Cet article a été publié par Laurence Pache sur son blog.
J’entends ces derniers jours des critiques sur la méthode avec laquelle Jean-Luc Mélenchon a proposé il y a 10 jours sa candidature.
Des personnalités du Front de Gauche et des camarades des organisations qui le composent se sont émus de ce qu’ils ont appelé une démarche solitaire et nous ont appelés à ne pas céder à la « personnalisation » présentée comme le mal auquel il ne faut pas céder.
Outre que à ce jour 55 000 personnes ont déjà appuyé la proposition de candidature, ce qui relativise pour le moins cette critique, je veux ici répondre à ce que des camarades parfois bien intentionnés veulent par là nous dire. Car, disent ils, quand on revendique le pouvoir du peuple, la 6e République, comment peut on en même temps se revendiquer d’une décision personnelle ?
Je note tout d’abord que ceux qui critiquent la démarche de Jean-Luc Mélenchon dans notre camp ne proposent rien à la place si ce n’est la participation à la primaire avec ceux mêmes qui soutiennent le gouvernement Hollande-Valls dont ils disent tant de mal par ailleurs. Que l’on puisse penser que la question prioritaire c’est « l’unité de la gauche » en lieu et place d’une stratégie qui permettrait au peuple de trancher les questions essentielles telles que le rapport à l’Union Européenne et au carcan des traités, au partage des richesses ou à la transition écologique est en soi assez révélateur de la pauvreté du débat politique. Que l’on puisse penser qu’il faille consacrer l’année qui vient à discuter du « casting » montre à tout le moins un déni des réalités : n’avons-nous pas mieux à faire que de nous diviser dans une lutte de personnes sans intérêt alors que nous avons par la personne de Jean-Luc Mélenchon le point d’appui que ses 4 millions de voix à la présidentielle nous confèrent ? Voulons-nous discuter de la personne, son style, ou de ce qu’il convient de faire pour le pays ?
Ne faut-il pas prendre la question de la désignation par l’autre sens : faire du choix de la personne non pas un aboutissement, mais un point de départ? Car au fond ce qui nous importe c’est ce que nous voulons faire de la présidentielle : veut-on en faire un moment de témoignage, certes sympathique, mais inopérant dans le réel, ou l’outil de création d’un mouvement neuf, apte à nous fournir la dynamique populaire dont nous avons besoin pour impulser un changement radical dans notre pays?
Pour ma part, je choisis la deuxième option. Comme bon nombre de nos concitoyens, je ne vois pas l’intérêt d’un combat politique qui n’aurait pour fonction que de parler à nous mêmes, et de simplement occuper notre place dans le ron-ron du système politique. J’aspire à ce que nous arrivions à faire ce que nous disons, j’aspire à ce qu’on puisse enfin mettre sur le métier notre ouvrage !
Si on est d’accord avec ce but, alors il faut s’en donner les moyens. Ni moi, ni les 55 000 personnes qui ont appuyé la candidature de Jean-Luc Mélenchon depuis 10 jours ne sont une horde fanatique de suiveurs charmés par un gourou. Présenter de près ou de loin les choses ainsi ne rend pas justice à la politique, et aux buts que nous poursuivons. Car appuyer sa candidature, créer des groupes d’appui, participer à l’élaboration programmatique pour actualiser L’humain d’abord ce n’est pas suivre un individu, c’est participer à une tâche collective.
Ce que nous faisons là c’est simplement agir en politique. Quand on reproche à Jean-Luc Mélenchon la forme de son annonce, la décision individuelle qu’il a prise, on se méprend sur la nature même de ce qu’est agir en politique. Car la politique, si on la prend au sérieux et qu’on essaye de s’extraire du jeu d’ombres insipide qu’elle est trop souvent devenue, consiste à la fois à décider individuellement pour soi même, et aussi à agir avec d’autres.
Hannah Arendt, magistrale philosophe du politique, le disait dans Condition de l’homme moderne : agir c’est prendre des initiatives par lesquelles nous nous distinguons, et qui peuvent ensuite reprises par d’autres, dans une action collective. Elle écrit :
« C’est par le verbe et l’acte que nous nous insérons dans le monde humain et cette insertion est une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle. Cette insertion ne nous est pas imposée, comme le travail, par la nécessité, nous n’y sommes pas engagés par l’utilité, comme à l’oeuvre. Elle peut être stimulée par la présence des autres dont nous souhaitons peut-être la compagnie, mais elle n’est jamais conditionnée par autrui ; son impulsion vient du commencement venu au monde à l’heure de notre naissance et auquel nous répondons en commençant du neuf de notre propre initiative. Agir, au sens le plus général, signifie prendre une initiative, entreprendre (comme l’indique le grec archein, « commencer », « guider » et éventuellement « gouverner ») mettre en mouvement. Parce qu’ils sont initium, nouveaux venus et novateurs en vertu de leur naissance, les hommes prennent des initiatives, ils sont portés à l’action »
C’est donc cela dont il s’agit, en politique parce que l’humanité est plurielle, dotée de parole et de raison, en capacité de décider des formes du vivre ensemble, agir c’est proposer, commencer, initier, mais aussi reprendre, prolonger, donner une nouvelle direction à ce qui a été commencé par d’autres. C’est là la beauté, et la fragilité des affaires humaines.
Il est donc oiseux de reprocher à Jean-Luc Mélenchon de proposer sa candidature sans avoir demandé la permission aux organisations du Front de Gauche. Penserait on à reprocher à un leader syndical, à une meneuse d’une lutte environnementale d’enclencher une action au service de la lutte ? Non, car en réalité, si on veut agir, il faut toujours compter sur la force d’initiative de certains. Un jour c’est l’un, un autre jour, quelqu’un d’autre. Ce qui importe c’est l’élan et la possibilité pour tous de s’emparer de l’acte initial.
Si l’initiative de Jean-Luc Mélenchon n’est pas reprise par le grand nombre, si elle n’est pas le catalyseur d’un mouvement populaire, alors on pourra à postériori dire qu’elle n’aura été qu’un acte individuel.
Au vu des appuis qu’elle suscite, j’incline à penser qu’au contraire, elle est riche de potentiel.
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