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Le bruit, le silence, la nuit, la lumière

À Toulouse, dans mon discours place du Capitole, j’ai engagé une digression imprévue sur le bruit, le silence, la lumière et la nuit. Ce moment mijotait en moi depuis quelque temps déjà et j’avais des fiches sur le sujet qui attendaient leur tour dans ma pile. Le premier contact avec le sujet m’est venu par Mathilde Panot un jour où nous bavardions. Je lui racontais une visite à la fondation Cartier qui portait sur le bruit et ses effets dans la nature pour les animaux qui s’y trouvent. Elle souleva le problème comparable de l’absence de nuit noire pour les animaux des alentours des villes et pour les êtres humains. Je crois me souvenir qu’il y avait sur ce sujet une tribune ou bien une action qui était remontée jusqu’à notre groupe au Parlement.  

« Quel est ce monde ? Savez-vous que le quart de l’humanité ne sait plus ce qu’est la nuit ? » ai-je lancé. Car un quart de la surface terrestre est éclairée en permanence artificiellement. Ce n’est pas un petit changement culturel. « Aux premiers âges les premiers groupes humains ont acquis dans la nuit la possibilité de tirer des leçons de ce qu’ils observaient dans le ciel. Ils en déduisirent à partir de là des conclusions mathématiques et de sciences. Ces conclusions permirent à l’humanité de cesser d’être ces petites troupes errantes sans futur maitrisé, craignant le changement des saisons et ne sachant à quel moment semer ou récolter sans la peur de tout perdre ». La nuit est de longue date un livre ouvert sur l’univers ou sont écrites les correspondances utiles et souvent nécessaires entre les cycles utiles à l’être humain et ceux de la nature. 

Au demeurant, le cycle du jour et de la nuit est celui sur lesquels se règlent les horloges internes des êtres humains comme des animaux. Cela dérègle donc tout le vivant dans toute sortes d’aspect. Cela perturbe la pollinisation, décale la fleuraison, brouille les déplacements des oiseaux et des tortues de mer. Les humains ne sont pas moins atteints. La perturbation du cycle peut entraîner aussi bien des troubles de la croissance ou de l’apprentissage chez les enfants. Mais aussi du stress et de l’anxiété, de la perte d’appétit. J’ai lu aussi qu’on pouvait craindre un accroissement des risques de cancer et de diabète mais je ne me souviens plus comment le fait se démontrait.

Ne croyez pas qu’il s’agisse d’un pur phénomène en dehors du temps social et des dominations qui le structurent. Ni même qu’il s’agisse des seuls 4 millions de salariés qui travaillent la nuit. Le phénomène est plus global, plus profond plus généralisé. Depuis le début du vingtième siècle, le temps de sommeil moyen est passé de 10h à 6,5h. C’est là une nouvelle foi une illustration de la façon dont les rythmes et le temps deviennent des réalités sociales dans la civilisation humaine.

Un état des lieux comparable peut être établi à propos du bruit et du silence. Savez-vous que le bruit, oui, le bruit, est la première des causes de perturbations psychologiques et physiques, avant même, dans certains endroits, la pollution de l’air ? Savez-vous que l’envahissement par le bruit humain, de toutes les fréquences, empêche dans la nature les animaux d’occuper la fréquence qui correspond à leur cri d’appel ou d’alarme ? Tant et si bien que le bruit participe aussi directement à l’extinction des espèces et à la destruction de la biodiversité que l’air pourri ou que les eaux pourries ! Selon un rapport de l’Ademe paru en juillet 2021, 25 millions de Français sont exposés à des niveaux sonores nocifs. C’est là 35% de la population ! Evidemment la cause est dans les rapports sociaux de production. Les deux-tiers des dommages sont induits par le bruit des transports, dont 75% liés au transport routier, eux-mêmes résultant de la généralisation du système de gestion à flux tendus. Et 9% sont des bruits liés à l’aérien. À partir de 56 décibels, chaque augmentation d’exposition de 10 décibels se traduit par une hausse de 30% du risque d’infarctus (étude danoise d’avril 2021). Une données qui se lit autrement quand on sait que notre pays compte 630 000 malades atteints de problèmes cardio-vasculaires. Et que les troubles du sommeil liés à la surexposition au bruit concernent 4 millions de Français !

Dès lors, comme d’habitude on peut poser le problème du prix du malheur, c’est-à-dire le prix du bruit en France. Il est estimé à 155,7 milliards d’euros par an. Un chiffre à comparer à celui du coût du tabagisme qui est, lui, de 120 milliards d’euros par an, soit 35 milliards de moins. Le contraire du bruit, le silence, est alors devenu un bien si prodigieusement rare ! 87 % des Français considèrent que le silence est devenu un privilège dont peu de personnes peuvent bénéficier (OpinionWay, janvier 2020). Ils ne se trompent pas sur l’intuition qu’un fait de classe se cache une fois de plus dans les chiffres. La moitié des Zones Urbaines Sensibles (quartiers identifiés comme subissant des inégalités sociales et liée à l’emploi) sont concernées par un « point noir bruit », c’est-à-dire une exposition sonore supérieure aux valeurs réglementaires (rapport du Conseil Economique, Social et environnemental, 2015). Le bruit est la première cause de pollution mentionnée par les habitants des quartiers pauvres. 50% s’en plaignent, contre 25% des quartiers résidentiels non prioritaires (Insee, 2018). 88% des ouvriers sont exposés au bruit contre 82% des cadres (enquête Ifop, 2016) La perturbation touche tous les aspects de la réalité sociale. De l’apprentissage à la production. 1 million de jeunes en difficulté d’apprentissage à cause du bruit. 1 actif sur 5 perd plus de 30 minutes de travail à cause du bruit, pour un coût annuel de 23 milliards d’euros (étude Ifop 2016).

C’est pourquoi on peut présenter un plan de propositions pour un droit au silence. En France, 1637 communes dont 45 grandes villes sont déjà concernées par des plans de réduction du bruit en application d’une directive européenne de 2002. Les normes existent et on peut les opposer à toutes les situations connues. Ici il s’agit seulement de respecter les préconisations de l’OMS concernant les seuils de danger. L’exposition au bruit de la route devrait être de 53 décibels maximum le jour et 45 décibels la nuit. Parfois, la mesure préconisée est très fine. Ainsi pour les écoles. L’OMS recommande que le niveau sonore de fond n’excède pas 35 décibels, et 50 décibels durant les temps d’apprentissage. Au travail, l’urgent est de limiter la pratique des open-spaces, ces bureaux ouverts avec plusieurs personnes côte-à-côte au travail.

La nuit, le silence, l’obscurité ! Elle permet à chacun comme en lui-même, de cultiver cette part de silence, cette part d’obscurité, sans laquelle il ne jaillit aucune fleur de soi. Voilà ce qu’est la vie, voilà aussi ce qu’est l’harmonie à laquelle nous voulons parvenir socialement. Oui, tout est fait social ! Le bruit, le silence, la nuit, la lumière ! Tout est politique !

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