Les radars médiatiques sont-ils une nouvelle fois en panne ? Vous n’aurez donc rien su de l’entrée en vigueur du Traité d’Interdiction des Armements Nucléaires (TIAN) le 22 janvier dernier. Pourtant le sujet du nucléaire militaire est de la plus haute importance. En effet, il en va de notre sécurité collective. Nous sommes une puissance nucléaire. Rien de ce qui se passe sur le sujet ne peut nous laisser indifférents. D’autant plus dans le climat géopolitique actuel. La grande déflagration économique qui murit dans les sociétés voit aussi se superposer les conséquences politiques des mouvements de population et les compétitions entre les États pour l’accès à l’eau, en lien avec le réchauffement climatique. L’ambiance générale n’est pas à l’apaisement.
Pour comprendre l’importance du sujet, il faut revenir aux origines de la diplomatie internationale en la matière d’armes nucléaires. Le premier traité de la régulation internationale en la matière date de 1970. Il s’agit du Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires. Il a octroyé le droit aux pays déjà dotés de l’arme nucléaire avant janvier 1967 de la détenir légalement. Cependant, il ne disait rien du droit à propos de leur emploi. Ce régime de privilège bénéficie notamment aux États-Unis, à la Russie, au Royaume-Uni, à la Chine et à la France. D’autres pays comme Israël, l’Inde et le Pakistan sont des puissances nucléaires officieuses sans être signataires du traité. Tous les autres se sont vu interdire le développement d’une telle arme.
Ce premier traité comprend deux contreparties quand un pays renonce à se doter de l’arme nucléaire. D’une part, il prévoit des négociations en vue de parvenir à un arrêt de la course aux armements nucléaires, et à terme à un désarmement général sous contrôle international. D’autre part, il implique de favoriser la coopération pour l’accès à l’énergie nucléaire à usage civil pour tout pays demandeur. Plus tard, il a été complété par l’engagement des puissances nucléaires à ne pas attaquer avec leurs armes atomiques des pays signataires qui n’en seraient pas dotés. Il a été définitivement adopté en 1995, à l’unanimité des pays signataires.
Pour autant, ce traité est aujourd’hui moribond. Dans les faits, le désarmement nucléaire est au point mort. On recense environ 14 000 armes nucléaires dans le monde, dont 2000 en état d’alerte opérationnelle. C’est-à-dire de quoi annihiler 100 fois la planète. Cinquante ans après la signature de ce traité, 50% de la population mondiale vit dans des pays détenteurs d’armes nucléaires ou membres d’alliances nucléaires.
Ces dernières années, les puissances atomiques ont lancé des plans de modernisation de leurs arsenaux. Cette course aux armements bloque mécaniquement toute perspective de non-prolifération. En effet, on peut comprendre que des puissances non nucléaires puissent mal supporter l’injonction à ne pas se doter de ces armes. Et encore plus si l’on interdit le nucléaire civil quand cette interdiction est formulée par des puissances nucléaires qui ne tiennent pas leurs propres engagements en matière de désarmement. Ainsi dans le cas USA versus Iran.
La France est loin d’être exemplaire. Les choses commençaient fort mal puisque nous sommes signataires du premier traité mais ne le respectons pas. Sous couvert d’un soutien officiel au Traité de non-prolifération (TNP), dont nous sommes membres depuis 1992, les gouvernements successifs ont commis de graves entorses à son contenu. L’article 6 de ce premier traité prévoit en effet que « chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».
Or, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de réaffirmer la puissance nucléaire militaire française. La dernière Loi de Programmation Militaire prévoit la « modernisation » de son arsenal à hauteur de 37 milliards d’euros sur 10 ans. Il a également prôné l’élargissement du parapluie nucléaire français à toute l’union Européenne. Cela implique une logique de développement des armes nucléaires. Notons aussi d’ailleurs comment vouloir partager une clé de notre souveraineté avec des pays ayant des intérêts divergents est aussi une hallucination dangereuse. D’autant que Macron s’est montré favorable à élargir la dissuasion nucléaire à « toute forme d’attaque », y compris celles qui ne seraient pas nucléaires. C’est une perspective contraire à l’esprit du traité de non-prolifération. C’est simple, tout est dans le titre.
L’ambiance générale mondiale a motivé la majorité des pays de la planète à adopter en juillet 2017, à l’Assemblée générale de l’ONU, un Traité d’interdiction des Armes Nucléaires. Ce traité est donc entré en vigueur le 22 janvier 2021. Ce nouveau traité introduit une norme d’interdiction totale des armes nucléaires. Il les rend illégales, qu’il s’agisse de leur fabrication, de leur possession, ou encore de la menace de leur utilisation. En clair, il condamne toute stratégie de dissuasion nucléaire.
Ce nouveau traité multilatéral est perçu par les cinquante pays l’ayant ratifié comme un moyen de faire pression sur les puissances nucléaires afin de remettre le désarmement au cœur de l’agenda. Pourtant, aucun pays doté de la puissance nucléaire ne l’a ratifié. Pire, le gouvernement français a tout fait pour l’empêcher de voir le jour. Il a boycotté les réunions onusiennes et exercé des pressions sur certains des futurs pays signataires. Le Drian est allé jusqu’à déclarer que « sur ce sujet, la politique de l’incantation confine à l’irresponsabilité. »
Je crois au contraire qu’il faut prendre le sujet, et ceux qui le portent, au sérieux. Cet accord est le résultat des efforts d’organisations notamment regroupées au sein de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN). Cette initiative a été lauréate du prix Nobel de la paix 2017. Nous les avons reçus à l’Assemblée nationale au mois de février 2020.
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Certes, la dissuasion reste pour la France un outil irremplaçable aussi longtemps qu’il n’y a pas d’alternatives militaires. Et aussi longtemps que la capacité de voir ce système détruit depuis l’espace n’existe pas. Pour autant, je ne partage pas la manière dont le gouvernement français a affronté ce traité. En effet, la France aurait dû saisir l’opportunité de relancer une dynamique de désarmement nucléaire multilatéral. Évidemment, dans le contexte actuel la dissuasion ne saurait être abandonnée du jour au lendemain de manière unilatérale. Il ne peut pas être question de demander aux Français de désarmer les premiers. Il faudrait que ce soient ceux qui ont le plus d’armes nucléaires qui commencent, c’est-à-dire les États-Unis et la Russie.
L’arme nucléaire implique la souveraineté des pays qui s’en dotent. Mais son usage éventuel menacerait la terre entière. Il y a donc un droit universel à intervenir sur ce sujet. Dans ce cadre, la France peut jouer un rôle central à l’ONU en montrant la voie. Elle pourrait se placer en médiatrice entre les puissances, en force indépendante et exemplaire au service du droit international. Avec nous, la diplomatie s’appuierait sur tous ceux qui, dans le monde, sont d’accord pour exiger le désarmement nucléaire. Cette perspective est autrement plus conséquente que la fuite en avant gesticulante du gouvernement.