Jadot et l’Europe : un programme à la loupe

Une fois n’est pas coutume. Je me félicite des évolutions de Yannick Jadot dans notre direction : protectionnisme, relocalisation, nationalisation ! Un vocabulaire plutôt inhabituel auparavant. Les drapeaux français ont même fait leur apparition dans ses réunions. Ce n’est pas tout. Sur les questions européennes aussi, Yannick Jadot fait son chemin. Tout ce qui nous rapproche est utile tout en sachant parfaitement bien ce qui nous sépare. Mais ces évolutions facilitent ce que nous aurons à faire en cas de deuxième tour. Inutile de creuser les fossés ! Et l’évidence est que Jadot évolue. La lecture de son programme en dit long.

Voyons ces propositions convergentes avec celles de « L’Avenir en Commun ». Il veut renforcer les droits des travailleurs des plateformes. C’est un combat de haute lutte mené par la députée insoumise Leïla Chaibi. Il compte renforcer le devoir de vigilance des multinationales. C’est un renfort bienvenu aux côtés de la députée insoumise Manon Aubry à l’origine d’une proposition de loi en ce sens au Parlement européen.

Mais une différence claire et pas des moindres demeure entre nous. En effet, de son côté, les engagements s’enchaînent : «nous ferons», « nous instaurerons », « nous proposerons », « nous renforcerons », « nous renégocierons ». Oui mais comment ? Yannick Jadot assume son projet : celui d’une « Europe fédérale ». Il a le droit. Les gens doivent savoir pour quoi ils votent. Mais cela veut dire également qu’aussi longtemps qu’une telle Europe fédérale n’existe pas, tous ces engagements sont remis.

Y a-t-il un moyen terme avant cette Europe fédérale ? Pourquoi pas. Mais il ne le décrit pas. Il ne dit pas comment il compte s’y prendre pour obtenir les changements qu’il réclame. Tout au plus explique-t-il avoir recours à des « coopérations renforcées ». Lesquelles ? On ne sait pas. Comment faire si les autres États refusent de soutenir ses propositions ? On ne sait pas. Il compte passer à la majorité qualifiée pour « certaines décisions ». Mais sans préciser lesquelles. Mais qu’il s’agisse de « coopération renforcées » ou de « majorité qualifiée » nous parlons de procédures qui existent déjà et sont parfaitement codifiées. À supposer qu’il surmonte toutes les difficultés que ces procédures contiennent, que se passe-t-il si les résultats ne sont pas acceptés par les autres États, ou par une partie de ceux qui seraient entrés dans de telles coopérations renforcées ? À ce moment, notre méthode ne pourrait-elle convenir efficacement : la désobéissance aux traités, l’« opt-out ». Autrement dit, si nous étions alliés dans un même gouvernement, nous ne leur demanderions pas de renoncer à leur activité pour l’Europe fédérale. Nous le ferions d’autant plus facilement que nous ne croyons pas un instant qu’il existera des partenaires majoritaires pour un tel projet en Europe. Mais pour l’immédiat qu’est ce qui empêche Yannick Jadot d’adhérer à notre stratégie ? Je la résume : le programme voté par les Français s’applique quoi qu’en dise la Commission et les partenaires, et tout désaccords avec eux se règlera par l’« opt-out ».   

À moyen-terme seulement, il prévoit de proposer que se mette en place une « Convention constituante européenne » destinée à réformer les traités. Pourquoi pas. On peut se demander si on trouvera une majorité d’État pour l’accepter. Je ne le crois pas. Mais le projet proposé par Jadot reste limité au renforcement du rôle du Parlement et à la fin du pacte de stabilité. Soit. Mais le reste des traités convient-t-il à Yannick Jadot ? Que fait-il de ceux qui interdisent l’harmonisation sociale ou fiscale par le haut ? La question doit être posée. Car c’est une chose de négocier entre États. C’en est une autre d’entrer en confrontation avec la Commission européenne sur les sujets réglés par les traités qui lui en donnent l’autorité.

Le candidat EELV le sait mieux que d’autres compte tenu de sa longue expérience d’euro-député : il formule des propositions de rupture avec la logique de marché et les dogmes absurdes de l’Union européenne. Or, ces propositions sont incompatibles avec les traités européens. Exemple : comme nous et les communistes, il compte renationaliser EDF. Cela est contraire aux directives de libéralisation de l’énergie et aux principes du marché unique européen. Il veut parvenir au 100% bio et local à la cantine. Mais les règles européennes en matière de concurrence interdisent de favoriser des produits nationaux et locaux. Tout protectionnisme est impossible dans ce cadre.

Ce n’est pas fini. Il veut mettre fin au pacte de stabilité et de croissance pour pouvoir investir dans la transition écologique. C’est impossible sans remettre en cause la fameuse règle austéritaire dite des 3%. Il compte aussi lutter contre le dumping social entre les pays européen ou encore imposer un moratoire sur les nouveaux accords de libre-échange. Cela signifie contester le fondement même des traités européens qui consacre le libre-échange, y compris entre les États-membres.

Son programme ne contient aucune analyse de ces blocages. Yannick Jadot ne propose aucune méthode pour surmonter le désaccord avec les partenaires. Le rapport de force est pourtant nécessaire. Est-il prêt à rendre conditionnelle la participation française au budget européen ? À recourir à son droit de véto ? À constituer des minorités de blocage ? Désobéir unilatéralement ? On ne sait pas. Ou bien il a une botte secrète, ou bien il n’y a pas pensé. Reste que l’ensemble de ses propositions resteront des vœux pieux sans une stratégie de confrontation. D’elle dépend de se donner les moyens de remettre en cause les règles européennes actuelles.

Si je suis élu, notre programme s’appliquera d’un bout à l’autre. Nous avons établi une stratégie européenne pour cela. Le plan publié en janvier 2022 précise les moyens de sa mise en oeuvre. Notre méthode est simple. Elle implique la construction d’un rapport de force et des mesures unilatérales de désobéissance. L’« opt-out » est déjà monnaie courante en Europe. 6 pays n’ont pas l’euro, 6 autres ne sont pas dans l’OTAN. La France peut trouver avec les pays de l’Europe du Sud un diapason commun sur un programme de non-régression écologique et de progrès social.

J’achève par un mot sur les questions de défense. J’ai présenté mon programme à des journalistes spécialisés il y a quelques jours. Les autres feront-ils preuve de la même clarté ? Encore faut-il qu’ils aient un programme à présenter. Les trois petits paragraphes dans le programme de Yannick Jadot sont suffisamment instructifs par leur modestie même pour s’en faire un avis.

Ainsi, il souhaite une « Europe de la Défense » composée d’une force commune de 5000 hommes à la « capacité d’intervention commune renforcée ». Il propose aussi « l’harmonisation des équipements des armées européennes ». Sait-il ce que cela veut dire dans le monde d’aujourd’hui ? Oui bien sûr il le sait. Cela veut dire acheter « sur étagère » aux USA. Ou bien faut-il comprendre que Yannick Jadot approuve les projets d’avion et de char du futur avec l’Allemagne ? C’est-à-dire renoncer à l’autonomie d’armement de la France et le pillage des savoir-faire français ?

Rappelons que la défense est une compétence des États. C’est la garantie de leur souveraineté. Il n’y aura donc pas de défense européenne, aussi longtemps qu’il n’y pas une souveraineté unique, celle d’un hypothétique « peuple européen unique ». Surtout, dans quel but ? Le programme de Yannick Jadot précise : « pour rééquilibrer le partenariat transatlantique ». Or, les Américains n’ont pas de partenaires. Ils n’ont que des vassaux. Sans sortie de l’OTAN, toute armée européenne ne sert qu’en supplétif de l’armée USA et au service de sa guerre froide. Non merci.

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