Il parle encore pour dire que tout va bien. Vit-il encore sur la même planète que nous ? Macron, à peine sorti de la messe du pape François où il n’aurait pas dû être, s’est jeté sur nous tous à la télé. Qui analysera la lassitude qu’on ressent quand il commence à parler ? À la fin de l’entretien, quand un Delahousse évoque un problème avec un certain Doriot (lire la note de blog de Manuel Bompard à ce sujet), on se pince. Incroyable microcosme ! Opaque mais bavard, verbeux mais tellement branchouille ! Anne-Claire Coudray sauve l’exercice en donnant l’impression de vouloir tirer quelque chose de la circonstance. Les deux autres ronronnaient comme s’ils étaient seuls sur le plateau devant un plat de croquettes. Quand je pense aux temps où De Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Giscard ou Chirac apparaissaient à l’écran ! À présent, un Président au 20H a l’air d’une page de pub.
SÉNATORIALES EN BOIS DE SAPIN POUR LA NUPES
Dans nombre de départements, les pronostiqueurs nous annonçaient entre 10 et 20 voix aux élections sénatoriales. Ça ne s’est jamais passé comme ça. Dans une grande majorité de départements, les insoumis réalisent des scores bien plus significatifs. Ils multiplient par trois, quatre, cinq, six, dix le nombre des grands électeurs insoumis d’abord recensés comme tels. De la sorte, en dépit du caractère parfois très volontairement dépolitisées des candidatures, y compris celles de la « vieille gauche » se présentant comme la « gauche des territoires », le bulletin de vote LFI rassemble les grands électeurs ! Nous faisons ainsi 133 voix en Isère. 127 en Seine-et-Marne. 114 en Essonne. 95 en Indre-et-Loire. 111 en Loire-Atlantique. 99 en Meurthe-et-Moselle. 91 dans le Nord. D’aucuns prétendaient que nous agirions comme un « repoussoir ». Aujourd’hui ils en sont réduits à se demander ce qui a fait fuir loin d’eux tant de grands électeurs ! Le repoussoir n’est donc pas là où on l’attendait. À l’inverse, là où il a été possible d’apporter notre participation dans un cadre unitaire, le résultat a suivi. Dans la clarté de l’orientation programmatique, nous faisons élire deux sénateurs issus de la gauche de rupture (Val-d’Oise et Réunion). Ian Brossat, qui a cru pouvoir parler de victoire de la ligne Roussel, aurait mieux fait de se taire.
Car si l’union s’était faite, comme nous le proposions, la NUPES aurait fait élire 11 sénateurs supplémentaires (Isère, Loire-Atlantique, Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Pyrénées-Orientales, Paris, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Français de l’étranger). Pas moins. Souvenons-nous que nous demandions une seule position éligible pour tout le pays. C’était trop, nous a-t-on répliqué. La division de la NUPES, attisée par les Roussellistes, a provoqué encore d’autres fractionnements et dissidences à gauche entre diverses variétés de socialistes, comme en Seine-Saint-Denis par exemple. Au final, le PCF perd deux ou trois sièges du fait de sa préférence pour le splendide isolement. Ainsi les diviseurs systématiques ont empêché la progression de tous. Leur éparpillement facilite l’élection des sénateurs d’extrême droite. Du coup, les équilibres au Sénat sont inchangés. Et la vieille gauche plafonne.
Le « plafond de verre » de la gauche, c’est elle qui le construit dans les élections. D’aucuns encore se réjouissent de provoquer les mêmes dégâts aux élections européennes. Puis, ce seront les élections municipales, pour lesquelles la vielle gauche prévoit de « décider à la base ». Ce qui veut dire que les Insoumis seront de nouveau ostracisés, partout où cela arrangera les roitelets locaux. Mieux vaut en tirer la leçon dès à présent !
ENCORE UNE ALLOCUTION POUR NE RIEN DIRE.
Pauvres journalistes ! Toute la journée, ils ont chauffé le public attendu : il y aurait une grande annonce contre la vie chère dans l’allocution de Macron. Ils le croyaient. Le moment venu, il ne reste plus qu’une nouvelle demande polie présentée aux grandes firmes du pétrole. Dont on connait déjà la réponse. Pour le reste, et sur tous les sujets, le propos était très convenu : tout va bien. Il n’est pas sûr que ce soit un discours supportable. On comprend qu’un gouvernement soit content de son action et qu’il la défende. Mais dans un contexte où le problème social est tout simplement la faim dans un pays avancé, il devient clair que le Président ne sait plus à qui il parle, ne sait plus ce qu’est la vie du pays réel. 100 euros par voiture et par an pour les plus démunis, c’est une moquerie coûteuse pour le pays et quasi indiscernable pour les citoyens qui se savent abandonnés… un billet à la main. Le tableau est alors terrible. Dans un pays où le tiers de la population ne mange pas à sa faim, le bilan final sera terrible.
Sur le plan international, par contre, les annonces marquaient des changements de cap significatifs. Le Président a annoncé le retrait des effectifs militaires français au Niger. C’était bien la peine d’organiser toute cette tension avant cela, avec les risques d’escalade que cela comportait, en pure perte et vanité. En quoi consiste la politique française désormais dans cette zone, et en Afrique en général ? On n’en sait rien. Bien sûr, le Parlement n’est saisi de rien. Le monarque seul décide la paix et la guerre. Même question à propos de l’Arménie. Jusque-là, la France de Macron faisait le choix du silence. Raison invoquée : la France est engagée dans le trio d’États chargé de trouver une issue pacifique au conflit sur les droits des minorités arméniennes. Aucun résultat n’est venu de là. Mais par contre l’agression militaire a eu lieu. À présent, Macron hausse le ton. Tant mieux. Mais que fera-t-on ? On n’a pas compris ce qu’il en disait. Cependant on sait qu’une réunion de négociation est convoquée en Espagne. Pourquoi en Espagne plutôt qu’en France ? La place de la France est-elle devenue si secondaire ? Bref, on perd pied de tous côtés.
UNE PAUSE DANS LA BARBARIE EN MÉDITERRANÉE.
La visite du pape à Marseille était un évènement mondial, et les échos de son discours ont été trouvés dans la presse de tous les pays. Il est vrai que la question des migrations est devenue un sujet universel. Et, avec le changement climatique, elle ne peut se poser toujours que plus fort. Comme premier mouvement politique de la gauche en France, notre devoir était de ne pas regarder ailleurs, d’agir pour se rendre utiles. Et, pour cela, il fallait d’abord admettre l’importance de cette visite, surtout pour les discours attendus visant à desserrer l’étau de la barbarie. Barbarie contre les migrants. La constance du pape François sur ces thèmes est avérée. Pas question de rester muets ou inertes. Mais il fallait agir dans le respect de nos principes, qui refusent le mélange de la politique et de la religion. Il fallait donc se situer dans une convergence à la fois claire, franche, argumentée, pour être efficace sur l’opinion prise à témoin. Surtout quand de leur côté les RN, les zemmouriens et autres apologistes des « racines chrétiennes de la France » boycottent la venue du pape. D’un autre côté, la décision de Macron d’aller à la messe du pape pouvait rendre notre message inaudible. Ce n’est pas ce qui s’est passé.
Les médias ont rendu compte de ce qui se passait en respect de chacun. Le choix du lieu à Marseille, le restaurant « l’Après M », résumait le symbole recherché, puisque c’est une récupération coopérative par des salariés en lutte contre leur liquidateur, et un lieu de service gratuit de distributions de colis alimentaires pour les migrants sans-papiers comme à domicile pour les personnes sans mobilité. Un haut lieu de fraternité humaine. Et notre opposition à la présence de Macron a été comprise et relayée. Jusque dans le « New York Times », pour qui la laïcité à la française reste un sujet d’étonnement sincère. En ce sens, nous pouvons parler d’une action réussie pour penser autrement la relation aux migrants, en faisant cause commune sans condition avec tous ceux qui veulent faire cesser la barbarie en Méditerranée.
LA POLICE CAJOLE-T-ELLE ?
La manifestation du 23 septembre aura été un bon succès. Sa seule existence en est un. Et la volonté de faire de la coalition de syndicats, d’associations et de partis qui l’a convoquée une structure permanente est un des effets de la prise de conscience qui a atteint toute la sphère de la défense des libertés en France. L’absence du PS et du PCF, comme on le sait, ne doit rien au hasard. Il s’agit bien d’un clivage sérieux et d’un désaccord réel. Chacun à leur manière, et pour leurs propres raisons, refuse d’entrer dans la remise en cause du fonctionnement actuel de la police. Les prétextes ne leur manquent pas, aussi étranges dans les deux cas. Comment Le PCF peut-il refuser une manifestation au risque supposé de slogans spontanés que les appelants ne proposent pas ? Veut-il voir défiler au pas et en silence ? Comment le PS peut-il encore se sentir lié par la loi « permis de tuer » que son ex-premier ministre a fait voter ? Le bilan n’est-il pas assez clair ?
Quelques jours avant cette manifestation du 23 septembre contre les violences policières, le journal « Le Monde » a publié un résumé très saisissant de ce que cette expression recouvre. Il a été largement diffusé sur les réseaux sociaux. « D’ordinaire présenté à la presse, le rapport annuel de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a été publié presque en catimini sur le site du ministère de l’Intérieur, jeudi 21 septembre, sans communication particulière » dit le journal. On devine combien cette discrétion est annonciatrice. « Sans doute, moins de quarante-huit heures avant une manifestation « pour la justice sociale, contre les violences policières et le racisme », à l’appel de La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts et une centaine d’associations et de syndicats, le ministère de l’Intérieur a-t-il voulu désamorcer par avance l’inévitable charge polémique associée à la publication de chaque rapport » admet le quotidien. Certes, c’est pour dire que les tirs sont moins nombreux et que le nombre de morts qui en résultent, dans un pays où la peine de mort est abolie, n’est pas de nature à recevoir un jugement moral de la part de l’auguste journal. La compilation reste parlante, malgré les circonvolutions de langage de l’auteur de l’article qui tente encore d’en abaisser la portée.
Mais cela reste admirable, et d’autant plus étonnant qu’une partie des délits mis en lumière dans l’article sont ceux qui profitent à ce journal, comme à beaucoup d’autres. « Le Monde » note en effet : « Les autres manquements commis par des policiers sont, par ailleurs, en nette augmentation : après six années de baisse d’affilée, les enquêtes pour des vols commis par des fonctionnaires connaissent une hausse, avec 64 procédures, comme celles relatives à la violation du secret professionnel (74 saisines) ou au détournement de fichiers (56 saisines) ». Les « fichiers détournés » ne seront pas mieux présentés que cela. Pourtant, de quoi s’agit-il ? De quelles affaires ? etc. Rien. Motus. Pourquoi ce silence ? Mais on sait combien les fichiers empruntés aux procédures judiciaires donnent ensuite certaines des campagnes coups de téléphone journalistiques en chaine, pour de soi-disant « enquêtes » qui tiennent plutôt du service après-vente policier pour faire pression sur les juges plutôt que de l’investigation.
En tous cas, selon « Le Monde », « L’IGPN note une nette hausse de ses enquêtes liées à l’usage de la force sur la voie publique. En 2022, vingt-deux personnes sont mortes après un tir de la police, selon le rapport annuel de l’Inspection générale de la police nationale. Plus de la moitié d’entre elles ont été visées à l’occasion d’un refus d’obtempérer ». Il est donc admis qu’il y a un caractère systémique cette situation. D’ailleurs, le journal dit avec franchise ce qui est : « À l’instar des années précédentes, notent ainsi ses rédacteurs, un peu moins de la moitié du portefeuille de l’IGPN (48 % des enquêtes) est constitué par des enquêtes portant sur l’usage de la force (508 au total, contre 510 en 2021) ». Dans plus de la moitié des cas (54 %, soit 272 saisines), le recours à la force se déroule sur la voie publique, un chiffre en nette hausse « puisqu’il représentait 37 % des allégations en 2021 ». Idem pour l’usage des armes à feu individuelles à l’occasion d’opérations de police : « 47 cas ont été recensés en 2022, contre 38 l’année précédente, soit une augmentation de 23,7 % ». C’est donc parfaitement clair, et la tendance ne s’inversera pas avec la débandade de l’autorité politique devant les adeptes de Alliance, poussant l’audace jusqu’à appeler à une manifestation au domicile du juge qui avait placé en garde-à-vue le policier qui avait massacré un jeune marseillais.
Le journal le note d’ailleurs : « Le nombre de renvois devant le conseil de discipline (112) et les autres propositions de sanctions (244 au total, du blâme à l’exclusion temporaire en passant par les avertissements) sont les moins nombreux depuis 2016 ». Le bilan est désastreux. « Au total, en 2022, 38 personnes sont mortes à la suite d’actions de police (une de plus qu’en 2021) dont près des deux tiers après un tir : 19 de ces décès sont liés à l’usage d’une arme de poing, 3 autres ont été recensés après un tir d’arme d’épaule. Sur ces 22 décès liés à des tirs, 13 ont été occasionnés au cours de refus d’obtempérer et, dans un cas recensé à Nice le 19 janvier 2022, la mort a résulté d’une manipulation accidentelle de l’arme pendant une interpellation ».
La minorisation de la réalité meurtrière qui suit ces propos est à l’image du niveau moral où s’est effondré la bien-pensance de ce pays. L’année de la mort de Nahel, 17 ans, abattu dans la rue après combien d’autres comme Rayana, visée et tuée alors qu’elle était simple passagère du véhicule, le journal trouve le moyen de souligner la baisse des cas de mort. Peut-être est-ce une des manifestations de l’ignominie qu’est le terme de « bavures policières ». Le journal se réjouit donc sans autre jugement moral : « Contrairement à ce que pourrait laisser penser la vigueur du débat sur les tirs effectués à l’occasion de refus d’obtempérer, leur nombre était en baisse en 2022 (138 tirs en direction de véhicules en mouvement contre 157 en 2021) ». Or, ces tirs représentent 54 % des usages de leur arme à feu par les policiers. Quoi de plus pour tout revoir, tout repenser, tout réorganiser.