Iront-ils voter ? 

Le moment politique commencé avec la nomination du nouveau Premier ministre semble trébuchant. Les lenteurs des nominations, les accidents de casting comme le calamiteux épisode Oudéa-Castéra, les bafouillements et autres prestations ratées, les mensonges déjà détectés confirment cette impression. Elle contient sa part de vérité et donc de calamités pour la macronie. Mais elle peut induire en erreur sur le diagnostic. 

Dans les faits, le gouvernement Attal ouvre un nouveau cycle, dont la récente débandade des agriculteurs en colère est le symbole. Il s’agit d’un durcissement de la ligne économique néolibérale. Le nouveau président de l’Argentine est le prototype de ce moment sur la scène internationale. Et surtout de son paradoxe. Une population mise en difficulté par le néolibéralisme s’en voit infliger une nouvelle dose. Une dose massive et radicale. En face, le mouvement social atomisé et désorienté se montre incapable d’une riposte cohérente. Ainsi Attal a-t-il fait de son discours de présentation de sa politique générale une sorte de manifeste, où se combinent de façon exemplaire les accents d’extrême droite identitaire et les vertiges néolibéraux les plus radicaux contre le Code du travail, le droit au logement social, l’indemnisation du chômage et le travail forcé pour les bénéficiaires des revenus minimum. Sans en reprendre la liste, j’en reste à l’évaluation. Personne n’a jamais été aussi brutal et direct sur ces sujets depuis très, très longtemps. 

Le premier choc a eu lieu avec la mobilisation des agriculteurs. Il s’achève par une victoire totale des libéraux de l’agro-industrie sur la population active des fermes. Les jachères supprimées, les pesticides rétablis, les bassines réhabilitées n’ont rien à voir avec les revendications de ceux qui veulent vivre de leur travail, dénoncent le libre-échange et ses concurrences déloyales, fauteurs d’effondrement des prix de vente. Rien. Et pourtant le syndicat agricole dirigé par un magnat de l’agro-alimentaire s’estime satisfait et ordonne la fin de l’action. 

Une fois de plus, les petits ont été poussés devant les grands pour faire le boulot, et les grands ont ramassé la mise sans miettes pour personne. Une fois de plus la séparation entre la politique et le social a donné le résultat calamiteux déjà observé avec la défaite du mouvement contre la retraite à 64 ans, alors même que l’opinion et l’action ne désarmaient pas le moins du monde. Ces défaites démoralisent, désorganisent, jettent dans l’abandon des masses considérables de gens, pourtant d’abord très déterminés. Chaque fois la méthode de fragmentation et de division a fonctionné avec l’aide de chefs complaisants. Ainsi Macron, nonobstant le tumulte et le chaos, a-t-il surmonté le mouvement des retraites, celui des révoltes urbaines, puis celui de l’immigration sans-papiers et ensuite celui des paysans, en même temps que plusieurs autres mobilisations catégorielles bien ancrées.

De cela sortent deux points. D’abord, Macron peut se sentir fortifié par ses succès et s’avancer toujours plus avant sur son chemin de crête. Le choc de la deuxième vague inauguré par Attal ne fait donc que commencer. Ensuite, toute la politique se joue dans l’énergie du refoulement social qui est opéré par les défaites subies à froid. Se traduira-t-elle par de nouvelles actions ? Ceci produira-t-il des votes politiques particuliers ? 

Pour nous, Insoumis, cela est décisif. Car cela détermine ce que sera le paysage au lendemain des européennes. Le rapport de force avec le projet macroniste en dépend. Mais aussi la possibilité pour l’extrême droite de continuer son déploiement dominant. Mais faute de liste unique, tout semble jouer contre nous et la victoire du RN se voit annoncée sans trace de résistance, ni à droite, ni dans la « gauche d’avant ». Les sondeurs annoncent la désertion des urnes par les milieux populaires et la jeunesse. Et cela donne obligatoirement des résultats de sondage peu flatteurs pour les Insoumis, puisque ces « enquêtes » sont toutes fondées sur des panels de gens « certains d’aller voter ». Les autres sont purement et simplement effacés du décompte. Les plus âgés et les centres-villes votant bien davantage que les jeunes et les quartiers populaires, Notre résultat est entièrement dépendant de ce facteur.

N’empêche ! Socialistes et Verts avaient annoncé le caractère incontournable de leur liste à partir de raisonnements identitaires mille fois rabâchés. Compte tenu de « profondes divergences » avec LFI (dont personne n’a jamais fait la liste), il faudrait une présence électorale distincte avec des listes séparées. Le moment venu, les divergences d’appréciation à l’intérieur de ces listes paraissent, à leur tour, tout aussi considérables. 

En témoignent les commentaires qui accompagnent la présentation de la liste du PS. Elle est dirigée par une tête de liste qui n’est pas socialiste. Curieuse manière d’affirmer une identité ! Surtout si on se souvient comment la tradition voulait que le premier secrétaire du PS, depuis François Mitterrand, soit tête de liste aux européennes. L’actuel est surtout soucieux de ne l’être en aucun cas après avoir été lui-même élu député comme candidat unique NUPES avec mon portrait. À présent, la tête de liste non socialiste que le PS a choisie est notoirement hostile à l’alliance avec LFI. Pourtant la ligne du congrès socialiste est (certes de peu) favorable à cette alliance. Encore une face de l’identité à géométrie variable. Le partage des places considérées comme éligibles donne lieu à un bras de fer dont le PS sort vainqueur. On ne sait comment, puisqu’il n’a aucune force sans sa tête de liste ! Ensuite, le partage des places entre socialistes donne lieu à son tour à des démissions et dénonciations. Certes, elles sont banales et rituelles dans ce type d’élection par liste nationale. Nous en avons assez connues pour le savoir. Certes, celles-ci sont annoncées avec des arguments de « divergences de fond » auxquels personne ne peut croire. Bref, la lutte du congrès du PS, gagnée de peu par Faure, continue. Conséquence : la division voulue et assumée pour reformer une identité collective ne produit à son tour qu’une nouvelle série de fractionnements internes sans horizon. Alors, encore une fois, pourquoi tout cela ? Pourquoi ces listes différentes et opposées ? Pourquoi avoir détruit la NUPES ? 

Quant aux insoumis leur trajectoire semble déjà écrite d’avance par la presse. La vérité est simple : si l’extension massive de notre influence dans les milieux populaires ne se transforme pas en vote nous aurons un faible score. L’extrême droite et la macronie pavoiseront. Et nous aurons droit à un deuxième « big bang » sécessionniste, dont les organisateurs se réunissent déjà pour le préparer.  La suite est alors écrite d’avance, encore avec le retour aux gesticulations groupusculaires déjà observées de 2018 à 2022. 

Mais si nous parvenons à convertir en bulletins de vote nos soutiens, alors nous pouvons faire la surprise. Il ne reste donc rien d’autre à faire que de militer pour y parvenir. Bien sûr, le mépris médiatique, les insultes et les dénigrements, y compris de l’intérieur, pèsent. Mais nous avons conscience de ce qu’ils sont : la forme de la bataille, telle que la conçoivent les catégories sociales de ce que l’on appelait hier la petite bourgeoisie déclassée. Ceux qui ont « le bon profil » en capital symbolique de la bonne société. 

Toutefois, dans le contexte dégagiste actuel, il faut aussi reconnaître que cela nous permet souvent d’être identifié comme l’alternative sans concession. Les coups que nous assènent les amis des criminels de guerre du Proche-Orient fonctionnent aussi pour nous comme des certificats d’honnêteté et de courage auprès de ces centaines de gens qui nous remercient de « tenir bon » sur le sujet. La machine insoumise tourne déjà à plein régime sur les objectifs du moment. Partout, des salles combles, des cortèges nourris, et des accueils super bienveillants. Mais cela ne suffit pas et nous le savons. Jour après jour, il faut construire. La bataille pour l’unité continue elle aussi parce qu’elle est la voie de la raison et que les votes peuvent l’appuyer le moment venu. Cela concerne les organisations mais aussi les personnes représentatives des combats de la société. Notre énergie et notre mobilisation sur le terrain montrent que nous avons la capacité de relever ce défi. Voyez ! 

Au total, cette semaine, le mouvement insoumis était largement et efficacement déployé sur le terrain. D’abord en riposte au discours d’Attal, dans les manifestations professionnelles, sur les barrages agricoles, dans les manifs Palestine à Bruxelles, à Genève et en délégation parlementaire présent à Rafah, à la frontière égyptienne. Mais aussi à Pantin en salle comble, comme à Besançon et Caen chez les étudiants en faculté, et à Nantes et au Mans pour célébrer l’abolition de l’esclavage ! Mais au total je ne sais combien d’initiatives apparaissent encore et se déroulent sur le terrain de cette façon libre et spontanée qui est notre signature collective. 

Mais tout cela reste suspendu a une interrogation : ces gens que voici, iront-ils voter ? La campagne nationale insoumise pour l’inscription sur les listes électorales est lancée. S’inscrire, vérifier qu’on est inscrit : la machine est lancée. On y accède par un site dédié. Tout ce que nous portons dans ce combat ne prend son sens qu’en relation avec le moment global. Que la France dispose d’une force comme la nôtre tenant le cap dans la tourmente est un atout rare en Europe. Il est décisif pour notre peuple à l’heure où viennent à lui les défis les plus élevés. Une guerre totale menace. L’absurde déni du changement climatique ou de l’accumulation d’une dette mondiale qui bloque l’action des Etats, l’aggravation généralisée de la maltraitance sociale sont des faits accablants : ils appellent la réplique. Elle aura lieu inéluctablement même si nous ne savons ni où ni comment. Notre action la préfigure. C’est cela qui est en jeu dans le moment qui vient. Serons-nous aidés ?

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