Le jeudi 14 janvier 2022, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la proposition de résolution portée par le groupe de la France Insoumise pour la reconnaissance de l’endométriose comme affection de longue durée. C’est une maladie gynécologique chronique liée à la présence anormale de tissus semblables à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus. Cela peut entrainer de très fortes douleurs physiques chez les femmes qui en sont victimes et même une invalidité au quotidien dans un tiers des cas. La reconnaissance de cette maladie comme affection de longue durée est donc une victoire pour toutes les femmes qui sont touchées par cette maladie, mais aussi pour toute la société. Clémentine Autain, députée insoumise, portait la parole de son groupe sur le sujet. Voici la retranscription de son discours.
Pour Salomé, c’est subir des douleurs neuropathiques et utiliser des sondes urinaires parce que sa vessie ne fonctionne plus.
Pour Sonia, c’est un corps qui ne supporte plus sa posture de travail et lui a imposé une reconversion. À 45 ans, alors qu’elle est experte dans son domaine, elle fait des stages, mais tout l’épuise. Pôle emploi ne l’indemnise plus. Et pour atténuer la douleur et sortir de son lit, elle est obligée de dépenser des sommes considérables.
Pour Élodie, c’est ne pas pouvoir jouer avec sa fille de 7 ans, parce que son corps ressemble à celui d’une personne de 80 ans. À plusieurs reprises, elle a demandé une invalidité auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), laquelle lui a été refusée car, selon le médecin-conseil, sa maladie n’est pas assez grave ni handicapante.
Pour Priscilla, c’est aussi entendre qu’à 24 ans elle doit arrêter de travailler, qu’elle est en invalidité et que sa priorité, comme son quotidien, sont devenus sa santé, ses soins, ses rendez-vous médicaux, ses traitements. C’est faire neuf cures de kétamine et subir huit opérations chirurgicales en l’espace de quatre ans, pour finalement recevoir l’implantation d’un corps étranger : un neuromodulateur médullaire qui envoie des impulsions électriques empêchant les signaux de douleur d’atteindre le cerveau.
Cette maladie, c’est l’endométriose. Elle correspond au développement de la muqueuse utérine qu’est l’endomètre, lequel se dissémine en dehors de l’utérus pour venir toucher d’autres organes. Les souffrances sont nombreuses et peuvent considérablement varier d’une femme à l’autre. Certaines sont pliées en quatre pendant plusieurs jours durant leurs règles. D’autres – ou les mêmes – connaissent des troubles digestifs, éprouvent une fatigue chronique, souffrent de douleurs lombaires, et j’en passe.
Cette diversité des symptômes joue pour beaucoup dans la difficulté à diagnostiquer la maladie et dans la sous-évaluation du nombre de malades. Nous savons aujourd’hui qu’au moins – peut-être même plus – une femme sur dix est atteinte d’endométriose dans notre pays et à travers le monde.
L’endométriose est donc un continent caché, tant par notre méconnaissance que par le nombre de femmes qui en sont victimes. Elle est en réalité si répandue que chacun ici connaît forcément une femme qui se bat contre cette maladie et forcément certaines d’entre vous, dans cet hémicycle, en souffrent. Encore faut-il le savoir étant donné que l’on compte en moyenne sept années d’errance médicale avant que l’endométriose ne soit diagnostiquée, avec toutes les conséquences que cela implique sur la gravité de ces symptômes. Il s’agit d’une maladie incurable et évolutive sur laquelle les traitements n’agissent que partiellement. Elle est multifactorielle et, je tiens à le rappeler car on ne l’entend pas assez souvent, elle se développe parfois à la suite de violences sexuelles, de manière psychosomatique.
Cette maladie est connue des scientifiques depuis le XIXe siècle, mais il aura fallu du temps pour commencer à la reconnaître. Combien de femmes se sont-elles vu répondre, quand elles se confiaient sur cette maladie, et alors que cela n’a rien d’évident dans la mesure où cela touche à l’intime et au sujet malheureusement encore tabou des menstruations : « c’est dans ta tête », « tu es toujours fatiguée », ou encore « c’est normal d’avoir mal quand on a ses règles » ?
Ces petites phrases culpabilisantes disent le déni de la maladie et ajoutent à la douleur de l’endométriose celle du mépris et de la condescendance. Si l’intensité des souffrances varie énormément d’une patiente à l’autre, allant de douleurs pendant deux jours par mois à l’invalidité totale, il est acquis que cette maladie est invalidante pour 80 % des femmes touchées et à l’origine de problèmes de fertilité pour 40 % d’entre elles. Ces chiffres donnent à voir l’urgence d’un accompagnement institutionnel conséquent et protecteur pour toutes celles qui vivent ce calvaire.
Il aura fallu attendre 2020 pour que la maladie soit intégrée au programme des études de médecine. Mes chers collègues, n’attendons pas davantage pour qu’elle le soit à la liste des affections de longue durée (ALD), c’est ce que nous demandons avec cette proposition de résolution.
Je ne souhaite pas polémiquer sur les annonces faites par le Président de la République il y a deux jours, parce que d’abord je me félicite que notre proposition de résolution ait résonné jusqu’au sommet de l’État. Je note simplement que les annonces d’Emmanuel Macron en 2017 déjà n’ont pas été suivies de mesures concrètes, que le plan qui vient d’être annoncé n’est assorti d’aucun calendrier ni de budget.
Or l’urgence nous oblige et la parole, la communication, pour importante qu’elle soit dans le processus de reconnaissance de la maladie, ne suffira pas. C’est pourquoi je souhaite ardemment un vote à l’unanimité aujourd’hui dans notre hémicycle.
Bien sûr monsieur le ministre, il faut faire des efforts pour développer la recherche thérapeutique, qui est complètement sous-dotée et bien souvent financée par les associations de malades elles-mêmes. Et si l’endométriose doit faire l’objet d’une stratégie nationale à la mesure de l’urgence médicale constatée – j’en suis totalement d’accord –, on ne peut continuer à faire l’impasse sur la reconnaissance institutionnelle et sur l’accompagnement des victimes. De ce point de vue, l’entrée de l’endométriose dans la liste ALD 30 est la clé : c’est ce que demande aujourd’hui l’essentiel des associations et des femmes qui en sont victimes.
Il faut en effet se rendre compte que les femmes souffrant d’endométriose doivent actuellement traverser un véritable parcours de la combattante, d’abord pour se faire diagnostiquer – je le disais tout à l’heure –, puis pour faire reconnaître leurs droits. La réalité, mes chers collègues, c’est que 82 % des femmes interrogées sont réticentes à demander des arrêts maladie à leur médecin pendant les crises, notamment en raison de la perte de salaire induite par les jours de carence.
Et 36 % des patientes déclarent se rendre au travail malgré des symptômes qu’elles estiment incapacitants. En 2018, ce sont seulement 4 500 femmes atteintes d’endométriose – sur des millions, vous m’avez comprise – qui sont parvenues à faire reconnaître leurs droits à l’ALD, et ce, selon des critères assez opaques et avec de grandes disparités suivant les territoires et la sensibilité du médecin traitant. Alors ma question c’est que deviennent toutes les autres patientes ? Celles qui vont jusqu’à s’évanouir sous l’effet des douleurs liées à la maladie. Celles qui sont prises à la gorge par l’engagement financier de leurs soins, lequel, je l’ai dit, peut être considérable. Celles qui, faute de pouvoir prendre des arrêts maladie, sont obligées de ravaler leurs souffrances et de porter un masque de sourire en allant travailler et jusqu’à la fin de la journée.
Je refuse catégoriquement de me ranger derrière l’idée que le vrai et seul sujet serait la recherche, même si, comme je l’ai dit, c’est un sujet important. L’endométriose doit être combattue sur tous les fronts et cela suppose que nous agissions fermement sur ce dont nous avons la maîtrise. Or, aujourd’hui, mes chers collègues, en ce jeudi 13 janvier 2022, nous pouvons créer un plancher de droits pour les femmes victimes de cette maladie, en engageant le gouvernement dans la voie de la reconnaissance institutionnelle.
Nous pouvons affirmer que les annonces doivent se traduire au plus vite dans la réalité. Nous pouvons engager le Gouvernement sur une mesure simple qui aura un effet cliquet immédiat. Une jeune femme atteinte de la maladie que je connais et que je salue me disait il y a quelques jours, elle utilisait cette expression: « ça pourrait faire un effet boule de neige vertueux qui changera le quotidien de tant de malades. »
Notre proposition de résolution permet l’entrée de l’endométriose dans le marbre des affections de longue durée, en l’occurrence des ALD 30. Concrètement, cette nouvelle réglementation permettra d’ouvrir le droit à une prise en charge des soins à 100%, à des arrêts maladie, ainsi qu’à des possibilités d’aménager son temps de travail.
Or, actuellement, les patientes doivent effectuer une démarche spécifique auprès de leur médecin traitant pour espérer le remboursement de leurs soins, sans aucune certitude de l’obtenir. Pour les femmes mal rémunérées, les plus précaires et les plus pauvres, les choses sont évidemment encore plus difficiles à vivre. C’est pourquoi cette systématisation de l’entrée de l’endométriose dans l’ALD 30, c’est aussi une question d’égalité et de justice sociale parce qu’en l’état actuel de la réglementation, cette maladie peut en effet être un facteur supplémentaire de précarisation.
Pour aider les femmes à mieux vivre ce calvaire, je crois qu’il faut vraiment cette réforme. Je vous le dis avec solennité et avec une certaine émotion également : nous pouvons changer la donne face à l’endométriose en donnant à toutes les femmes qui la subissent des droits pour mieux vivre. Nous pouvons faire en sorte que l’administration ne soit plus un obstacle, mais une alliée. Mes chers collègues, c’est un enjeu dépasse les clivages politiques.
Cette proposition de résolution, défendue par l’association ENDOmind, a déjà recueilli le soutien de 300 parlementaires, et aujourd’hui nous savons que 91 % des Français sont favorables à cette mesure. C’est dans cet esprit de concorde qu’au nom de mon groupe je la défends devant vous. Ce pas en avant, que l’urgence, les associations, les victimes et leurs proches nous poussent à faire, il est un bond de géant pour des millions de femmes. Ce n’est qu’à elles – je le crois – que nous devons penser au moment où nous allons voter, en conscience, je suis sûre que chacune et chacun d’entre vous y pensera, parce que c’est à elles que nous devons, cette réforme, urgemment.
Je vous remercie.