Avant de quitter mon banc de député, j’ai déposé une dernière proposition de loi. Une série de mes amis s’y sont joints. De ce dernier texte de législateur je veux dire un mot. Souvent la politique et la philosophie se rejoignent. Sans le dire. Car les programmes politiques sont toujours davantage qu’une liste de mesures techniques pour répondre aux problèmes posés. Ils portent en eux une vision du monde, des êtres humains et de leur vie en commun. Il y a une vision libérale, centrée sur les individus. Margaret Thatcher l’avait signé d’une formule fameuse : « la société n’existe pas ». Une autre, conservatrice, accepte le collectif mais uniquement s’il reproduit la tradition et s’assure ainsi que notre présent soit un passé toujours recommencé. Enfin, la vision à laquelle nous nous rattachons, celle de l’Humanisme radical, considère les êtres humains comme créateurs de leur propre destin s’ils s’émancipent de leur prédétermination de fortune ou de genre. Elle recherche cette émancipation des individus par la liberté, et celle du collectif par l’entraide.
Pendant la campagne présidentielle, j’ai proposé l’idée de « l’adoption sociale ». À l’époque, je me suis servi d’une controverse sur l’héritage pour avancer cette proposition dans le débat. Il s’agissait alors de répondre à la question des inégalités fiscales entre héritages en lignée directe et lignée indirecte. J’avais mis sur la table la possibilité d’un statut juridique spécifique entre personnes n’étant pas en filiation directe, mais ayant des liens d’affection très puissants. J’y reviens pour proposer une forme d’attachement à une certaine idée de la famille choisie. On voit alors comment s’articulent la société de l’entraide et la place des familles, au pluriel.
La conception traditionnelle de la famille insiste sur les liens « de sang » entre parents et enfants, et entre frères et sœurs. Elle est centrée sur la transmission et la reproduction du passé d’une génération à l’autre. La première des normes qu’elle perpétue est celle du patriarcat comme le montre bien la façon dont elle a été codifiée par Napoléon dans le Code civil. Mais depuis 200 ans, les formes familiales ont énormément changé en fait et en droit. Mari et femme jouissent désormais d’un statut égal dans la loi. Les couples se font et se défont puisqu’un couple marié sur deux finit par divorcer. Les enfants sont sujet de droit individuel. Des dizaines de millions de Français vivent déjà dans des familles que l’on appelle improprement « recomposées ». Dans la pratique, dans bien des familles, ils ne sont plus 2 à participer à l’éducation des enfants, mais 3 ou 4 en comptant les nouveaux conjoints respectifs. Les anciens liens se métamorphosent souvent en amitiés fortes et durables faisant de la parentalité alternée un espace affectif harmonieux spécifique. De nouveaux se créent étendant largement le réseau des amours parentaux et filiaux.
Avec cette réalité, le lien familial et le lien biologique ont tendance à se détacher. En effet, combien de belles-mères, de beaux-pères refusent de former un lien parental et affectif avec les enfants de leur conjoint au motif qu’ils ne sont pas les leurs biologiquement ? Aucun. Ainsi les familles recomposées ont prouvé combien la famille était beaucoup une histoire d’affection et très peu une affaire de gènes. Les luttes des homosexuels pour la reconnaissance de leurs familles a eu le même effet. Jeune parlementaire, j’avais été sensibilisé par des associations gays à la cruauté de leur situation. C’était l’époque des ravages de l’épidémie de sida. On m’avait raconté, moi qui n’en avais pas connaissance, les conséquences sociales, dans un couple où l’un des deux mourrait, du refus de la société de reconnaître juridiquement leur amour. J’en ai tiré une leçon pour l’ensemble de la société et j’ai présenté en 1991, la première proposition de loi pour créer le partenariat civil. Elle devint plus tard le Pacs.
Elle a ensuite été complétée par le mariage pour tous qui ouvre aussi l’adoption d’enfants aux couples homosexuels. La loi reconnaissait que la filiation n’était pas fondée sur l’ADN transmis, et la parentalité sur la complémentarité biologique entre femmes et hommes. Mais cette question n’était pas réglée pour autant. Elle est revenue dans le dernier mandat lorsque nous avons décidé d’ouvrir la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes. J’ai eu l’occasion d’intervenir souvent dans ce débat toujours pour y défendre la conception humaniste de la filiation volontaire. Je l’ai fait contre Mme Le Pen, par exemple, qui prétendait défendre une « vérité biologique ». Nous avons eu le dernier mot. Les liens familiaux sont avant tout des liens d’affection, des liens d’entraide.
Mais à mes yeux, ce n’est qu’une étape. C’est pourquoi ma nouvelle proposition de loi va plus loin. Elle vise à reconnaître les liens qui unissent les personnes en dehors du sentiment amoureux ou de la filiation directe. Je parle ici des liens tels qu’entre amis, entre parrain, marraines et filleuls, entre cousins, entre voisins. Dans nos affections les plus constantes et les plus profondes nous ne les jugeons pas moindres que nos amours ou nombres de nos relations de famille ordinaire. Pourquoi la loi ne pourrait-elle pas les reconnaître ? Et donc leur permettre un épanouissement socialement utile. Le statut d’adoption social formalise ce lien de solidarité réciproque entre deux personnes. Il crée donc entre ces personnes un devoir d’assistance mutuelle comme c’est le cas entre mariés ou entre parents et enfants. Et par conséquent, il ouvre aussi la possibilité de devenir héritier en ligne directe de son partenaire social. Son but n’est pas du tout de se substituer aux formes déjà existantes de la famille mais d’élargir l’horizon légal de nos relations de solidarité individuelle.
L’idée dans ce nouveau statut est de construire et fortifier une société de l’entraide. Face à l’époque de l’incertitude écologique et climatique qui s’ouvre, notre camp porte l’idée selon laquelle les sociétés les mieux équipées pour s’adapter à la nouvelle donne seront celle où l’entraide, la solidarité, le collectif y sont les plus développés. Bien sûr, cela passe par les grandes institutions de la solidarité comme les services publics ou la sécurité sociale. Mais pas seulement. Il s’agit aussi de renforcer les liens interpersonnels. L’adoption sociale permet de le faire en posant dans le droit les bases de la facette interpersonnelle de la société de l’entraide. Elle utilise pour cela la méthode de l’humanisme : en permettant aux personnes de créer elles-mêmes leur réseau affectif et, en quelque sorte, familial, en dehors des seules formes issues de la tradition. Ici, la liberté est le moyen de développer l’entraide et l’entraide la façon dont s’exprime la liberté.
De ce principe peut se déduire une politique familiale de la société de l’entraide. C’est celle qui cherche à aider la formation des liens d’entraide de la famille pour développer l’autonomie des personnes qui la composent. Il s’agit par exemple de l’allongement des congés parentaux d’accueil des jeunes enfants et de les rendre égalitaires entre femmes et hommes de façon à libérer la vie parentale des contraintes du patriarcat. De la même façon, notre programme propose un plan global de construction de places en crèches et d’aller vers la gratuité des crèches publiques. Car sinon, dans 90% des cas, ce sont les femmes qui gardent les enfants de moins de 3 ans. La maternité est alors synonyme d’une perte d’autonomie financière. Mais dans cette politique, il y a aussi l’autonomie des jeunes adultes. Raison pour laquelle nous proposons la garantie d’autonomie de 1063 euros pour les jeunes à partir de 18 ans, et de 16 ans pour les lycéens de l’enseignement professionnel. Ces exemples me permettent de dire combien selon moi l’époque du grand changement climatique et de l’effondrement programmé de la civilisation humaine productiviste telle que nous la vivons ne peut trouver une réponse pleinement humaine sans inventer des nouveaux modes d’entraide humaine au plus près de soi. C’est pourquoi l’insoumis a l’ordre actuel des choses que je suis a ressenti le besoin de clore son travail parlementaire par une proposition qui définit comme « solidariste » du quotidien.
Le financement de cette garantie d’autonomie par l’héritage maximum au-dessus de 12 millions d’euros est aussi la signature du type de société auquel nous aspirons. C’est redistribuer les fortunes du passé à la jeunesse qui n’a rien et va construire sa propre vie. Oui, notre conception de la place des familles dans la société est résolument plus tournée vers le souci du feuillage que celui des racines. Je dépose donc, avec mes camarades insoumis, ma proposition de loi sur l’adoption sociale comme député. Demain, avec le concours de l’Assemblée nationale, je mettrais en œuvre les principes de la société de l’entraide comme Premier ministre.