Reprise en chœur médiatique des deux refrains pris dans les éléments de langage de l’Elysée après l’adoption de la motion de rejet de la loi immigration. Un : le Rassemblement national (RN) serait le grand gagnant de la situation ! Deux : en votant sa motion de rejet la gauche se serait « tiré une balle dans le pied » car la suite législative sera pire. Sur le RN « Le Parisien », puis « Le Monde » à sa suite, ont été le plus loin. « Le Monde » au prix d’une présentation dès la Une du journal, plaçant le RN en centralité de l’évènement. « LR et NUPES se sont unis au RN pour empêcher le débat ». Texto, l’argument Darmanin.
Passons sur le ridicule du « débat refusé » qui interdirait l’existence même de « la motion de rejet » dans la panoplie parlementaire. Pourtant son objet est précisément de permettre de refuser une perte de temps parlementaire pour un « débat » quand il est certain qu’à son terme une majorité est décidée à ne pas voter un texte quoiqu’il en soit. La culture monarchique de la Vème République a tellement imprégné ces salles de rédaction, elle-même peu encline au collectif, que l’idée même d’un parlement maître de son organisation paraît être de trop.
Ces commentateurs, dont on vérifie mille fois le faible niveau, ne connaissent sans doute rien de la vie politique de notre proche voisinage espagnol, belge, italien, allemand et européen d’une manière générale. La présentation du « Monde » laisserait entendre que la motion de rejet serait celle du RN, auquel les autres se seraient « unis ». Évidemment, c’est faux. Attendre de ce journal des informations politiques factuelles reste vain.
En effet, la motion est celle du groupe EELV-Nupes. La majorité des votants de cette motion vient de la gauche. L’absurdité de cette présentation du « Monde » est complète. Dans aucun vote dans une assemblée parlementaire il n’existe de possibilité d’empêcher le vote de qui que ce soit dans le sens qui lui convient. Au demeurant ce n’est justement pas l’esprit d’une motion de rejet. Il fonctionne au contraire comme le constat qu’il n’existe pas de majorité en dépit de la diversité des opinions à son sujet. Et c’est d’ailleurs ce qu’a rappelé dès le début de son intervention l’orateur présentant la motion, Benjamin Lucas.
Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une telle conjonction de votes a lieu à l’Assemblée. Le mystère reste donc entier si on cherche un sens a ce qui semble être avant tout une de ces opérations « bourrage de crâne » médiatique pour accompagner tout ce que fait le gouvernement. Résumons : en quoi le fait de voir une motion NUPES être adoptée fait-il du RN le vainqueur central de ce vote ? En quoi cela fait-il de la droite et de l’extrême droite les maîtres du jeu, alors que la gauche apporte 141 voix et eux 129 dont deux non-inscrits !
Mais s’il devait absolument y en avoir un en dehors des auteurs de la motion, pourquoi ne pas nommer plutôt « Les Républicains ». N’ont-ils pas réunis les conditions politiques d’un vote majoritaire en isolant l’attelage macroniste ? Ne voient-ils pas leur texte issu du Sénat pouvoir revenir seul au premier plan en CMP ? N’ont-ils pas alors le moyen d’y soumettre sans condition la coalition macroniste ?
Je laisse mes lecteurs conclure d’eux-mêmes. Car désormais toute la pensée de ce type de commentateurs est d’empêcher de penser et de gérer le débat politique en permanence comme leur deuxième tour idéal : faites ce que dit Macron, sinon c’est Le Pen. Et de cette manière encore se joue la partie de l’ombre. L’enjeu est l’émergence du bloc de droite comme un tout. Qui doit en être le centre ? C’est le calcul de Darmanin. Il veut incarner cet axe qui inclurait le RN, LR et la macronie moins le MoDem s’il le faut. On saura en bout de course s’il y est parvenu, c’est-à-dire si la CMP est « conclusive », et ensuite si une majorité de l’hémicycle s’exprime pour adopter le texte. Si c’est le cas, Darmanin a gagné. A la loyale, c’est-à-dire au terme d’un parcours ou chacun aura pesé ses actes. Des apprentis sorciers macronistes ont « servi sur un plateau d’argent » à l’extrême droite un projet de loi répondant à leur rêve depuis quarante ans. C’est l’aveu de la vice-présidente de leur groupe Renaissance, Madame Hai. Si quelqu’un s’est tiré une balle dans le pied, c’est là qu’il faut chercher le pied. Nous y voilà.
Les commentateurs pro-gouvernementaux accusent la gauche parlementaire de s’être tiré une balle dans le pied puisque le vote du rejet permet le retour du texte du Sénat. D’abord, notons la drôle de conception ultra politicienne de ces commentateurs, décidément très IVème République. Faisons semblant de croire à la sincérité de ceux qui débitent sur ordre cet argument. Si on le suit, les 141 voix de gauche sur la motion de rejet auraient dû s’abstenir ou voter contre leur conviction à propos de ce texte pour ne pas connaître pire ? Mais s’ils l’avaient fait qu’est ce qui aurait empêché l’adoption ensuite d’amendements « plus dur » ? Il aurait donc fallu que dans le débat la gauche fasse sans cesse l’appoint du gouvernement pour empêcher cela et pour finir vote son texte ?
Ensuite notons encore une « erreur » de présentation de la situation. En effet, en toute hypothèse, sans rejet préalable le texte revenait de toute façon en CMP, et ensuite de nouveau devant le vote de l’Assemblée à sa sortie de CMP. Dans ces conditions la question politique reste la même dans tous les cas : oui on non, Darmanin arrive-t-il à s’imposer ? C’est-à-dire à faire passer le texte en fractionnant la macronie parlementaire?
Car c’est son projet depuis le début : obtenir cette large alliance des droites en acceptant de passer par-dessus bord la prétendue « gauche macroniste et le Modem », obstacles internes à cette recomposition. La gauche-Nupes a marqué trois points. Un : elle a gagné une bataille symbolique en faisant rejeter le texte. Deux : elle a désorganisé la tentative de regroupement des droites. Trois : elle a mis une partie de la macronie au pied du mur en la contraignant à voter avec la droite. Et donc à libérer de l’espace dans l’espace des « modérés » que ce genre de lois écœure au moins autant que le soutien inconditionnel à Netanyahu. Dès lors, qui peut être sur du résultat de la CMP si le prix à payer pour la macronie est d’avaler tout rond le texte du Sénat qui la fracture ou la disqualifie.
Je forme le vœu que mes lecteurs ne se soient pas perdus dans ce récit dont la forme autant que le fond nous ramènent au réel politique du moment : c’est la pagaille politicienne de la IVème République dans les habits de la Vème. Les gens avertis connaissent le dénouement : une nouvelle combine ou bien une nouvelle scène. Les conditions objectives d’une dissolution s’approfondissent. Croire qu’une arme disponible ne servira jamais est une naïveté coupable.
Vu de gauche, les exploits des diviseurs de la Nupes et des tireurs dans le dos de toutes les variétés ont détruit le dispositif issu de l’union aux législatives en 2022. La décision du PCF de mettre fin à la NUPES, le moratoire du PS et la sortie de son groupe parlementaire de la NUPES avaient déjà amplement émietté le front. A présent les prises de position de la gauche d’avant aussi bien sur la retraite à 64 ans, les révoltes urbaines et le conflit Israël-Palestine ont miné leur écoute dans les bases populaires de la coalition. L’exploit des candidatures uniques du premier tour qui avait permis notre victoire est hors de portée. Ici, le pilonnage de la macronie a eu raison des pauvres en volonté de résistance. Il est donc urgent de reconstituer un dispositif fort et stable qui rendent possible et crédible la perspective d’un accès au pouvoir.