L’étape de la censure populaire

Voici ce qu’écrit Le Figaro : « le Président s’est entretenu à l’Élysée avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour faire le point sur les incidents. Et pour pointer un responsable : le leader des Insoumis. « Toute l’histoire que nous vivons en ce moment a été réfléchie et écrite par Jean-Luc Mélenchon, assure un proche du chef de l’État. Depuis le début, il a tout fait pour qu’il n’y ait pas de vote à l’Assemblée nationale. C’est le pompier pyromane qui provoque le recours au 49.3 pour dénoncer le recours au 49.3. Ensuite, ses troupes ont pris le relais dans la rue pour provoquer le chaos. » »

C’est dire le décalage du personnage présidentiel, son côté hors-sol absolu. Comme si le mouvement social n’existait pas, ni l’intersyndicale, ni la NUPES. Juste un bras de fer personnel. Avec « des troupes ». C’est absurde. Mais je le mentionne pour aider qui me lit à mieux comprendre qui nous combattons et comment nous le faisons.

Oui, j’avoue : nous, les Insoumis, avons toujours été déterminés à gagner la bataille contre la retraite à 64 ans. Les raisons en sont amples et profondes. Cette réforme signe une époque, un régime, un moment de l’histoire. Pour mener cette bataille nous avons agis en calculant mûrement à chaque étape ce que nous faisions, avec toutes les discussions que cela soulève nécessairement.

Mais on ne mène pas une telle bataille, dans un pays aussi central que la France, sans une analyse approfondie du moment, des moyens qu’il offre, des difficultés qu’il comporte. Conduire une étroite articulation entre action parlementaire et mouvement social est une première pour nous, la « gauche radicale ». Et c’est un cas unique au monde, observé de toute part.

Mon analyse depuis le soir du premier tour de la présidentielle est que le deuxième mandat de Macron commencerait avec une crise de légitimité. Il serait élu par défaut et cela serait pointé davantage que la première fois. La thèse s’est vérifiée au premier tour des législatives, perdu par Macron contre nous en NUPES, puis au second contre tout le monde. Une bataille que nous avons gagnée en la commençant entre les deux tours de la présidentielle, avant même le résultat, la veille du débat Macron Le Pen. Donc une victoire très politique, dont l’onde de choc porterait loin.

Cette crise de légitimité est le talon d’Achille du régime. Car la France est une vieille démocratie. Le régime de la monarchie présidentielle non plus ne tient pas sans que le lien au peuple soit régulièrement renouvelé, même si c’est par les très discutables méthodes plébiscitaires. De Gaulle le sait quand il démissionne après un référendum perdu sur une obscure réforme du Sénat.

Depuis la présidentielle, Macron n’avait qu’une sortie par le haut pour sa faute de légitimité : se donner les moyens d’élargir sa position en construisant une majorité parlementaire. Tout tenait à l’accord à réaliser avec LR. Point final. Mais sur ce plan ce fut le grand n’importe quoi, non-stop. Non seulement le texte permettant la jonction qu’était ce projet de réforme des retraites n’a pas été présenté ensemble avec LR, mais tout le long du parcours parlementaire, ce fut la méthode des coups de triques.

Et cela jusqu’au vote bloqué au Sénat puis les injures et menaces à la veille du vote à l’Assemblée et le jour même encore à la tribune avec la grotesque Aurore Bergé. Pour finir « Les Républicains » savent à quel acide ils seront dissous si d’aventure ils se risquent à se laisser mettre dans l’éprouvette. C’est donc trop tard. La manœuvre est devenue impossible. Pradié a gagné son pari. Il va construire un nouveau pôle et Le Pen a tort de croire qu’elle va le digérer plus vite que Macron. Le moment venu, s’il mène bien sa barque, c’est elle qui lui servira d’appoint.

Le principal résultat du vote de la motion de censure n’est pas que le gouvernement Borne soit sauvé, mais que rien ne soit tranché. Or, ce qui se cherche depuis le début, c’est une issue au conflit, non ? Macron comptait sur le passage en force. Le mouvement social et la NUPES lui ont coupé l’un après l’autre tous les moyens de ce rapport de force. Un simple travail d’alerte et de mise en lumière. Il fallait mettre à nu la brutalité et l’illégitimité des procédures utilisées dans l’étape parlementaire. De son côté, l’unité syndicale le privait de tout compromis avec le mouvement social.

Le recours au 49.3  avait déjà fait le constat qu’il n’y avait pas de majorité parlementaire pour le texte. Certes. Mais l’aveu était plus profond. Maints commentateurs ne l’ont pas vu. É. Borne aurait pu attendre le vote de la motion de rejet présenté par Mathilde Panot en début de séance. Mais la macronie ne disposait pas alors du droit aux procurations pour ce vote. En plaçant le 49.3 avant ce vote, Borne avouait qu’elle connaissait l’existence d’une majorité pour voter le rejet du texte sur un simple vote de cette motion ! C’est cela qu’elle devait empêcher.

La peur régnait donc en macronie. Seul Macron fut privé de l’information en début de parcours. Ceux qui le poussaient au vote avait fait le choix de régler le problème, en le faisant perdre « avec panache ». Eux savaient que gagner un vote de censure pourrait aussi conduire dans l’impasse où Macron se trouve en effet à présent. Et qui aurait pu être pire, car 9 voix d’avance c’est vraiment peu, très peu.

Et jusqu’au dernier moment des députés LR et même « Modem » (Bayrou) ou « Horizons » (Édouard Phillipe) ont hésité. On peut penser que leur entente déjà bien fatiguée va encore souffrir. Je ne résiste pas au plaisir de me souvenir qu’en début de manœuvre le but des macronistes étaient de diviser la NUPES. Elle n’a pas craqué une seule fois. Par contre, la macronie est en haillons, déchirée entre ses diverses tribus.

Pourtant le vote de la censure était destiné à dénouer la tension d’un seul geste. Le vote devait rendre la légitimité parlementaire au camp présidentiel qui l’avait perdue en première lecture à l’Assemblée. Deux conditions étaient nécessaires : une baisse de l’activité du mouvement social et une ferme majorité parlementaire. Il n’y a eu ni l’un ni l’autre. Au contraire, la voie parlementaire a été un étalage de faiblesse et la grève s’est étendue. L’ultime espoir des macronistes pour trouver une légitimité était ce vote. Mais neuf voix d’écart envoient un piteux signal exactement inverse.

Rien n’est donc tranché, personne ne s’avoue battu, ni ne demande un compromis. Ni la macronie arrogante en tribune et agressive en médias. Ni le mouvement social. L’échec de la réquisition à Fos, l’image saisissante de salariés et de citoyens avançant tandis que les CRS reculaient a gravé dans le marbre audiovisuel ce moment. Il a donné dès le lendemain du vote un signal clair.

Nous l’avions résumé la veille : après la censure parlementaire, la censure populaire. C’est l’enjeu de ces jours-ci. Nous avons un fort point d’appui, puisque les syndicats unis ont appelé à la grève et aux manifestations jeudi 23 mars. Ce jour sera un nouveau franchissement de seuil.

Dans un conflit ouvert, ce sont les conditions nécessaires au dénouement qui comptent. À mesure que le conflit se généralise, à mesure de son extension quant au nombre et aux secteurs de ceux qu’il implique, le nombre des issues possibles se réduisent et la taille du déversoir nécessaire pour écouler les énergies accumulées s’agrandit. Nous y sommes. Mais Macron n’a aucun moyen d’action sinon le pourrissement. Macron a poussé dans la rue la question du retrait de sa loi dont personne ne veut. À présent c’est le mouvement social qui mène l’action et notre devoir absolu est de nous mettre à son service.

C’est peu, c’est risqué et c’est ineffaçable dans la mémoire collective de ceux qui auront à le subir. Quant à nous, Insoumis, le passage de la « censure parlementaire » à la « censure populaire » est un simple transfert d’effectifs d’un front à l’autre. Car, sur le terrain, les militants insoumis sont déjà présents. Non seulement dans la jeunesse, non seulement dans les manifestations, mais aussi dans la grève et le combat syndical où ils sont présents, partout.

Nos députés insoumis vont donc se répartir aux différents postes de combat où ils sont indispensables. Qui les a vus dans la nuit du 20 mars aller d’un commissariat à l’autre dans les gardes à vue sait que rien ne les arrête. Le style élu Insoumis se confirme : dans l’action fortement impliqués, et au Parlement fortement engagés. Les milliers de groupes d’action Insoumis sont tous en action dans toutes les régions. Les collectes de la caisse de grève et les remises de chèque continuent, les collectes alimentaires de même et dorénavant les participations aux soutien des piquets de grève et blocages.

Nous n’avons pas choisi l’étape de la censure populaire. C’est Macron qui l’a ouverte en fermant toutes les autres voies de règlement du conflit. Mathilde Panot a bien résumé le discours présidentiel et celui de ses médias : « si vous expliquez que faire grève ne sert à rien puisqu’il y a des réquisitions, que manifester ne sert à rien, qu’élire des parlementaires ne sert plus à rien, quel est le message ? ».

La censure populaire, c’est le refus de céder à la force, le refus de la démocratie parlementaire bafouée, le refus d’un conflit réduit a une bagarre personnelle entre le président et l’opposant de son choix au motif que celui-ci lui tient tête.

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