’opposer à la fusion. Il le peut car il est actionnaire de Suez via Engie. Les savoir-faire, les qualifications doivent absolument être conservés. Il y a tant à faire. Il faut rénover de fond en comble le réseau d’eau. Aujourd’hui, un litre sur cinq est perdu en fuites. Il faut aussi dépolluer. Et protéger sans concession nos ressources en eau potable. L’État doit jouer un rôle actif de planificateur plutôt que de spectateur impuissant.

Les municipalités doivent-elles avoir le choix du fournisseur ?

L’eau est un bien commun de l’humanité. 70 % de la planète est composée d’eau mais seulement 2 % de celle-ci est consommable par les êtres humains. Et sans elle, notre survie est impossible ! Par conséquent, confier l’eau à des multinationales privées est une folie ! Je suis pour la gestion publique, par les communes, de l’eau. C’est déjà le cas pour 70 % d’entre elles. Il faut aller plus loin. Si les insoumis gouvernent le pays, plus une seule goutte d’eau ne sera gérée par le privé.

Est-ce qu’il faut un encadrement strict des tarifs de l’eau?

Oui. Le prix doit correspondre au besoin. C’est pourquoi les premiers mètres cubes indispensables pour boire, se laver, cuisiner doivent être gratuits. Mais certains usages doivent être plus chers. Remplir sa piscine devrait coûter davantage que remplir sa carafe. Aujourd’hui, le prix de l’eau intègre un impôt privé caché : le dividende versé aux actionnaires. Nous le voyons car quand une commune choisit de revenir en régie publique, cela fait toujours baisser le prix de l’eau.

Aujourd’hui, dans certains territoires, comme en Guadeloupe, l’accès à l’eau courante n’est pas toujours possible à cause de la dégradation du réseau. Comment faire pour réparer cette situation ?

La situation dans les outre-mer est inacceptable. Non seulement en Guadeloupe, mais aussi à Mayotte ou en Guyane. Des gens m’écrivent tous les jours pour me décrire le quotidien intenable avec des coupures inopinées. Comment peut-on supporter cela en France ? En Guadeloupe, comme à Mayotte, le réseau est pourri. Il faut tout refaire à neuf. Cela ne peut passer que par une nationalisation, au moins temporaire, des sociétés locales de distribution d’eau.

Il y a d’autres cas où le problème ne vient pas du réseau mais de la sécheresse. Dans le département du Doubs,par exemple, la rivière se vide par endroits…

Je vais dans ce département pour voir cela de mes propres yeux. Cela paraît incroyable mais ça n’est plus extraordinaire. Cela fait trois ans de suite que cela arrive. Cet été, des restrictions dans l’usage de l’eau ont dû être prises dans 78 départements. Le réchauffement climatique est là. Nous devons nous adapter en bifurquant radicalement. Il faut arrêter la bétonisation à outrance car elle empêche les réservoirs naturels d’eau de se remplir et favorise les inondations en cas de fortes pluies. Nous devons aussi repenser notre modèle agricole en lien avec la protection de nos rivières et nos nappes phréatiques. De manière générale, nous devons nous réapproprier le cycle de l’eau. C’est le défi de notre siècle.

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