Veillée d’armes avant la semaine de « grève générale », également nommée selon les tempéraments « la France à l’arrêt », « on bloque tout ». Et même « grève totale reconductible coordonnée » depuis qu’au siège de la CGT ce 2 mars, les fédérations de Cheminots, Énergie, Ports et Docks, Chimie et Verrerie ont annoncé qu’elles vont organiser des blocages coordonnés. Les secteurs en unité syndicale sur des appels à grève reconductible sont nombreux et déterminés. Par exemple, à la SNCF où avec CGT et SUD appellent aussi UNSA et CFDT. Le 7 mars sera un seuil, c’est certain. Il délimitera la puissance des évènements suivants. Il peut être le point de départ d’une avalanche.
Déjà, le 8 mars sera une convergence entre la mobilisation de la journée de lutte pour les droits des femmes avec les actions syndicales. Une première que ce jour de grève féministe. L’appel est signé pour les partis et mouvements par LFI, EELV, NPA, PS, PCF, les Organisations féministes : le planning familial, Osez le féminisme, collectif national droit des femmes, Nous Toutes… , les Associations : ATTAC, CCFD-terre solidaire et les Syndicats : CGT, FSU, Solidaires, Unef. Le texte se conclue sur le mot d’ordre : « Le 8 mars, on s’arrête toutes et on manifeste. On fait la grève féministe. ». Il demande « Le 8 mars, on grève, on débraye, on agit. Faisons du bruit à 15h40, heure à laquelle chaque jour les femmes arrêtent d’être payées. Le 8 mars, toustes ensemble, on envahit les rues contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires, contre les violences sexistes et sexuelles et en solidarité internationale avec les femmes du monde entier. ».
Les grèves reconductibles et coordonnées dans les secteurs clef de la production feront leur effet. La liste des appels professionnels pour la journée du 7 s’allonge d’heure en heure. On parle de plus en plus d’occupation de rond-point également. C’est vraiment une excellente chose dans le contexte de la présence forte des syndicats de salariés. Il en est d’annoncé sur les réseaux sociaux dans la Manche, en Haute-Saône, dans la Sarthe, à Perpignan, à Carcassonne, à Abbeville, à Amiens et à Toulouse. D’autres ne sont pas annoncés publiquement. L’appel aux grèves coordonnées des cinq fédérations CGT va aussi faciliter l’amplification du blocage. Le communiqué est assez tranchant. « Les énergéticiens ne s’interdiront rien pour contraindre le gouvernement à lâcher. Chaque jour, les actions seront planifiées, rythmées et coordonnées. coupures ciblées (permanences politiques, industriels, symboles du capital, radars,…) ; blocages et des mises à l’arrêt de sites (centrales, postes, terminaux, stockages, parc d’énergies renouvelables,…) ; prises en main du pilotage des réseaux électrique et gaz ; nombreuses actions « Robin des bois » (gratuité, rétablissement, division des consommations…) ». Cette ambiance, cet état d’esprit, se retrouve partout. L’intervention des syndicats de routiers FO très majoritaires fera de même. Les routiers se joignent à la grève dès lundi. Dans le sud-ouest du pays, le programme est annoncé : blocages de plateformes logistiques et zones industrielles, blocages de péages, barrages filtrants en particulier aux frontières, opérations escargot près de grandes métropoles et sur de grands axes. Ici je ne cite que des secteurs en réseau qui entrent en grève reconductible. On peut donc prévoir des pénuries. Mais leur inconvénient sera surmonté, j’en suis certain, par la compréhension du grand nombre. Il se peut aussi qu’elles entrainent de ce fait des cascades de répliques dans divers secteurs professionnels ou non, en aval des blocages. Voyons un exemple. Il a été prélevé 70 000 mètres cubes de kérosène sur les stocks stratégiques pour remplir à 100% les stocks des aéroports en prévision des grèves dans les raffineries. Mais là-dessus la grève des « avitailleurs » des aéroports semble suffisante pour que ce kérosène ne sorte pas des cuves pour aller vers les réservoirs des avions… Des « cascades » de ce type existent partout dans le système de la production en réseaux de notre époque.
A présent, pour tous, il s’agit de gagner effectivement contre la réforme Macron des retraites. L’affaire est bien engagée. La lutte continue et c’est un moment d’éducation populaire qui change profondément les mentalités dans tout le pays. Déjà des mois et des années de résignation et de prostration sont surmontés par ce qui vient de se passer. Toutes les ruses d’appareil, les ententes en sourdine et les intox en tout genre dans le débat à l’Assemblée n’y auront rien pu. Tout le monde a noté les inadmissibles mises en cause personnelles de Philippe Martinez contre les Insoumis et contre moi. Heureusement, elles n’ont pas réussi à diviser le mouvement en cours. Et elles ont vite baissé d’un ton dans la semaine qui a suivi le harcèlement pour faire voter l’article 7 à l’Assemblée nationale. Car les syndicalistes soutenaient la résistance des Insoumis. Les militants sur le terrain savaient parfaitement quelle douche froide eut été l’annonce « l’Assemblée nationale a voté la retraite à 64 ans ». Ils l’ont fait savoir de toutes les façons qui leur appartiennent. Pour ma part je l’ai dit, écrit, raconté. Plus d’un pourtant, chauffé par l’ambiance médiatique anti LFI, ont cru leur jour de gloire arrivé. Retrait d’amendement, indignation moralisatrice surjouée à la Chassaigne-Roussel, plus la cohorte de mise en cause personnelle. Sans oublier le ton sur lequel nombre de porte-parole des partis NUPES désormais nous parlent et parlent de nous. Puis il y a eu les vacances d’une semaine. Le « terrain » ne doit sans doute pas lire la presse, ni croire les émissions en continu, ni écouter les grands esprits anti LFI. Il a massivement approuvé la tactique insoumise. Résultat : Philippe Martinez admet que les marches du samedi sont des manifestations très efficaces parce qu’elles permettent au plus de monde de participer ! Heureuse convergence dont je me réjouis beaucoup, comme on le devine ! J’ai donc bon espoir qu’on ait bien vite une nouvelle date de samedi de lutte dans tout le pays qui évite aux Insoumis d’avoir à l’organiser eux-mêmes.
Côté Sénat, même effet bienfaisant du retour sur le terrain. Cela pourtant après une nouvelle bordée de mauvaises paroles contre la lettre du coordinateur des Insoumis, Manuel Bompard, demandant que le texte retraite à 64 ans ne soit pas adopté avant le 7 mars. La Présidente du groupe communiste, contrairement aux dires des députés communistes, déclare avec raison : « Notre objectif est que l’article 7 soit examiné après la journée du 7 mars » (Public Sénat, 22 février). Que ne l’a-t-elle dit plus tôt, on se serait épargné la dispute dérisoire des deux derniers jours à l’Assemblée. Il est vrai qu’il y a bientôt des élections sénatoriales. Nombre de grands électeurs sont eux-mêmes des salariés. Et les retraités forment 40 % des effectifs des maires. Le milieu n’est donc pas aussi imperméable aux questions sociales que certains commentateurs le croient. Les sénateurs de gauche comptent sur un « accord de courtoisie » (« gentlemen’s agreement », disent-ils) avec la droite majoritaire pour que le vote n’ait pas lieu en effet avant le 7. En tous cas bravo : c’était le raisonnement des Insoumis à l’Assemblée.
De plus, plusieurs voix sénatoriales indiquent que le mieux serait encore qu’il n’y ait pas de vote du tout sur le texte entier. Ainsi Patrick Kanner, Président du groupe PS affirme : « Si ce texte n’était pas voté à l’Assemblée puis au Sénat, cela lui enlèverait beaucoup de force » (L’Express, 2 mars). Et Guillaume Gontard, Président du groupe EELV : « La réforme serait fragilisée politiquement comme juridiquement si elle n’était pas adoptée par le Sénat » (L’Express, 2 mars). Les donneurs de leçon de l’Assemblée auraient vraiment dû se coordonner avec leurs collègues sénateurs. Car ceux-ci disent très exactement ce que la LFI a dit et mis en pratique à l’Assemblée nationale. Pourtant, des majorités composites de députés EELV, PS et surtout PCF ont frontalement combattu jusqu’à retirer tous leurs amendements. Il est vrai que dans chacun de ces groupes la déconvenue était grande de la part d’une bonne partie des députés les plus chevronnés dans la lutte parlementaire (aucun écho de ça dans l’officialité médiatique). Pour ce qui est du Sénat, goguenard, l’hebdo de droite « L’Express » raconte cette grande évolution. « L’opposition sénatoriale souhaite empêcher le vote final du texte afin de priver la réforme de légitimité parlementaire. (…) Plus de 2000 amendements ont été déposés, pour l’essentiel par la gauche. Un chiffre élevé pour la chambre haute, même si loin des 13 000 de LFI au Palais Bourbon. (…) Ce goût du scrutin a des limites. La gauche aimerait que le gong retentisse avant le vote final du texte. Elle imputerait certes ce revers à la procédure choisie par le gouvernement, mais s’en réjouit déjà. ». Il faut croire que la combattivité des sénateurs pose problème soudain. Aussitôt, BFM embrouille tout avec une de ces rumeurs qui auront décidément été la nouveauté de cette période de la vie parlementaire. D’après la chaîne d’info, les sénateurs de gauche se seraient entendus pour « faire semblant ». En fait, il y aurait un accord secret avec la droite majoritaire au Sénat : pas de vote avant le 7 et en échange il y aurait un vote final du Sénat. Bref, le contraire de ce que racontent les trois présidents de groupe sénatorial de gauche. Il est certain que la réaction brutalement anti LFI du groupe communiste peut faire penser qu’au Sénat, comme à l’Assemblée, les élus PCF pourraient retirer d’un coup tous leurs amendements pour favoriser un accord de ce type. Mais rien n’est moins certain. En tous cas, Philippe Martinez ne l’a pas demandé semble-t-il. Il faut donc faire le pari de la confiance, comme d’habitude. Mais je comprends qu’après les numéros à l’Assemblée du Président du groupe PCF Chassaigne pour défendre ce pauvre petit Olivier Dussopt, sans un mot quand les insoumis ont été traités de complices des assassins de Samuel Paty, nombre des députes insoumis n’y soient plus prêts. La blessure est profonde. En tout cas, il est évident que si le Sénat vote le texte, celui-ci reviendra à l’Assemblée. Et de nouveau, les macronistes voudront arracher un vote. Et recommencera le harcèlement des médias bien-pensants contre « le désordre à l’Assemblée », « l’obstruction » et tout le reste des postures indignées surjouées par la bonne société.
En attendant, formellement, désormais tout le monde est d’accord avec ce que les Insoumis ont fait à l’Assemblée. Tant mieux. On aurait pu en convenir avant ! A quoi bon le passage par la case psychodrame ? Car ce qui était une discussion normale sur la stratégie parlementaire a été inutilement transformée en un prétendu divorce de fond de la NUPES, chanté sur tous les tons au seul profit de la macronie. Les seuls perdants sont ceux qui y ont cru et que le terrain a du ramener à la raison. Il est vrai que la pression des deux dirigeants syndicaux (sur huit), même isolés sur leur base, pour aller au vote, était forte. Il était pourtant simple de les convaincre de laisser les parlementaires apprécier eux-mêmes. N’est-ce pas ce que les députés Insoumis ont fait avec les décisions de stratégie syndicale ? N’est-ce pas ce que Laurent Berger lui-même a recommandé en demandant « aux politiques » de s’en tenir à leur rôle dans les institutions (point de vue qui n’est pas du tout le nôtre) ? D’autant que l’injonction « on vote pour connaître le vote de chacun » est tout simplement sans objet. Car en toute hypothèse qui peut avoir un doute sur les votes ? Tout le monde connait les prises de position de chaque parti. Le dernier jour à l’Assemblée on a vu comment l’opposition interne à LR s’était quasiment toute dissoute grâce à un amendement sur les carrières de longue durée accepté par le gouvernement et comment tous les députés macronistes étaient présents et homogènes. Tout cela au contraire des bruits de couloirs qui ont intoxiqué les naïfs et alimenté les malins ! Mais demain est autre jour. A la fin en effet si les délais sont tenus en dépit de la guérilla sénatoriale, il y aura un vote. A l’inverse, si les sénateurs tiennent leur objectif de non vote, les groupes NUPES de l’Assemblée seront peut-être conduits à leur tour à en faire de même. Ce serait l’idéal car ainsi serait faite la démonstration devant le Conseil Constitutionnel : toute cette procédure du 47.1 hors saison est un abus de pouvoir. Sujet sur lequel la bien-pensance est muette. Pourtant, les mêmes s’apprêtent à entonner les buccins de joie quand Macron va proposer sa reforme des institutions pour lutter contre l’affaissement de l’autorité parlementaire.
Ce moment de la lutte contre la retraite à 64 ans doit être vu dans son contexte large de la déstabilisation générale dans laquelle nous entrons. Il faut bien dire que les façons de faire de Macron la nourrissent avec méthode. Toute la presse a dégorgé de confidences du pouvoir sur une prochaine réforme des institutions. Il est possible que les animateurs de l’Elysée aient cru allumer de cette façon un contre feu ou une négociation parallèle avec la droite « LR » et les dissidents « cazeneuvistes » du PS. Mais la conjonction qui s’annonce est remarquablement favorable pour nous. La question des retraites délégitime l’ordre social néolibéral. La question des institutions va encore bien miner l’ordre institutionnel. Et ce sera encore Macron qui fournira les bûches pour le feu ! Il va en effet présenter un fagot de changements sur ce thème en expliquant pourquoi rien ne va. On n’aura plus qu’à scier l’autre pied du trône ! Son prochain bouquet comportera des cadeaux (ou supposés tels) pour toutes les familles politiques parlementaires traditionnelles actuelles : découpe des régions, mode de scrutin, nombre des parlementaires et ainsi de suite. Les macronistes auront leur cerise soigneusement cachée dans le gâteau : le changement de la durée du mandat présidentiel qui du coup abrogera la limite actuelle à deux mandats. De cette façon sera effacé l’impossibilité pour Macron d’égaler Tony Blair qui était parvenu à concourir dans trois élections consécutives. Je n’ai évoqué ce sujet que pour mémoire car il est apparu et disparu comme un champignon après la pluie la semaine passée à la une du « Figaro » et de quelques autres. Mais ainsi les personnes qui me lisent savent à quoi s’en tenir elles aussi.