Heures étranges et terribles que celles-ci. Comptant sur la riposte iranienne, Netanyahu engage la guerre pour démembrer le Liban et préparer l’attaque contre l’Iran. Car, en assassinant un dirigeant iranien dans son ambassade en Syrie, Netanyahu ne commettait pas un de ces crimes et une de ces violations du droit international désormais ordinaires pour lui. Pour tous les gens au pouvoir de cette sorte, les traités, les engagements, les accords, les lois sont « des chiffons de papier ». Donc Netanyahu n’agissait pas pour sa « réplique contre le 7 octobre ». Il provoquait une nouvelle étape de la situation de guerre. Sciemment, ouvertement.
Le but était d’obtenir une réaction en riposte de l’Iran. De cette façon il s’agit de redonner à son gouvernement de l’air pour respirer, face à l’isolement sans précédent dans lequel il a placé son pays. Tous les gouvernements, jusqu’au plus complaisant face au génocide en cours, comme le gouvernement allemand, sont sous la pression d’opinions publiques horrifiées. Biden en sait quelque chose. Il est désormais en danger d’être battu par Trump pour avoir méprisé cette composante de la population américaine. Car celle-ci compte de surcroit une communauté juive active à défendre les droits humains universels, y compris ceux des Palestiniens. Au contraire de celle que l’on a pu observer à Paris quand elle huait le député Jérôme Guedj pour avoir dit qu’il fallait respecter les civils palestiniens.
Diverses initiatives radicales sont en cours partout dans le monde, et singulièrement en Europe, sous l’impulsion du gouvernement espagnol. Le premier ministre y est un socialiste assez différent de ses homologues français. Il gouverne avec la gauche radicale, augmente le SMIC de 30 % et forme une coalition de pays pour reconnaitre l’État de Palestine. Ces initiatives transformeront en désastre diplomatique la politique mise en œuvre par Netanyahu et son gouvernement formé de « suprématistes juifs », extrême droite religieuse ou pas, et autres énergumènes pour qui la nature de leur pays doit être ethnique et religieuse.
Tous ces gens ont été chauffés à blanc avec les discours de Netanyahu sur la prophétie de Samuel et les intentions génocidaire de divers ministres appelant à tuer tous les Palestiniens. Ces discours diffusent et fanatisent chaque jour davantage, au point où de jeunes soldats acceptent avec enthousiasme de sniper des enfants, d’écraser des gens sous un char, de piller et saccager les maisons vidées de leurs occupants, et des colons d’assassiner des familles de Palestiniens, d’incendier leurs maisons, et ainsi de suite. Nous avons pu le voir dans les pièces présentées à la Cour internationale de justice de La Haye. Des centaines de vidéos en attestent. Ces propos fanatisent au point de voir des délirants israéliens aller en manifestation tenter d’empêcher les camions d’aide humanitaire d’entrer à Rafah. Ils manifestent aussi pour demander la colonisation du Liban Sud. Et nous voyons ainsi combien d’autres démonstrations organisées par les partis au pouvoir avec Netanyahu.
Nous pouvons prévoir chaque étape de l’escalade à présent en cours. L’Iran répliquera, comme c’est une évidence. Quel pays peut accepter de voir ses responsables assassinés dans une ambassade par un autre pays qui, à cette occasion, n’hésite pas de surcroît à violer la frontière de son voisin ? Quel pays ? Aucun. En octobre 1983, les Français ont opéré un bombardement dans la plaine de la Bekaa au Liban après que 58 de leurs soldats sous casques bleus aient été assassinés dans l’explosion de l’immeuble Drakkar à Beyrouth. Notre délégation Insoumise au Liban leur a rendu hommage en novembre dernier.
La seule question est de savoir si les États-Unis feront de cette réplique un prétexte pour accompagner encore Netanyahu dans la guerre totale qu’il entreprend pour mettre toute la région à sa main. S’ils le font, nul ne peut dire jusqu’où ira l’escalade. La mondialisation de la guerre totale deviendra une probabilité dangereusement plus grande.
Les chiens de guerre de tous poils et de toutes fonctions vont être mobilisés dans cet épisode. En France et partout dans le monde. Ils le feront avec une nouvelle vigueur. En effet, il ne leur sera plus demandé de soutenir un génocide qui finissait par leur être pénible à justifier. Leur respectabilité était trop mise en jeu. On va leur demander de combattre l’Iran, le régime des mollahs, et ainsi de suite. Et chacun des petits soldats de plomb médiatiques fera ce qu’il faut pour effacer les causes de la situation. Ce qui reviendra à donner carte blanche pour l’escalade suivante : les frappes de « représailles » directes sur le territoire iranien, notamment sur les cibles concernées par des préparatifs vers la mise au point d’armes nucléaires en Iran. Comme d’habitude, la moindre pensée critique à l’égard de Netanyahu sera aussitôt qualifié d’antisémitisme, le refus de la guerre sera qualifié d’« esprit munichois », le soutien à la souveraineté de l’Iran de « complicité avec l’islamisme radical ».
Il faut donc s’attendre et se préparer à subir à nouveau un rude assaut médiatico-politique. La résistance intellectuelle sera aussi difficile qu’elle l’est contre le génocide à Gaza. L’Iran est un bon chiffon rouge pour ce travail. Sa politique odieuse contre les libertés individuelles et les droits des femmes, ses campagnes de pendaison contre les opposants, ses vagues de répression lui valent un dégoût et une réprobation justifiés. Je ne compte plus nos communiqués et interventions depuis tant d’années contre le régime et en défense de ses victimes. Tout le monde ne peut en dire autant. Mais la position rationnelle devra se confronter aux campagnes d’émotion du type de celle qui fut engagée contre nous après le 7 octobre. Et elles ne seront pas davantage respectueuses de la vérité, ni même de la raison.
L’adversaire a besoin d’« ennemis de l’intérieur » dans ce type de circonstances pour intimider tout le reste de la société. L’histoire devra donc être souvent rappelée, pour être d’abord comprise du premier cercle de l’opinion qui réfléchit. Puis viendra le tour du plus grand nombre. Mais on ne peut compter pour cela sur la mémoire de poisson rouge de la sphère médiatique. Quand l’accord avec l’Iran sur le nucléaire fut rompu par les USA, sous la pression de Netanyahu déjà, les mêmes répondeurs automatiques s’étaient déjà alignés sur la position Trump/ Netanyahu. Nous fûmes une poignée à protester et condamner les mesures de représailles décidées par Trump contre les pays qui passeraient outre leur décision. Mais nous savions bien qu’un compte à rebours était enclenché. Il est le point de départ de l’épisode en cours. Exactement comme en 2008 la décision de l’Union européenne de faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’Otan a ouvert le compte à rebours des événement actuels entre la Russie et son voisin, qu’elle a envahi.
La leçon du génocide à Gaza a-t-elle ouvert les yeux du grand nombre et notamment des catégories les plus sensibles à la pression médiatique ? Pourquoi en sommes-nous là ? L’histoire montre que ce type de période produit des effets très comparables depuis le début du siècle précédent.
La vérité est la première victime des guerres. Il en est ainsi de nouveau. La mécanique en est simple. Ceux qui font de nous leurs adversaires sont alignés sur un camp : les USA et leur système global actuel. Ils sont prêts à tout pour tenir leur position, comme on vient de les voir faire avec le « soutien inconditionnel à Israël » et au génocide.
De notre côté, nous ne sommes alignés sur aucun camp. Mais nous ne sommes pas neutres. Nous agissons en toutes circonstances et en tous lieux en défense de nos principes constants. Et parmi ceux-ci le refus de la guerre comme issue à une situation de tensions. Un refus de fond qui ne fait pas de nous des pacifistes, mais des pacifiques fondamentaux.
Notre peuple est à notre image sur ce plan. Quand un sondage demande à des jeunes s’ils sont prêts à participer à la guerre en Ukraine, il répond que « non ». Mais quand on lui demande s’il est prêt à s’engager si la France est menacée à propos de la guerre en Ukraine, il répond : « oui ». « Oui » avec méfiance. Cela prouve que l’amour de notre pays ne veut pas dire pour nous la haine des autres. Et en tous cas il ne produit pas l’envie de faire la guerre comme solution.
Cela ne rend que plus étonnant, pour les naïfs, de voir à chaque occasion tant de gens inattendus craquer sous le poids des propagandes. Ainsi quand la présidente du parlement des Verts se dit heureuse de voir que la majorité des jeunes serait prête à s’engager dans la guerre en Ukraine. « La prise de conscience d’un récit commun progresse dans notre jeunesse. Formidable nouvelle ! » s’enflamme-t-elle. Puis elle y voit l’adhésion à « une tâche enthousiasmante » : la volonté d’une « Europe de la défense » ! Pourtant, personne n’en parle. Dans son cas, on voit bien l’aveuglement des victimes de la propagande de guerre : le sondage de RTL ne dit en rien ce qu’elle croit y avoir lu. On devine donc quelle sera la pente générale des bien-pensants le moment venu. Dans le flot des émotions guerrières, il faut recourir sans faille à la boussole jauressienne : raison garder. Combattre sans faille pour la paix et les solutions sans guerre.
Ici, le commencement de tout est le cessez-le-feu, la levée du siège de Gaza et la fin du génocide. Ils sont liés puisqu’ils sont le point de départ de l’escalade. Bien sûr la libération des otages se ferait alors tout naturellement puisque leur rétention n’aurait plus de raison. Mais il faut aussi répondre à l’Iran. La condamnation de l’attentat de Netanyahu en Syrie contre l’ambassade iranienne est une priorité, comme l’ont demandé les Iraniens. Un sursis à riposte peut être leur être demandé, si les USA acceptent l’obligation pour Netanyahu d’appliquer les sanctions qui seront décidées sur ce sujet. Bien sûr, Iran et Israël doivent avoir des garanties mutuelles de non-agression. Pour cela le retour à l’accord sur le nucléaire déjà signé est un préalable.
Mon propos ici n’est pas de formuler autre chose que la démonstration du fait que des solutions peuvent toujours exister, réalistes et non violentes. La guerre est l’arme des faibles et une défaite de la politique.